Last chance to lose control

Le soleil tapait encore durement en cette fin d'après-midi. A l'ombre d'un arbre, dans la cour de la résidence, Aaron était assis sur sa caisse à outils défoncée, face à sa moto, une Yamaha V-Max 1200 de 1985.
Avec son jean troué, son vieux tee-shirt taché de graisse et sa casquette visée sur la tête, il détonnait avec l'image qu'il renvoyait en service : celui du militaire toujours impeccable. Les avants-bras tachés de graisse, il était en train de réaliser la vidange de sa moto en marmonnant les paroles d'un morceau qui grésillait sur la petite radio posée dans l'herbe à côté de d'un pack de bière à moitié vidées.

'cause i want it now
i want it now
give me your heart and your soul
and i'm breaking out
i'm breaking out
last chance to lose control

La chaleur faisait ruisseler des sillons de sueurs sur son front et il leva un bras pour s'essuyer dans la manche de son teeshirt. Puis il attrapa sa bière et la leva pour en boire une longue gorgée. Il plissa les yeux face au soleil insistant de cet été de canicule. Son regard s'attarda sur la façade de l'immeuble de la résidence dans laquelle il avait emménagée quelques semaines plus tôt. Poser ses valises quelques part après des années d'errance avec la Résistance avait quelque chose de presque surnaturel... et terriblement angoissant. Se retrouver seul dans le silence de son immense appartement de fonction avait le don de lui rappeler ce deuil qu'il n'avait jamais vraiment fait. Alors il fallait s'occuper les mains et l'esprit sans cesse pour ne pas écouter ce silence angoissant.
La petite radio continuait à cracher sa musique grésillante :

its holding me, morphing me
and forcing me to strive
to be endlessly cold within
and dreaming i'm alive

Apres deux heures passées sur le circuit de Riverhead, puis un retour via l’autoroute, rouler dans les rues encombrée de New-York était quasiment une torture. Depuis son arrivée en ville, Bouchra prenait ses quartiers des qu’elle avait une moment de libre sur ce circuit à une heure de route pour y enchaîner les tours sur sa Ducati Supersport.

Pour évacuer le stress des journées, elle n’avait pas encore trouver mieux.

En arrivant devant le bâtiment ou elle habitait depuis maintenant quelque semaine, elle es retint de soupirer. Non que l’endroit ne fut pas confortable mais son ancien appartement dominant la baie de Miami lui manquait.

* Sois honnête avec toi même, Boubouch, c’est ton ancienne vie qui te manque. Ces histoires d’extraterrestres, t’es vraiment pas dedans.*

Pas encore en tout cas. Mais c’était dimanche soir, ça devait expliquer sa déprime passagère.

Elle allait passer dans le parking souterrain quand elle remarqua un homme, installé dans la cour et qui semblait littéralement patauger dans la graisse. Le V-Max devant lui attira l’œil exercé de l'amatrice de vitesse et elle sourit.

« - Beau bébé, dit elle en coupant le moteur. Problème d’entretien . »

Il lui fallut quelques secondes pour reconnaître le médecin qui était arrivé plus ou moins en même temps qu’elle. Elle enleva son casque pour lui permettre de faire de même. Avec sa combinaison de cuir noire, elle tenait plus de Catwoman que de son apparence habituelle en tailleur, uniforme quasi obligé d’un agent du gouvernement.

Aaron entendit le ronflement du moteur de la Ducati bien avant de la voir arriver à l'entrée de la cour. La silhouette souple perchée dessus tourna la tête dans sa direction et arrêta le moteur.
Aaron la fixa sans vergogne, les yeux plissés avec le soleil. Lorsque la jeune femme engagea la conversation en retirant son casque, un sourire étira les lèvres du médecin transformant son visage. Il la reconnu mais ne connaissait pas son nom. Il était pourtant certain l'avoir croisé plusieurs fois sur Atlantis, mais impossible de connaître tout le monde, surtout pour lui, arrivé il y a peu. Il avait l'impression qu'elle avait un rôle important dans la hiérarchie, mais n'avait pas encore eu l'occasion de travailler à ses côtés.

" Juste quelques révisions, je l'ai acheté à un gars qui n'y connaissait pas grand chose. Heureusement d'ailleurs, je m'en suis tiré à bon prix. " répondit-il en essuyant ses mains dans un torchon.

Puis il se leva et reprit sa bière qu'il sirota en s'approchant de quelques pas, jetant un regard intéressé vers la Ducati.
" Je vois que vous êtes bien équipée, vous aussi. " dit-il avec un sourire en coin.

« Vu d’ici, on a l’impression que vous venez de la remonter pièces par pièces. En tout cas, elle est très belle !»

Enfin quand il l’aurait un peu un peu astiquée parce que la, les chromes étaient noirs de graisse.
Le regard qu’il lança à sa moto la fit sourire de fierté. Elle la posa sur la béquille et descendit pour discuter plus facilement.

« - Je pilotais sa petite sœur il y a quelques années. Ça me manquait. Et puis dans cette ville, une voiture, c’est aimer passer du temps dans les embouteillages. »

La mécanique n’était pas son point fort mais Bouchra avait capté, au fil des ans, quelques tuyaux qui lui évitait d’aller chez un mécanicien tous les weekends. Elle se pencha donc sur le V-Max pour y jeter un œil.

« - Elle a l’air en bon état en effet, mais je ne sais pas ou votre vendeur l’entreposait, mais ça devait être humide. Il y a des points de rouilles ici et là. Vous êtes revenu avec ? Le moteur tourne bien ? »

Après tout c’était le plus important.

Elle se releva avec une petite grimace. Même avec une bonne condition physique, la journée à chevaucher la Ducati avait soumis son corps à rude épreuve. Celui-ci lui rappelait qu’elle n’avait plus vingt ans, ni même trente.

« - Ne le prenez pas mal mais je ne remets pas votre prénom. Je rencontre un peu trop de monde en ce moment. Moi c’est Bouchra, au fait. »

Aaron sourit à la remarque de la jeune femme. Il tourna la tête vers sa moto et agitant son chiffon.
" Ce ne sont que les finitions, ça fait deux week-end que je suis dessus et c'est loin d'être fini".

Lorsqu'elle s'avança pour lui indiquer quelques points de rouille, il sourit de plus belle en levant les sourcils. Elle ne faisait pas semblant, elle avait l'air de réellement s'intéresser aux deux roues.
" Vous n'imaginez pas tout ce qu'on peut faire avec du Coca..." dit-il en riant. " Il faut juste un peu d'huile de coude, et boum, tchao la rouille, le chrome redevient comme neuf."
Puis il haussa les épaules.
" Mais vous avez raison, il la stockait au fond d'un garage ouvert à tous les vents... Encore quelques années comme ça, et c'était poubelle "

En guise de réponse à sa dernière question concernant le moteur, Aaron posa une main sur son cœur et leva les yeux au ciel dans un air théâtralement conquis.
" Une vraie symphonie" s'amusa t-il à répondre.

Puis il rit, fini sa dernière gorgée de bière et se baissa pour en ramasser deux au fond de son pack.
" Aaron. Aaron Baker. Je suis nouveau ici, alors je ne prends pas encore les choses trop mal. Mais si vous me le redemander la semaine prochaine, je risque d'être vexé." plaisanta t-il.
" Je vous offre une bière ? Elle est surement chaude mais comparé à l'air ambiant, c'est un régal."