Créance de sang

Mei ne s'attendait pas du tout à cette réaction de la part de Nadja et sa réplique ne se fit pas attendre.

« LIEUTENANT COOK ! Vous ne sortirez pas de cette infirmerie avant que je vous en aurai donné l'autorisation. Si je dois faire appel à la sécurité et vous attacher sur un lit, je n'hésiterai pas une seule seconde. Me suis-je bien faite comprendre ? » fit Mei sur le ton de l'officier supérieure qu'elle était et qui s'adressait à un subordonné.

Elle n'avait aucun problème à suivre les ordres de Nadja sur le terrain, mais l'infirmerie était son domaine. Elle ne la laisserait pas faire la loi de cette manière, même si elle comprenait ce qui motivait la réaction de son amie. Et si son amie pensait pouvoir gagner cette bataille, elle se trompait lourdement. Ce n'était pas la première fois qu'elle avait à gérer des patients caractériels et peu coopératifs,

« Est-ce que vous allez coopérer ou vais-je devoir employer les grands moyens ? Je peux laisser tomber la surveillance par moniteur et vous laisser vous rhabiller, mais vous ne sortirez pas d'ici avant que les effets du midazolam ne soient dissipés et que je vous juge en état de sortir. » ajouta-t-elle sur le même ton que Nadja.

Des compromis, elle pouvait en faire. Mais elle ne pouvait pas se permettre de céder et la laisser partir avant qu'elle l'y autorise. Sinon, cela minerait son autorité non seulement en tant que médecin, mais aussi en tant qu'officier. Par ailleurs, elle ne pensait pas avoir à la garder plus d'une demi-heure en raison de la vitesse à laquelle son organisme éliminait les drogues locales et elle pouvait se contenter de vérifier ses constantes de manière rapide et classique avant son départ.

Elle nota la présence de son confrère psychiatre de la station. Au moins, cela n'avait pas traîné, mais elle ne s'attendait pas à ce qu'il se déplace en personne. Elle s'attendait plutôt à voir l'un des autres psychiatres de l'équipe venir.

« Par ailleurs, je dois m'entretenir avec le Dr Bressignac AVANT que vous le voyiez. Est-ce que vous voulez bien retourner sur votre lit ? » fit-elle sèchement.

Malgré le sédatif, Nadja avait encore de l'énergie à revendre. Sa réaction à l'encontre du médecin surprit Zander qui resta un instant interloqué, ne sachant pas comment réagir. Le ton de sa femme indiquait clairement qu'elle n'avait pas l'intention de discuter ou de changer d'avis.

« Nadja… » commença-t-il pour tenter de la raisonner alors qu'elle se rhabillait.

Mais il n'eut pas le temps de dire grand-chose de plus, car la voix de Mei résonna dans l'infirmerie. Et pas la voix amicale qu'elle avait utilisée jusque-là et qu'il lui connaissait, non. Loin s'en fallait même. Elle ressemblait à celle de Nadja quand celle-ci lui passait un savon. Il se figea et sentit quelqu'un le tirer doucement en arrière, car il se trouvait entre les deux femmes. Il réalisa que c'était Jessie qui secoua la tête lorsqu'il voulut intervenir à nouveau pour parler à son épouse.

« Oh non, ne vous en mêlez pas. Laissez ces deux têtes de mule s'affronter. Ce n'est pas la première fois que cela arrive. Contentez-vous d'observer. Ça pourrait être instructif. » lui dit à voix basse l'infirmier en chef.

Il regarda l'Hispanique, désemparé, mais légèrement intrigué.

« Être aimable et à l'écoute des patients est une chose essentiel, mais il faut aussi savoir se montrer ferme et s'imposer lorsqu'ils sont récalcitrants. Ici, les rapports de force sont accentués à cause des grades et de l'uniforme. Vous semblez plutôt bien vous débrouiller en terme de contact, mais avez-vous déjà été confronté à un patient hostile et savez-vous comment réagir ? » l'interrogea-t-il.

Le pilote secoua négativement la tête. Non, il ne s'était jamais retrouvé face à un patient non coopératif, Mais là, ce n'était un patient lambda, c'était sa femme et il lui était difficile de rester sans rien faire. Il était inquiet et voulait intervenir pour tenter de la raisonner.

Il nota l'arrivée du psy qu'il avait lui-même consulté une bonne partie de l'année précédente pour l'aider à mettre de l'ordre dans sa tête. Jessie l'entraîna vers la sortie, histoire de barrer la route à Nadja, même si aucun des deux ne faisait vraiment le poids fasse à elle.

« Votre rôle sera de la charmer et d'essayer de la dissuader de sortir. Je suppose que vous connaissez les protocoles et que vous savez que cela ne finira pas très bien pour elle entre la sécurité et une dose de sédatif pour l'assommer cette fois, si elle refuse d'obtempérer... » ajouta inutilement l'infirmier.

« - Tu veux me garder contre mon gré, doc ? murmura Nadja n’une voix bien trop doucereuse pour être honnête, J’aimerai bien voir ça ! »

Les deux femmes s’affrontèrent du regard quelques seconde avant que le médecin ne reprenne. Nadja haussa les épaules en réponse et gromela quelques mots.

« - C’est bien ce que je dis. J’attend que ton produit finisse de faire effet et on en a fini. J’en ai plein le dos de me faire charcuter ; Je suis pas votre cobaye. »

Une fois habillée, elle retourna s’assoeir et, plutôt que d’attendre comme une andouille, elle demanda du papier et de quoi dessiner. Un simple crayon à papier lui suffit pour mettre en image sa vision avec un luxe de détail dont elle ne se serait pas crue capable. On y distinguait parfaitement plusieurs hommes et femmes en blouse blanche qui s’affairaient sur les diverses machines, les moniteurs de diagnostics ou apparaissait son corps détruit et surtout le visage de l’homme qui dirigeait l’opération et qui ressemblait à s’y méprendre à Thomas Sincet.

Finalement, le psy pointa le bout du nez. Nadja le vit s’entretenir quelques minutes avec le médecin chef qui lui donnait sans doute quelques explications générales. Alors qu’il venait vers elle, elle tendit le dessin à Zander

« - Tu peux donner ça à Mei, s’il te plait ? Elle pourra peut-être en tirer quelque chose."

Mei fit un grand sourire à Nadja.

« Ce serait un plaisir que de t'agréer et de te montrer ce que mon équipe sait faire, si tu insistes vraiment. Si tu crois que tu es la première à vouloir quitter ces lieux sans autorisation, tu te trompes. Et si tu penses que je vais te laisser faire ce que tu veux, tu te trompes aussi très lourdement. » répondit-elle sur un ton mielleux.

Elle ne voulait pas en arriver là, mais ils avaient déjà neutralisé des forces de la nature et ils savaient aussi quelque dose de sédatif utilisée pour l'arrêter. Quand elle vit son amie retourner sur son lit, l'air renfrognée, toute l'infirmerie se remit à respirer.

« Nadja, je ne te charcute pas et tu n'es pas un cobaye, même si c'est l'impression que tu as. Nous cherchons à comprendre ce qui t'arrive. Je peux comprendre que tu n'apprécies pas tous ces examens, mais tu as bien vu que nous n'avons pas les mêmes technologies qu'à ton époque et que nous tâtonnons sans arrêt te concernant. J'en suis la première navrée, crois-moi. Si nous n'y arrivons pas à trouver ce qui ne va pas, nous ne pourrons pas te soigner, ni même t'aider et ton état continuera à se dégrader. Parce que tu ne vas pas bien. Je pense que tu t'en rends compte et que cela te terrifie... » lui dit-elle après s'être rapprochée.

Elle la laissa à son dessin et alla discuter avec de Bressignac pour lui expliquer les raisons pour lesquelles elle l'avait appelées. Quand Zander lui apporta le dessin, elle le regarda avec attention pour essayer de comprendre ce qu'elle voyait, car elle n'en était pas certaine. Elle allait devoir poser quelques questions à Nadja, enfin, une fois qu'elle aurait vu le psy, voir même plus tard, le temps qu'elle digère tout ça.

La réponse du médecin surpris Nadja. Plus par ce qu’elle sous entendait que son contenu qui ressemblait à de la bravade. Pourquoi Mei la provoquait-elle délibérément ? A quoi jouait-elle exactement ? L’égo du médecin avait-il prit totalement le contrôle et l’empêchait-il de voir les dégâts qu’elle provoquait en ce moment.
Elle retourna donc s’assoir et commençait à peine à dessiner quand le médecin chef revint lui parler.

« - Non, justement, tu comprends pas. Ça n’a rien à voir avec de la technologie défaillante. Si ce que je vois est vrai, j’ai été dans un endroit comme ici, prisonnière, soignée contre mon grès. Et tu es en train de faire exactement la même chose. Je sais que je vais pas bien. Mais je commence à comprendre pourquoi. La dernière chose dont j’ai envie c’est d’avoir de nouveaux médecins autour de moi qui s’amuse comme des petits fous avec leur nouveau jouet. »

Zander de son coté se fit plus discret et elle lui en fut gré. Elle avait besoin de solitude et de se vider l’esprit. Elle lui donna le dessin et confirma d’un hochement de tête qu’il ne se trompait pas.

« - Si t’aligne les bières, je veux bien te raconter. Mais y a pas grand-chose à dire, tu risques d’être déçu. »

Mais avant, il lui faudrait en parler au psy. Et elle en avait à peu près autant envie que de se mettre la tête dans le four. L’entrevue prit une bonne demi-heure pendant laquelle rien ne filtra. Ni pleurs ni cris ni insultes…

Finalement Nadja ressortie, visiblement tendue mais elle fit l’effort de sourire à son mari avant de prendre la direction de la sortie. Mei l’intercepta pour lui remettre une ordonnance et lui annonça qu’il faudrait bel et bien envisager un régime, ce qui fit soupire l’ex marine. A quoi bon avoir à disposition les meilleures denrées du monde si c’était pour s’en priver.
Libérée pour la journée, elle se retrouva à Colorado Springs avec Zander, ne sachant pas trop quoi faire.

« - Je vais nager, déclara-t-elle enfin. Cette histoire m’a rendue dingue. »

Comme s’il ne le savait pas déjà.

Mei écouta Nadja avant de lever les yeux au ciel et de soupirer.

« Et comment voulais-tu que je le sache au juste ? Tu n'as pas franchement été loquace sur ce que tu as vu. Tu me l'aurais expliqué calmement au lieu de réagir comme tu l'as fait, j'aurais compris. Je ne suis pas eux, Nadja. Tu n'es pas l'un de mes cobayes. Tu es une patiente et je fais ce que j'estime nécessaire pour te soigner de manière appropriée. Et nous ne soignons pas les gens contre leur gré. Tu as le droit de refuser un traitement, mais il sera de mon devoir d'essayer de te faire changer d'avis et de m'assurer que tu comprends ta décision et ses conséquences. En revanche, je ne peux pas te laisser sortir de l'infirmerie si je ne suis pas sûre et certaine que tu n'es pas un danger, que ce soit pour toi ou pour les autres. Il est de ma responsabilité de protéger l'équipage et ses membres, y compris contre eux-mêmes, quitte à prendre des mesures pour immobiliser un patient, même contre sa volonté s'il est dangereux. Crois-moi, je n'aime pas en arriver là, mais parfois, c'est nécessaire, pour le bien de tout le monde. Et avec ce qu'il vient de se passer, avec ce que tu es capable de faire et ta réaction, tu ne vas pas me reprocher d'être prudente. La situation aurait été inversée, tu aurais fait la même chose, je me trompe ? » lui expliqua-t-elle.

Pendant l'absence de Nadja, elle discuta avec Zander des différences entre service sur un vaisseau comme l'Achilles et le JPS puis lui demanda. de garder un œil sur Nadja et sur ses cauchemars, avant de le confier aux bons soins de Jessie.

Lorsque Nadja revint, elle ne lui posa pas de questions sur ce dont elle avait discuté avec le psy. Cela attendrait sa prochaine visite puis son confrère lui donnerait son avis et lui ferait ses recommandations. Elle prescrit lui prescrit un antiacide et lui demanda de l'avertir si les cauchemars s'aggravaient et l'empêchaient de dormir, auquel cas elle lui donnerait autre chose pour l'aider à dormir. Elle finit par les mesures à prendre concernant son régime alimentaire : réduire l'alcool, le café, le thé, le chocolat, la nourriture épicée et les matières grasses pendant un temps et manger plus de fruits et de légumes avant de la libérer pour la journée pour qu'elle aille se changer les idées.

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