Interstellar overdrive

Nadja ne put s’empêcher d’éclater de rire quand il lui fit une imitation parfaite d’un enfant refusant de se lever pour aller à l’école. Un de ses hommes lui aurait fait un coup pareil, il se serait retrouvé avec le lit à la verticale en moins de temps qu’il ne faut pour dire « maman ». Mais Zander n’était pas un militaire et encore moins sous ses ordres. Elle opta donc pour une technique plus douce à base de baisers, de caresses et de paroles qui s’avéra payante sur le long terme.

Un peu plus tard, le petit déjeuner passé, il lui regarda l’épaule et appliqua un baume qui s’avéra particulièrement efficace.

« - Je pense que j’ai dû dormir sur le bras et couper la circulation. Doublé avec un cauchemar particulièrement vivace, j’ai essayé de me débattre mais j’ai évidemment perdu l’équilibre et mon premier réflexe a été de rouler… sauf qu’avec un bras en moins ben ça suit pas et l’épaule a encaissé le tout. Et ça fait du bien ton truc, je sens quasi plus rien. »

Douleur oubliée, ils quittèrent la chambre à regret quelques minutes plus tard. Le voyage retour fut bien moins joyeux que l’allé. Zander était d’humeur maussade et elle avait une assez bonne idée du pourquoi. Une nouvelle confrontation avec son père serait peut-être un point de non-retour.

« - J’ai un peu réfléchie, ce matin, commença-t-elle en espérant le faire penser à autre chose. J’ai vraiment apprécié ces deux jours et la ville. On en plaisantait hier, mais l’idée de s’y installer me semble de plus en plus séduisante. Quand je serai satisfaite de l’équipage de l’Achille et que j’aurai un successeur formé, je crois que c’est quelque chose qu’on pourrait réellement envisager. »

Elle se jetait un peu à l’eau, la, mais il fallait bien débuter quelque part.

Zander tourna la tête en entendant Nadja lui parler. Il faillit plaisanter sur sa faculté de réflexion, mais se retint en entendant son ton plutôt sérieux. Il l'écouta jusqu'au bout et ne put retenir un sourire.

« Tu envisagerais sérieusement de t'installer sur Hébrida plutôt que sur Terre lorsque tu prendras ta retraite de l'armée ? » lui demanda-t-il, quelque peu surpris. C'était un revirement intéressant. Il joua avec cette idée quelques instants.

De son point de vue, elle serait certainement beaucoup plus libre ici qu'elle ne le serait jamais sur Terre, tout comme lui d'ailleurs. Ses origines et ce qu'elle savait de l'avenir n'auraient pas d'importance et elle ne serait pas sans arrêt surveiller. Oh certes, cela soulèverait l'intérêt de certains scientifiques qui souhaiteraient sans aucun doute lui parler, mais sans plus.

Trouver du travail ne serait pas non plus difficile, tout comme suivre une formation pour se reconvertir. Même si les Hébridiens valorisaient les sciences par dessus tout, la société tendait à considérer comme important que chacun s'accomplisse et s'épanouisse dans un travail qui lui convenait, peu importe lequel. Et cela pouvait évoluer au cours de la vie d'un individu et impliquer un changer de voie et de métier. Tout était d'ailleurs fait pour accommoder et faciliter ce genre de reconversion. Il pourrait, par exemple, sérieusement envisager de pousser ses études dans le domaine médical, son avoir besoin du parrainage de son père. S'il le faisait, ce serait seul et parce qu'il le voudrait, comme tout ce qu'il avait fait jusqu'à présent.

*Ou presque tout...* se dit-il en regardant furtivement le bracelet. Cela avait d'ailleurs quelque chose d'étrange de faire des plans aussi lointains alors qu'ils n'avaient même pas fini cette année de "mariage", tout en étant à la fois réconfortant.

« Je n'ai rien qui me retient là-bas, en dehors de toi pour l'instant, ce qui est une raison plus que suffisante à mes yeux. Mais j'ai beaucoup aimé Serain aussi, alors s'y installer ne me déplairait pas non plus, loin de là. » fit-il en repensant à l'hôtel et à la plage.

Le SDT lui avait offert de belles opportunités, mais il ne se sentait pourtant pas à sa place sur Terre ni forcément bienvenu, en dépit de ce qu'il faisait pour la planète, ce que la grande majorité ignorait de toute façon. Et il devrait passer son temps à mentir sur qui il était en permanence. Hébrida, en revanche, était sa planète natale et l'accueillerait à bras ouverts. Et s'il s'installait dans cette ville, il serait loin de son père, sans pour autant être coupé de sa mère.

« C'est une possibilité que l'on pourra effectivement envisager sérieusement le moment venu. » finit-il par dire en souriant.

Sa déclaration fit son effet et le sortit un tantinet de sa morosité.

« - Qu’est ce qui me retient sur Terre ? demanda-t-elle franchement. Jusqu’à l’an dernier, ça n’était qu’une sorte de paradis perdu. Oh je reconnais que c’est une très belle planète mais finalement, il n’y a pas grand-chose qui m’y lie plus qu’à une autre, à part une poignée de personnes et quelques histoires très romancées. »

La suite la fit rougir jusqu’aux oreilles. Bien sûr, ça demanderait de trouver un travail mais elle ne s’inquiétait pas trop. En moins d’une semaine, elle avait rencontré un instructeur de tir et un autre de plongée. Deux métiers qu’elle pourrait sans doute exercer facilement. Elle s’était également rendu compte que ces tatouages attiraient facilement le regard. Il y avait peut-être également un débouché pour un artiste.

Elle voyait presque les rouages de ces neurones travailler. Il finit cependant par admettre la possibilité et elle lui rendit son sourire avant de se serrer contre lui. La vision d’une plage s’imposa soudain à elle. Nadja bronzait à l’ombre d’un parasol pendant qu’il jouait avec deux bambins haut comme trois pommes. Un nœud à l’estomac, elle se rendit compte que fonder une famille serait une des prochaines étapes. Était-elle prête à porter un autre enfant ? Pas sur… pas sur du tout.

Le trajet s’acheva enfin et il l’entraina vers un bâtiment administratif en quittant la gare pour y récupérer des spécialités terriennes. Une fois cette corvée (qui ressemblait fort à une diversion) achevé, il fallut prendre la direction de la maison de ses parents. Elle lui tenait le bras le plus fort possible pour lui témoigner son soutien mais ne pouvait pas faire grand-chose de plus pour l’instant. Une chose était certaine, si le dîner tournait au vinaigre, ce serait la dernière soirée qu’il passerait ici avant un moment.

Zander hocha la tête à son explication. Nadja avait raison. Rien ne la retenait vraiment nulle part. Il la serra contre lui en souriant et resta un moment ainsi avant de s'endormir, bercé par les mouvements du train.

Une fois arrivés à Valmeera, il s'occupa des formalités administratives pour récupérer les denrées terriennes. Pour une fois, il trouva que cela allait trop vite. Ils furent rapidement sur le chemin de la maison de ses parents. Mais quand ils arrivèrent, il n'y avait personne, sans grande surprise.

Cela faisait une heure qu'ils étaient rentrés et il était... agité. Il avait vérifié plusieurs fois les ingrédients pour s'assurer qu'il avait bien tout ce qu'il lui fallait et arpentait le balcon depuis 10 minutes, sa tablette à la main avec la recette affichée qu'il devait connaître par cœur à force de la lire, s'il la lisait vraiment.

« Ta mère est en chemin et vous avertit que ton père ne sera présent pour le repas de ce soir. » les informa Stella.

Cela fit l'effet d'une douche froide à Zander. Une part de lui sautait de joie, mais une autre avait l'impression de recevoir une gifle. Ce repas-là était important pour lui. La cuisine était le seul domaine dans lequel son père ne l'avait jamais critiqué et ce moment faisait office de trêve entre eux. Il expira lentement. Ça ne servait à rien de s'énerver et il ferait au contraire mieux de se réjouir.

« Je vais préparer le repas. » fit-il sur un ton agacé avant de descendre.

Évidemment, il réussit à se couper le doigt, faute d'être aussi attentif qu'il l'aurait dû. Il laissa donc Nadja se charger du découpage et de l'épluchage pendant qu'il faisait le reste.

Quand sa mère arriva, il finissait de mettre la dernière touche au dessert avant de l'enfourner.

« Bonjour vous deux ! Alors comment c'est passé votre escapade ? » lança-t-elle joyeusement.

Celle-ci jaugea tout de suite l'humeur de son fils à la tension dans ses épaules. Même absent, son père lui causait du tort. Elle savait à quel point ce repas comptait à ses yeux. Mais elle n'avait pas réussi à convaincre son père d'y assister et de partir ensuite s'il le voulait, pas plus qu'elle n'avait découvert ce qu'il s'était passé entre les deux quelques jours plus tôt. Elle s'approcha de lui.

« - Ça a l'air bon. Qu'est-ce que tu nous mijotes ? lui demanda-t-elle les yeux pétillants, sachant qu'elle aurait droit à une explication détaillée un peu plus tard.
- Bœuf bourguignon avec une purée de pomme de terre et une tarte au citron meringuée en dessert et du vin. C'est un alcool terrien.
- Je suis dés...
- Non, ne te t'excuse pas pour lui et ne lui cherche pas d'excuse non plus, s'il te plaît. Je sais que tu as fait ce que tu as pu, mais il a fait son choix. Je ferai le mien en conséquence. Je reviens dans quelques minutes. » répondit-il en tournant les talons après avoir donné des instructions relative à la cuisson à l'IA de la maison qui avait désormais les deux recettes dans sa mémoire.

Puis il remonta se réfugier dans son appartement et s'installa sur le balcon pour faire quelques exercices de relaxation. Il n'avait pas l'intention de gâcher le repas avec son agacement et au contraire d'en profiter un maximum.

En apprenant que son père n’assisterait pas au repas, Zander ne cacha pas sa colère. C’était un nouveau camouflet qu’il lui infligeait, même si cela éviterait toute disputes. Nadja aurait voulu trouver des paroles réconfortantes mais elle n’en trouvait aucune. C’était juste lamentable, de son point de vue, et elle se força à serrer les dents pour ne pas rajouter de l’huile sur le feu.

Enervé comme il était, il réussit à se couper et elle prit le relais après l’avoir l’aidé à poser un pensement. Finalement, Neela revint chez elle, seule comme prévue. L’échange qui suivit fut bref et il les planta la avant d’aller se réfugier dans sa chambre. Nadja envisagea de le rejoindre mais elle supposa qu’il avait besoin de solitude.

« - J’espère qu’il vous reste de cette excellente bière, commença-t-elle, en souriant. Et oui, tout c’est bien passé. La ville est très agréable, tout comme la plage et nous en avons profité pour faire de la plongée, que je n’avais pas pratiqué depuis l’école militaire. J’ai même trainé votre fils a un match de gliding ball. »

Elle hésita à parler de sa famille, masi cette rencontre l’avait un peu trop perturbé pour qu’elle aborde le sujet aussi franchement pour l’instant.

« - Et ici, demanda-t-elle finalement. J’espérais que les choses se soit un peu calmée en notre absence. »

Pas sûr qu’elle accepte de lui répondre mais Nadja n’était pas du genre à laisser un problème prendre racine.

Neela regarda son fils partir, un sourire figé sur les lèvres. Son sourire s'élargit cependant lorsqu'elle répondit à Nadja.

« Bien sûr, je vous vous en chercher une. Nous devrions en recevoir d'autre dans la soirée, car il n'en reste presque plus. »

Elle revint avec une bouteille, un verre et un plateau d'amuse-bouche.

« Ça ne m'étonne pas que cela vous ai plu à tous les deux avec votre amour commun pour l'eau. C'est une ville magnifique pour cela. Et je me dois de saluer votre double exploit. Sortir mon fils de l'eau n'est pas chose aisée. Et "traîner" doit être le terme exact pour avoir réussi à l'emmener à un match de gliding-ball. Il ne s'est jamais vraiment intéressé à ce sport ou à aucun autre d'ailleurs. Il faut dire qu'il n'a pas forcément l'esprit de compétition. Sauf pour une seule chose, la Grande Boucle. Il rêve de gagner cette course. Vous connaissez ?  » dit-elle.

C'était probablement l'une des raisons qui avait motivé son fils à devenir pilote, en plus de sa curiosité.

« Je suppose qu'il vous a fait part de ces déboires avec le gliding ball ? Est-ce qu'il vous a dit que c'est grâce à cette inaptitude qu'il a appris à nager ? La natation était l'activité de remplacement proposée. Contrairement à ses camarades qui ne pouvaient pas non plus évoluer en 0G, il a adoré. Et quand nous avons déménagé ici et qu'il a découvert le bassin pas loin... Vous pouviez être sûre que s'il n'était pas à la maison, c'est qu'il était là-bas. Ce qui nous a d'ailleurs causés quelques sueurs froides au début puisqu'à l'époque, il commençait tout juste à apprendre à nager. » raconta-t-elle, tout sourire.

Au fil du temps, le bassin était devenu son refuge tandis que les relations avec son père se dégradaient lentement. Et Neela était ardemment intervenue pour que celui-ci en reste loin. Ce dernier n'aimant pas l'eau, cela n'avait pas été très difficile de le dissuader de s'en approcher.

Elle soupira quand Nadja aborda le sujet de la famille, légèrement gênée.

« D'une certaine manière, oui. L'absence de mon mari en est plus ou moins la preuve. C'est une façon d'éviter les ennuis, ce qui me fait m'interroger sur ce qui est arrivé il y a deux jours, car c'est la première fois qu'il se défile ainsi. Il a refusé de m'en parler. Mais cela aggrave aussi les choses. Zander fait des efforts, et ça se voit, sauf que cela ne change rien, ne serait-ce qu'un peu. Indépendamment du fait qu'il ne puisse pas quitter la planète pour l'instant, il est toujours là. Il est même revenu ici. Avant, il serait parti sans se retourner et aurait dormi. J'aimerais que mon mari reconnaisse cela et fasse aussi un geste vers lui, mais visiblement, il n'est pas disposé à faire preuve d'autant de bonne volonté... » répondit-elle, un peu désemparée.

Elle faisait ce qu'elle pouvait de son côté, mais elle ne pouvait rien si son mari refusait d'y mettre du sien.

********

Zander réapparut une quinzaine de minutes plus tard, un peu plus détendu, pour aller vérifier la cuisson des plats. Il prit une bière qui s'avérait être la dernière et vint rejoindre Nadja sur la canapé avec un petit sourire.

« Ce sera bientôt prêt. En théorie, plus ça mijote, plus c'est meilleur. Et c'est encore mieux le lendemain d'après ce que j'ai entendu dire. Alors, tu lui as raconté nos aventures ? Il faudra qu'on te montre les photos de notre plongée et du séjour. » fit-il. Il prendrait cependant soin de retirer les photos de la famille de Nadja.

Quelqu'un sonna à la porte à ce moment-là. Il lança un regard interrogateur à sa mère. La réponse le fit hocher la tête. Comme d'habitude, sa mère avait pensé à tout.

« Ça doit être le livreur avec les bières. Tu peux lui ouvrir, Sid ? » demanda-t-elle à l'IA domestique.

« Bonsoir, c'est pour les bières. Où est-ce que je vous les pose ? » fit-il une voix masculine depuis le perron.

Zander manqua de recracher la gorgée qu'il venait de prendre et finit par l'avaler de travers, ce qui provoqua une quinte de toux, en entendant la voix du livreur qui s'avançait.

« Surprise ! » lança joyeusement Prius en voyant la tête ahurie du pilote, tandis que sa mère affichait un grand sourire espiègle.

Neela ne se fit pas prier pour déboucher une bouteille de bière et venir discuter. Elle nota cette histoire e « grande boucle » dans un coin de sa tête. Il faudrait qu’elle le questionne dessus à l’occasion.

« - Il m’a raconté ces soucis de microgravité oui. C’est assez étrange pour un pilote d’ailleurs. Mais je ne désespère pas de lui donner un peu de mon gout pour ça aussi. Quand je vois comme il se débrouille sous l’eau, il n’y a pas de raison qu’il n’y arrive pas.»

Sauf évidemment des dommages psychologiques, comme ceux qu’elle avait dû rattraper pour le combat.

« Et je ne veux même pas imaginer les affres par lesquels vous êtes passé en le sachant dans ce bassin. Je crois que ca me rendrait dingue. »

Etait-elle en train de parler enfant avec sa belle-mère ? Voilà un terrain qui pouvait être particulièrement glissant Mais la discussion dévia sur le père de Zander. Elle s’attendait à ce que l’Hebridienne préfère changer de sujet mais elle lui répondit franchement, bien qu’avec une certaine gêne tout à fait compréhensible.

« - Si je vous suis bien, le fait d’être têtue comme une mule est de famille. Je ne sais pas si ça me rassure. Je suis navrée que votre mari ne soit pas capable de reconnaitre que Zander prend énormément sur lui. Je en voudrais pas le voir se brouiller à long terme. »

Finalement, l’isolation de son mari ne dura pas et il revint vérifier la cuisson avec une fierté non dissimulée.

« - Si ça a le gout de l’odeur, ça me convient parfaitement. »

Le ton de la soirée changea du tout au tout quand le livreur de bière s’avéra être un vieil ami.

« - Dire que je me demandais comment votre breuvage arrivait ici… Ca fait plaisir de vous revoir, Prius. »

Nadja débarrassa le prêtre de l’imposant carton qu’il transportait et lui sourit, franchement heureuse de le voir. Ce lui ferait aussi un bien fou à Zander et lui ferait sans doute arrêter de broyer du noir.

« Oh, ça c'est beaucoup amélioré par rapport à quand il était plus jeune. Et heureusement, sinon cela aurait mis un terme à ces aspirations de pilote aérospatial. »

Le bassin avait été l'objet de nombreuses discussions entre les trois membres de la famille et chacun avait dû faire des concessions.

« Oh, ça nous rendait dingues, comme vous dites. Nous avons fini par installer des détecteurs pour que Sid le surveille et nous avertisse en cas de souci jusqu'à ce que nous soyons assurés qu'il savait parfaitement nager et se débrouiller dans l'eau. C'est une condition que nous avons posée pour notre tranquillité d'esprit et qu'il conserve sa liberté. Une fois cet objectif atteint pour lequel il a mis beaucoup de cœur à l'ouvrage, croyez-moi, nous avons tout retirés. » expliqua-t-elle.

Son mari avait rechigné, mais c'est elle qui avait remporté la partie en se montrant intransigeante. Le reste la fit rire doucement, même si la situation l'inquiétait.

[/b]« Ça, en ce qui concerne être des têtes de mule, ils se ressemblent. Beaucoup trop à mon goût. Je pense que c'est d'ailleurs une partie du problème. Et je suis aussi navrée de voir la situation s'envenimer et j'espère effectivement que cela n'ira pas jusqu'à la rupture. Parce que passé ce point, je ne suis pas sûre que les choses pourront être réparées. Justement parce que ce sont de vraies têtes de mule… » [/b]conclut Neela.

******

Prius sourit à Nadja et à Neela.

« - Ça me fait aussi plaisir aussi de vous voir, Nadja. Oh, merci dit-il quand elle le débarrassa du carton. Je vais aller voir Zander qui semble avoir perdu sa langue... pour une fois. Et Neela, vous êtes radieuse, comme toujours.
- Prius, vous êtes toujours aussi flatteur. Mais si vous voulez plus de dessert, ce n'est pas à moi que vous allez devoir faire du charme ce soir, mais à mon fils.
- Je sais. Et aucun problème. Je vais d'ailleurs voir si je peux l'aider à retrouver l'usage de la parole.
- Venez avec moi Nadja, je vais vous montrez où poser tout ça et nous les rangerons aussi au frais par la même occasion, lui dit Neela. »

Prius regarda son ami qui le regardait toujours avec un air incrédule tandis que les deux femmes s'éloignaient.

« Oui je suis bien là, tu ne rêves pas. Et c'est un pur hasard. Je remplace au pied levé un de mes collègues malades qui devait escorter une nouvelle recrue ici. Mais de toute façon, à chaque fois que je viens, je contacte ta mère pour la saluer. Quand j'ai vu qu'elle avait commandé des bières, j'ai décidé de les amener moi-même. Impossible que je ne m'en charge pas, surtout quand elle m'a dit que tu étais là et que tu cuisinais. À en juger par l'odeur qui embaume les lieux, le repas promet d'être excellent. » fit-il en s'asseyant à côté de son ami.

Mais il n'avait pu s'empêcher de remarquer deux choses : l'absence de son père, ce qui n'était pas un mal à son avis, et la tension qui émanait du pilote, ce qui ne le surprenait pas. Cependant, elle était moins importante qu'il ne l'aurait pensé et c'était plutôt positif.

Zander finit par lui sourire et se détendre un peu plus, ce qui ne lui échappa pas.

« - Je dois dire que tu as le don d'apparaître là où je ne t'attends pas. Je ne savais pas que tu rendais régulièrement visite à mes parents.
- À la cuisine de ta mère, en fait. Je vois de qui tu tiens dans ce domaine. Comment vas-tu ?
- Bien. On revient de deux jour à Serain. C'était vraiment chouette. Sinon, ce soir, aussi bien que possible vu les circonstances. Ça ne s'est pas tellement mieux passé que d'habitude. soupira-t-il en regardant le salon. Et toi ?
- Bien. fit-il en souriant face à la réponse inhabituellement franche de son ami. C'est la routine au sein de l'Ordre. J'aurais peut-être besoin de tes service plus tard cette année, comme d'habitude.
- Pas de souci. Tiens-moi au courant suffisamment à l'avance que je puisse m'organiser avec la Terre.
- Zander, la durée de cuisson de vos légumes est atteinte, fit Sid, et ce sera aussi bientôt le cas pour la tarte.
- D'accord. Désolé, je dois aller finir de préparer le repas pour vous, bande de goinfres. à moins que tu préfères que ça brûle. lança le pilote en se levant pour aller officier aux fourneaux. »

Prius le regarda aller vers la cuisine dans laquelle sa mère le suivit, intriguée. C'était le moment pendant lequel Zander allait lui expliquer ce qu'il avait fait et les différents ingrédients. Quand à Nadja, elle lui apportait une des bières.

« Comment allez-vous ? Et vous deux ? Il a l'air de se porter plutôt bien ou en tout cas bien mieux que la dernière fois où je l'ai vu. »

Il connaissait trop bien Zander pour le croire sur parole. Même si ce dernier le tenait régulièrement au courant de ce qu'il lui arrivait, bien plus qu'avant d'ailleurs, il se doutait qu'il ne lui disait pas tout et qu'il était susceptible d'embellir un peu les choses, en particulier sur son état d'esprit réel, pour ne pas qu'il s'inquiète et le voir rappliquer en cas de souci. Comme lors de son échange où il avait soigneusement éviter de parler de son père.

L’arrivée de Prius avait dynamisé la soirée. Neela emmena Nadja dans une sorte de cellier ou étaient entreposé de nombreuse bouteilles qui ouvrit de grands yeux émerveilles.

« - Zander m’avait caché être un riche héritier, s’amusa Nadja. Même le bar ou j’ai bossé à une époque avait moins de bouteille que vous. »

Bon la seule boisson qui y était servi était un truc qui ressemblait pour moitié à de la bière et le reste à un mélange indéfinissable d’huile de vidange et d’insecticide. Elle récupérèrent une douzaine de bouteille pour les remonter au frais. Nadja s’empressa d’en déboucher une pour l’amener au livreur.

« - Pour vous récompenser de vos efforts et votre effet. »

L’effet était déjà visible sur Zander, partie légèrement plus détendue à la cuisine.

« - Et ça tombe à point nommé, confirma-t-elle. Ça va tes bien. Nous revenons de deux jours au soleil au bord de la plage. Et il n’aurait pas fallut grand-chose pour qu’on y reste. Ce qui n’aurait peut être pas été un mal. »

Elle avait prononcé la dernière phrase plus doucement pour que personne d’autre n’entende. Elle continua sur le même ton pour la suite.

« - Ça me rend malade que son propre père ne soit pas capable de prendre sur lui pour passer une simple soirée avec son fils. Il a fait beaucoup d’effort pour revenir ici après un incident le lendemain de notre arrivée. Et il n’a que du mépris en récompense. »

La flamme de colère disparue des yeux de Nadja en entendant les autre revenir et elle déposa un baiser rapide sur la joue du cuisinier quand celui-ci vint s’installer prés d’elle.

« - Alors tout est prêt ? J’en ai assez de saliver moi ! »

Prius sourit à Nadja et sentit sa colère contre le père de Zander. Il ne comprenait que trop bien ce sentiment. Cet homme faisait du mal au pilote sans s'en rendre compte. Ou du moins espérait-il que ce ne soit pas volontaire.

« Il ne m'a pas dit que cette escapade vous avez plu à ce point. Et je comprends ce que vous voulez dire. Mais vous n'y pouvez pas grand-chose. Cela n'a pas l'air de s'arranger entre eux à ce que je vois. Leur relation est compliquée depuis des années, vous savez. Et cela lui a fait parfois beaucoup de tort de venir ici, surtout au début, alors qu'il était encore fragile. Il essaie désespérément d'obtenir la reconnaissance de son père… Mais il serait revenue de toute façon pour voir sa mère. Ils sont très proches tous les deux et jamais ilne partirait comme ça ou acceptera de rester loin d'elle, même pour son propre bien. C'est une sacrée femme qui se plie en quatre pour son fils et qui fait tout pour le soutenir et le protéger... . » expliqua-t-il.

Il ne put pas en dire plus ou demander des détails sur l'incident dont elle venait de parler, car les intéressés revinrent de la cuisine. Il espérait qu'il aurait l'occasion de lui reparler en tête à tête avant la fin de la soirée. Zander rit à la question de Nadja en s'asseyant à côté d'elle.

« - Oui, c'est prêt, il ne reste plus qu'à mettre la table et à sortir la tarte du four et on pourra manger, répondit le pilote.
- J'ai vraiment hâte de goûter tout ça, en particulier la tarte, fit sa mère.
- Moi aussi ! rajouta joyeusement le prêtre
- Quelle bande de gourmands, je vous jure. Eh bien allez mettre le couvert au lieu de rester assis là ! Parce que c'est pas moi qui vais le faire vu que j'ai cuisiné pour vous tous, ajouta Zander avec un grand sourire. »

Une fois que les "volontaires" eurent mis la table, ils installèrent et il apporta la viande, la purée et une bouteille de vin rouge. Pour sa part, n'étant pas un adepte de cette boisson et faisant attention à la quantité d'alcool qu'il consommait, il en resta à sa bière puis à des jus de fruits.

Comme elle, Prius appréciait la mère de Zander et partageait son avis sur l’énergie et l’esprit protecteur maternel du petit bout de femme. Ils n’eurent guère le temps de discuter plus que tout le monde se retrouvait dans le salon. L’arrivée de Prius avait définitivement rendu son sourire à Zander, et c’était tant mieux. Si son père voulait bouder, grand bien lui fasse.

Nadja ne se fit pas prier pour aller mettre la table. Personne ne s’était posé la question si le prêtre restait dîner nota Nadja en souriant. Et c’était tant mieux.

« - La tarte ? demanda Nadja innocemment. Quelle tarte ? Le truc qui était au four et que j’ai grignoté en vous attendant ? Mais c’était pour une personne. »

Avec son air de petite fille prise la main dans le pot de confiture, on lui aurait donné le bon dieu sans confession.

Une fois la table tout le monde s’installa et Nadja déboucha la bouteille de vin avant de s’en servir un fond et de goutter. Elle n’était toujours pas une grande amatrice mais s’y mettait doucement et celui-la était suffisamment doux et fruité pour etre agréable.

« - Sur Terre, expliqua-t-elle, il y a presque un culte autour du vin rouge. Je vous avoue que ça nous passe un peu au dessus de la tête mais je reconnais que pour certain, comme celui la, c’est assez agréable. »

Elle se demanda si Zander avait également emporté du champagne. Voilà quelque chose auquel elle avait vraiment prit goût. Mais c’était lui le maître de cérémonie après tout.

Zander leva les yeux au ciel puis secoua la tête en entendant Nadja parler de la tarte alors qu'elle finissait de mettre la table.

« Ne viens pas te plaindre si tu es malade cette nuit. » la taquina-t-il avec un grand sourire avant de l'embrasser.

Ils s'installèrent tous pour commencer à manger. La présence de Prius ne le surprit tant il semblait évidemment que sa mère et lui avaient conspiré tous les deux pour que le prêtre passe la soirée ici. Ce n'était pas un problème du point de vue quantité de nourriture de toute façon.

Tandis qu'il servait tout le monde, Nadja s'occupait du vin. Il le goûterait par curiosité, mais pas plus.

« Pas que le vin rouge. Il en existe aussi des blancs. Presque tous les pays en produisent. J'en ai une bouteille pour le dessert. J'ai aussi une bouteille de champagne dont raffole Nadja et un digestif, enfin, un alcool fort. Personnellement, je préfère les bières. Il semble y en avoir des variétés à l'infini. » annonça-t-il en faisant un grand sourire à la militaire.

Il leur expliqua rapidement le processus de fabrication du vin puis tout le monde se mit à manger. L'atmosphère était bon enfant et ils leur racontèrent leur séjour à Serain et leur vie sur Terre de manière plus détaillé que dans les messages de Zander. Sa mère, et Prius, purent ainsi le féliciter de vive voix pour la réussite de son examen, mais aussi pour leur emménagement.

Prius fut ravi d'entendre que son ami avait enfin réussi à s'intégrer quelque part et à se construire une vie. Il ne put s'empêcher d'observer le couple et de remarquer avec beaucoup de plaisir que celui-ci semblait solide. C'était tant mieux et cela serait primordiale pour la suite. Une part de lui se détester pour ce qu'ils allaient faire à Zander, même si c'était pour son bien, mais le fait de savoir qu'il ne serait pas tout seul pour traverser tout ça était réconfortant. Il ne s'y serait jamais risqué sinon.

Zander finit par amener le dessert et la bouteille de muscat que lui avait recommandé le vendeur. La tarte reçut les éloges de tous les présents.

« - Je suis jalouse, dit sa mère. Tu es en train de me surpasser. C'est vraiment délicieux.
- Mais non. Je suis sûr que tu trouveras des ingrédients qui te permettront de faire quelque chose de semblable.
- Mais ça ne sera pas la même chose. Tu devrais songer à ouvrir un établissement culinaire un jour. Je suis certaine que tu ferais fureur avec tous ses plats exotiques et ses alcools.
- Je suis d'accord avec ta mère, Zander. Je suis persuadé que tu seras même capable de monter un réseau d'approvisionnement sans aucun problème, rajouta Prius.
- Oui, oui, on verra… Un jour peut-être, répondit l'intéressé avec un sourire. »

Zander ne savait plus trop où se mettre et se contenta de finir sa tarte avant d'aller chercher le champagne et le digestif pour lesquels il ferait là encore une petite explication rapide.

Bien mieux qu’elle, Zander expliqua la tradition du vin et révéla qu’il avait effectivement du champagne, ce qui arracha à l’ex marine un sourire radieux.

Elle laissa Zander raconter ses aventures terriennes (tout du moins une version édulcorée, ils n’auraient sans doute apprécié d’entendre parler de son voyage dans le passé). Elle l’avait rarement vu aussi ouvert, jovial même, en société. C’était particulièrement plaisant. Ils enchainèrent ensuite sur leurs récentes vacances et leur coup de foudre pour la ville.
Depuis qu’ils en avaient parlé dans le train, Nadja avait eu le temps de réfléchir un peu plus à sa proposition et elle devait avouer que ça la tentait de plus en plus, au-delà de l’euphorie passagère des vacances.

Quand la tarte arriva et que les compliments fusèrent, elle s’amusa de l’échange entre Zander et sa mere.

« - Si vous voulez qu’on vous départage, je suis totalement volontaire pour vous départager. Prius, qu’en pensez-vous ? On ne peut pas les laisser dans une telle expectative. »

Ça n’était pas la première fois que le projet de restaurant ou de chaine d’approvisionnement faisait surface et Zander semblait y être de plus en plus réceptif. Et après tout pourquoi pas ? Il avait le talent pour et s’il se décidait a tenir en place plus de quelques mois au même endroit, cela avait toute les chance de fonctionner.

Pendant qu’il servait le gâteau, elle s’occupa de la bouteille de champagne qui pétilla bientôt joyeusement dans les verres. Elle lui laisserait cependant la responsabilité du toast final.

Prius fit un très large sourire à Nadja en approuvant du chef.

« Je suis tout à fait d'accord. Je suis aussi volontaire pour jouer les juges et les départager. » répondit Prius à Nadja tandis que Zander secouait la tête avec un sourire sur le visage.

Une fois le champagne servi, Zander leva son verre. Il ne savait pas trop quoi dire, alors il opta pour quelque chose de court et simple :

« À une belle soirée en famille autour d'un bon repas ! »

Il avala le liquide pétillant en réussissant à réprimer sa grimace. Comme les les gens pouvaient aimer ça à ce point ?

Puis il replongea dans sa tarte. Il n'avait jamais pensé à ouvrir un restaurant. C'était une idée farfelue qu'il lançait parfois sans jamais être vraiment sérieux. Pour lui, il s'agissait surtout d'un passe-temps qu'il avait développé après en avoir eu assez de manger toujours la même chose ou des rations. Alors il s'était mis à cuisiner parfois des plats. Mais cette activité avait pris un tour particulier quand il avait découvert que son père n'émettait pas la moindre critique sur le sujet et lui faisait même parfois un compliment. Et il adorait cuisiner pour Nadja. Avoir une vraie cuisine facilitait aussi grandement les choses.

Zander aida à débarrasser puis s'éclipsa quelques minutes.

« - Ça fait plaisir de le voir comme ça. C'est bien la première fois, fit Prius.
- Cela faisait longtemps que je ne l'avais pas vu comme ça ni être aussi gêné de recevoir des compliments. Pas depuis dix ans... Et ce n'est pas vraiment nos félicitations qu'il attendait ce soir... murmura sa mère, une ombre passant sur le visage. Je vais préparer des raktas, ajouta-t-elle en s'éloignant. »

Prius soupira discrètement et posa son regard sur Nadja.

« Non, il attendait celles de son père qui généralement ne dit rien de mal sur le sujet. C'est bien le seul domaine où il ne le critique pas d'ailleurs. » dit-il à l'attention de Nadja.

« Mais je crois que sa mère a été contente d'apprendre que je me trouvais là et de m'inviter pour l'occasion pour lui changer les idées. Et je suis désolé, mais je vais un peu casser l'ambiance... » commença-t-il, décidant de saisir l'occasion.

« À propos de notre petite excursion... Je sais que l'organisation a pris plus de temps que prévu, mais cela peut se faire fin octobre. Autant que vous le sachiez, mais cette année marque le dixième anniversaire la mort de Leïla et le voyage tomberait en plein pendant les célébrations. Tout le monde sera occupé dans la capitale. J'ai un prétexte pour faire quitter votre base à Zander vu que chaque année à cette époque je l'engage pour une mission de livraison afin de le garder à l’œil. Je sais qu'il n'est pas dupe de ma manœuvre et qu'il apprécie probablement, même s'il n'a jamais rien dit. Mais il va falloir résoudre l'épineuse question de l'emmener sur Harlan où il n'ira pas de son plein gré, encore moins maintenant qu'avant. Il va au contraire vouloir enterrer tout ça encore plus profond qu'avant... » lui dit-il.

Nadja essaya de ne pas pouffer en voyant son mari se retenir de grimacer à la première gorgée de liquide pétillant. Il avait emporté la bouteille pour la faire découvrir à sa famille et lui faire plaisir, mais ça n’était décidément pas à son gout.

Subrepticement, elle échangea leurs verres quand elle eut quasiment terminé le sien. Finalement, il retourna à la cuisine et Nadja put reprendre sa conversation avec Prius et Neela.

« - Oui c’est vrai. Nous avons parlé du futur pour la première. Notre futur. Et je crois que ça lui a bien plu. »

La déclaration, très vrai de sa belle-mère lui fit grincer des dents. Si elle avait tenu le père de Zander entre ses pattes, elle lui aurait expliqué deux ou trois petites choses sur les relations familiales. Elle se demanda soudain si ça n’était pas sa faute. Elle avait été plus que sèche avec lui lors de leur dernière rencontre. Avait-elle pu lui faire suffisamment peur pour le chasser de chez lui ? Même si elle ne regrettait pas une seconde ce qu’elle lui avait dit, l’effet était quand même plutôt contre-productif.

Elle écouta ensuite ce qui lui disait le prêtre et serra les lèvres. Ça allait être difficile pour Zander et il allait leur en vouloir.

« - Ne lui en parlez pas ce soir, s’il vous plait. Il va bien, ne lui gâchons pas ce moment."

En fait elle n'en avait aucune envie, jamais. Oh, sa révolution n'avait pas réellement changé. C'est juste qu'elle n'avait aucune envie de mettre en danger sa relation, au beau fixe depuis qu'ils avaient mis les chose au point.

Elle était cependant bien assez réalise pour savoir qu'il faudrait en passer par la, un jour ou l'autre.

Neela sourit très largement en entendant évoquer une possibilité de futur commun entre Nadja et son fils. Mais elle allait s'abstenir de poser l'autre question qui lui vint naturellement. Pas question de leur mettre une quelconque pression. Elle ne l'avait jamais fait et avait toujours laissé son fils aller à son rythme, alors elle n'allait pas commencer aujourd'hui avec son couple.

« - Vous m'en voyez vraiment ravie. Je ne pensais pas que cela arriverait un jour, fit-elle visiblement aux anges.
- Et moi donc, ajouta Prius. »

Prius sourit doucement à la réponse de Nadja. Il pouvait presque l'entendre penser et voir les rouages tourner dans son cerveau.

« Non, je ne gâcherai pas cette soirée. Il a déjà assez souffert comme ça et il a plus que mériter le droit de profiter de moments de bonheur comme celui-là, comme tout le monde. Mais je n'ai de toute façon pas l'intention de lui en parler du tout. Ni ce soir, ni dans un avenir proche. S'il apprend ce que nous mijotons, il y a de très fortes chances qu'il essaie de se défiler, d'une manière ou d'une autre. » commença-t-il.

Il ne se savait cependant pas ce qu'il ferait exactement et jusqu'où il irait pour se protéger. La situation avait beaucoup évolué au cours des six derniers mois et le pilote avait changé. C'était encore plus net maintenant qu'en janvier. À ce moment-là, il n'aurait probablement pas hésité à mettre en péril ce couple qui en était encore à chercher ses marques, mais maintenant, rien n'était moins sûr. Mais plus il irait bien, plus cela avait des chances de "mieux" se passer. Enfin, c'est ce qu'il espérait en tout cas.

« Je n'ai pas plus envie que vous de lui imposer ça, vous savez. Si ce problème pouvait se résoudre seul au fil du temps ou si j'étais certain que nous finissions un jour par le convaincre d'y aller volontairement, j'attendrais. Mais cela ne fonctionne pas comme ça. Ce serait trop simple. À l'heure actuelle, le Gris estime juste que la période proposée serait le meilleur moment, car il sera plus facile de passer inaperçu du fait des festivités. Mais il n'y aura jamais de moment parfait pour le faire, juste des moments moins pires que d'autres. À vous de voir si vous souhaitez toujours aller jusqu'au bout. » lui dit-il doucement.

Le Gris, ou du moins les quelques membres au courant qui œuvraient dans l'ombre, s'impliquait beaucoup dans l'affaire et tirait à peu près toutes les ficelles à sa disposition pour s'assurer que Zander puisse arriver le plus discrètement possible et que personne n'apprenne sa présence, ou alors le plus tard possible. Ils avaient la ferme intention de réparer autant que possible les torts que le pilote avait subi en raison de leur incapacité à le protéger correctement et de lui permettre d'enfin faire son deuil. Mais s'il n'avait pas son soutien à elle, il mettrait un terme à tout cela ou du moins, suspendrait le projet jusqu'à nouvel ordre. Il ne pouvait pas faire tout cela seul ou avec l'aide du Gris uniquement. Zander avait impérativement besoin de quelqu'un qui l'aiderait à traverser ça sans faillir. Et malheureusement, il ne pouvait pas tenir ce rôle, à son grand regret.

Soulagée que Prius n’ait pas l’intention de parler avec son mari d’un éventuel voyage vers Harlan, Nadja se détendit un peu et écouta la suite tout en sirotant son champagne. Elle avait un peu trop bu ce soir, et la tête lui tournait légèrement. Mais elle conservait suffisamment de clarté pour enregistrer ce qu’il lui disait et sentir une petite alarme se mettre à sonner dans sa tête.

« - Vous craignez des problèmes ? Entre la discrétion et la diversion, tout cette expédition commence à sérieusement ressembler à une opération d’infiltration derrière des lignes ennemies. »

Elle en rajoutait peut-être un peu, mais elle refusait de risquer la vie de Zander dans une opération hasardeuse, d’autant qu’il serait lui-même plus que perturbé.

« - Quand vous serez prêt, il faudra que nous en parlions sérieusement avant. Si d’ailleurs vous pouviez me faire parvenir rapidement un plan de l’endroit en question, et des données sur al planète que je puisse me familiariser avec, je vous en serais reconnaissante. »

Quitte à considérer ça comme une opération militaire, autant le faire bien.
Zander et sa mère revinrent là-dessus avec le café local et une bouteille que reconnut immédiatement Nadja.

« - Et ben on va pouvoir bien dormir apres tout ca, s’amusa-t-elle. »

Ce qui ne l’empêcha pas de tendre son verre avec un sourire lumineux.

Prius rit doucement à la réaction toute militaire de Nadja.

« Des problèmes ? Non, pas vraiment. Nous essayons juste de rester discrets pour limiter les interférences, notamment de la famille Sims qui a une dent contre Zander ou des officiels qui aimeraient bien le récompenser pour services rendus. Ce n'est vraiment pas dans son intérêt pour l'instant, alors le Gris tente de le protéger autant que possible en amont. En dernier ressort, ils peuvent toujours refuser l'accès à l'enceinte de recueillement à qui ils veulent. Autant ce n'est pas un souci avec les Sims, autant cela reste un peu plus délicat concernant des officiels. Mais ils feront tout pour que personne n'entre en contact avec lui une fois sur place, mais encore faut-il que nous y arrivions. » expliqua-t-il.

Prius trouvait d'ailleurs que cela frôlait la surprotection, mais avec ce qui était arrivé la dernière fois, il pouvait comprendre. Le Gris entendait bien pouvoir faire ce qu'ils n'avaient pas pu la dernière fois. Mais à défaut de savoir comment Zander percevait exactement le Gris, lui avait insisté pour que des membres des Bergers soient intégrés au personnel pour l'occasion et que le Gris laisse Zander aussi tranquille que possible.

« Oui, nous pourrons essayer de prévoir une rencontre pour parler de tout ça plus en détails. Mais il ne reste qu'un élément à vraiment organiser, c'est emmener Zander là-bas. Une fois sur place, eh bien, tout dépendra de comment il réagira... Et ce n'est pas un milieu hostile, Miss Cook. Vous n'avez pas besoin de venir avec votre armure et vos armes. De toute façon, tout cela est formellement interdit. Toutes les enclaves du Gris sont des espaces neutres dans lesquels les discussions sont encouragées, aussi animées puissent-elles être. Tout acte considéré comme violent est sanctionné par l'expulsion immédiate des lieux de tous les contrevenants qui ne sont pas des patients. Le Gris est intraitable là-dessus et les sanctions peuvent aller jusqu'à l'interdiction d'accéder aux lieux si cela menace la santé du patient. » ajouta-t-il en guise d'avertissement.

Il n'eut pas l'occasion de continuer et sourit au pilote et à sa mère qui revenaient avec un nouvel alcool et le rakta.

« - Il me semblait pourtant que tu tenais bien l'alcool, répondit le pilote, tout aussi amusé, à Nadja. C'est du cognac. Tu n'es pas non plus censée boire toute la bouteille, juste un petit verre. En plus, c'est à déguster, ajouta-t-il avant de rasseoir.
- Une bonne nuit de sommeil me semble peu cher payé pour un repas aussi délicieux. Je suis prêt à remettre ça n'importe quand, fit le prêtre en levant son verre avant de goûter le digestif. »

Ça, c'était un type d'alcool que Zander appréciait, bien plus que le vin et le champagne.

Le reste de la soirée se passa dans la détente et la bonne humeur.

***************

Le lendemain se passa tranquillement entre balade, baignade et visite de l'Armurerie pour faire quelques acquisitions.

Le surlendemain, veille de leur départ, était consacré à la détente et à d'éventuels achats de dernière minute. Prius devait passer les voir dans l'après-midi pour les saluer, son propre départ de la planète étant prévu pour le soir même.

Entre-temps, le père de Zander n'avait pas montrer le bout de son nez, soi-disant réquisitionné pour remplacer un collègue sur un projet se déroulant dans une autre ville. Ce n'était pas Zander qui s'en plaindrait, bien au contraire, et cela lui permit d'Apprécier le reste de son séjour de manière détendu. Sa mère, quant à elle, supervisait les derniers travaux sur Stella. Le pilote dut s'absenter pour régler deux trois détails administratifs au centre local dans le courant de l'après-midi. Prius débarqua pendant son absence.

Prius tenta de rassurer Nadja mais n’y réussit qu’à moitié. Oui les gris les protégeraient de toute influence, mais s’il y avait besoin d’être protégé, c’est bien qu’il y avait quelque chose à craindre, non ? La suite l’agaça encore plus et elle ne se gêna pas pour le dire.

« - Je veux bien croire que ce n’est pas un milieu hostile mais ça ne veut pas dire que je confierai les yeux fermé ma sécurité et encore plus celle de Zander à une bande de pacifiste, à plus forte si je ne les ai jamais rencontrés. »

Difficile de se tromper sur ce qu’elle pensait des « pacifistes » au ton qu’elle avait employé. Mais elle avait croisé quelques doux dingues en son temps et c’était rarement bien terminé pour eux. Et elle plaignait celui qui essaierait de l’expulser de force.

Elle n’eut pas l’occasion de faire baisser la tension entre eux que leurs hôtes revenait et, après avoir échangé un regard avec le prêtre signifiant « on s’en reparle » elle se recomposa un sourire et se détendit pour le reste de la soirée, un verre à la main.


**

Le reste du séjour fut des plus agréable même si le père de Zander ne revint pas chez lui. C’était d’un côté un soulagement mais ce comportement lâche agaçait Nadja profondément. Elle ne fut par contre pas vraiment surprise de voir arriver Prius, une après-midi ou Zander s’était absenté et qu’elle était occupé à taper dans un punchingball qu’elle s’était bricolé.

« - Comment faites-vous pour toujours arriver quand je fais de l’exercice ? s’amusa-t-elle. Je vais finir par croire que vous faite exprès. Je vous sers à boire. »

Apres avoir emmené deux verres d’eaux et récupéré une serviette pour s’essuyer, elle s’installa en face de lui soudain beaucoup plus sérieuse.

« - Ecoutez, je suis désolé pour avant-hier soir, j’ai surréagi. Je m’inquiète beaucoup pour Zander et ce qu’on va lui faire subir. Je n’ai pas envie de rajouter une préoccupation de sécurité. Vu ce que vous m’avez décrit en me demandant de remettre notre sécurité dans les mains d’inconnus, ça me crispe un peu. Je pense qu’il serait intéressant que vous nous mettiez en contact direct. »

Prius sourit à la question de Nadja.

« J'ai un sixième sens pour ce genre de choses. J'apprécie comme tout un chacun ce genre de spectacle. En tout bien tout honneur, évidemment. » répondit-il, avec un sourire malicieux.

Il n'avait pas mal pris ses remarques de l'autre soir qui n'était que l'expression de sa préoccupation pour Zander et de son côté professionnel. Et une dose de méfiance n'avait jamais fait de mal à personne. Mais cela devait venir aussi avec son travail.

« Il n'y a pas de problème. Je comprends parfaitement vos inquiétudes. Le Gris ? Pacifiste ? Vous vous méprenez. Ils sont parfaitement capables de recourir à la force, y compris physique, en cas de besoin. Mais c'est très rare. Comme les attaques à leur encontre. Les sanctions pour ce genre de forfait sont dissuasives. Ce qu'a vécu Zander relève de l'exception. Les coupables ont été retrouvés, jugés puis condamnés. À mort. C'est le Gris qui a mis en oeuvre la sentence. Ils ont été passés par les armes. Tout cela pour rappeler qu'on ne touche pas impunément aux siens. Surprenant pour des pacifistes, non ? » lui expliqua-t-il.

Il avait d'ailleurs été surpris par cela, tant ça ne cadrait pas avec l'image renvoyée par le Gris et avec ce que Zander lui en avait dit. Et cela ressemblait à "œil pour œil, dent pour dent", surtout que la méthode utilisées ressemblait fort à celle dont avaient été victimes le pilote et la médecin. Et cela le mettait légèrement mal à l'aise.

« Les Historiens de l'Ordre sont fascinés par ce respect dont ils font l'objet et ils cherchent à retracer leurs origines pour découvrir pourquoi. Les premiers éléments suggèrent qu'ils n'ont pas toujours été aussi... pacifiques qu'aujourd'hui et qu'ils ont acquis leur statut justement en recourant à la force. Les documents font référence de véritables groupes de défense interne qui protégeaient les sanctuaires, et les membres sur le terrain, lesquels n'hésitaient pas à protéger leurs ouailles par tous les moyens. Ils y sont décrits comme impitoyables et inflexibles, refusant de se plier à une quelconque autorité en dehors de la leur. Cette force existe toujours, mais elle est invisible. Comprenez par là qu'ils ne se baladent pas avec des armes en évidence. Ce ne serait pas très rassurant pour les patients et les familles qu'ils accueillent. mais ils sont bien là, surtout avec la guerre qui a fait rage, mais tout semble indiquer que leur rôle se limite à la protection des enclaves. »

Prius retint un soupir à sa dernière demande. Il n'était pas certain que les intéressés apprécient qu'une parfaite étrangère qui allait bénéficier de leur hospitalité mette en doute la sécurité de leur sanctuaire principale.

« Vous allez devoir accepter leurs règles, qu'elles vous plaisent ou non. Ce sont les mêmes pour tout le monde, sans exception. Et croyez-vous vraiment que j'emmènerai Zander quelque part si je n'étais pas certain qu'il y sera en sécurité ? Vous allez devoir me faire un peu confiance. Quand à les contacter, vous ne le pourrez pas tant que vous ne serez pas en orbite autour de la planète. »

Au moins, elle ne l’avait pas vexée. Ça n’aurait pas été la première fois que son sang chaud et un peu d’alcool lui jouait des tours. Mais le prêtre semblait comprendre ses inquiétudes. Il lui expliqua en détail ce qu’était réellement les gris.

« - J’ai jamais fait de maintien de paix mais nous avions quelques colonie ou une présence militaire était nécessaire. Ce genre de méthode ne me surprend pas. »

Ça la rassurait même. C’était quelque chose qu’elle comprenait, même si ça lui faisait grincer des dents.

« - Prius, si je ne vous faisais pas confiance, nous n’aurions pas cette conversation et je ne me lancerais pas dans cette aventure. Mais comprenez-moi : Je vais mettre mon mari plus bas que terre et risquer notre avenir. Je n’aurai vraiment, mais alors vraiment, pas envie de me préoccuper de soucis de sécurité ou de susceptibilité des uns et des autres. »

Elle n’aurait aucun remords à laisser tomber l’expédition si elle sentait à un quelconque moment un danger. La santé de Zander, et accessoirement celle de Prius, primait sur tout le reste.

« - Je suppose que vous les préviendrez de notre arrivée. Rien n’empêchera donc que je m’entretienne avec mon homologue à notre arrivée en orbite. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, je sais me montrer raisonnable et ne suis pas une folle de la gâchette. Ça n’empêche que je ne m’aventurerai pas sur une planète inconnue, dans une situation potentiellement volatile, en minijupe et haut talon. »

L’image pouvait prêter à sourire mais son ton ferme beaucoup moins.