Accident de parcours

Le soudain crissement de tôle froissée fit hérisser les poils de la barbe de Noa. Il se figea, un filet de sueur glacée lui coulant le long de l'échine. Un coup d'oeil dans le rétro lui montra l'aile droite d'une voiture sombre.
" Merde..."

Il ouvrit la portière de sa voiture et en sortit en titubant. Les néons blafard du parking faisaient tanguer le plafond, manquant de faire chuter le néo-zélandais. Quel traquenard ! David l'avait embarqué dans une de ses soirées infernales dans lesquels on ne ressortaient jamais indemne. Noa n'imaginait pas avoir autant bu, pourtant, le sol tanguait sous ses pieds et il était dans un état euphorique étrange. Et puis il se rappela avoir accepté l'ecsta que lui avait tendu David.
" Merde..." répéta t-il.

Finalement, il contourna sa voiture pour constater les dégats. Il avait méchamment enfoncé l'aile d'une voiture qu'il reconnu immédiatement. C'est alors qu'il fut pris d'un immense fou rire incontrôlable. De toutes les voitures du parking souterrain de la résidence, il avait emboutit CETTE voiture. Si ce n'était pas son inconscient qui se manifestait...ça y ressemblait fort.

Quand il réussi à reprendre le contrôle de ses zygomatiques, il se remit au volant et finit proprement de garer son véhicule.

Lors du trajet en ascenseur qui le menait à son étage, il avait l'impression d'être au cœur du vortex de la porte des étoiles, et il se mit de nouveau à rire comme un couillon. Quelle soirée...

Sur la pointe des pieds, il poussa la porte de chez lui, et constata que Ted et Emy étaient déjà couchés. Tant mieux, se dit-il. Il pouffait comme un gamin en attrapant dans le bar une bouteille de whisky et ressortit discrètement.

Il traversa le couloir qui faisait des looping dans son champ de vision et se dirigea aussi droit qu'il pouvait vers le numéro 619. Il s'appuya contre le chambranle avec un sourire niais collé au visage et racla la porte avec la bouteille de whisky.

Noa décrocha un sourire niais lorsqu'il vit la porte s'ouvrir sur une Sarah armée d'une batte de base-ball. Il leva les mains en l'air comme s'il était menacé d'une arme, le visage drapé d'un air joueur.
" Oui je confirme c'est la fin du monde, je viens assister au jugement dernier, et je vais brûler en enfer pour l'éternité " répondit-il, hilare, en baissant enfin les bras.

Il ne pouvait pas s'empêcher de ricaner niaisement en titubant, encore sous les effets de la dope. Lorsque Sarah lui fit remarquer son état en lui demandant si Ted était au courant, Noa haussa les épaules en poussant un "psfff" significatif : il s'en fichait.
" C'est pas mon père " répliqua t-il très intelligemment en entrant dans l'appartement.

En passant devant Sarah, il lui colla la bouteille dans les bras, et continua sa route. Sans gêne, Noa s'échoua dans son canapé et posa ses pieds sur la table basse.
" Dis, si tu devais me tuer, tu t'y prendrais comment ?" demanda t-il en penchant la tête en arrière sur le dossier pour voir Sarah à l'envers.
" Tu crois que tu le ferai avec ça ? " demanda t-il en pointant du doigt la batte de base-ball. " Ou alors tu donnerai l'ordre de me téléporter dans le vide spatial ? Comme ça d'un coup. Je passe de ton salon au vide spatial. Bon à choisir, je préfère ça je t'avoue. Avec vue sur la Terre, ça peut être chouette. Et puis je dériverai pour l'éternité sans me décomposer. Et puis qui sait, peut-être qu'au bout de deux milliards d'années, j'arrivais aux abord d'une planète et que mon corps finira en étoile filante dans un ciel nocturne. " Regarde ! Une étoile filante ! " " Fais un vœu ! " "

Il était évident que Noa n'était pas dans son état normal. Elle aurait pu trouvé cela amusé s'il n'était pas aussi tôt le matin et qu'elle même avait été à la fête. Il ne prenait pas sa menace au sérieux et elle abaissa son outil de diplomatie. Elle fronça les sourcils lorsqu'il balaya sa question sur son état et sur Ted d'une remarque juvénile. La jeune femme lui retourna un grognement désapprobateur mais décida de ne pas insister. Cela ne la mènerait à rien de toute façon, elle devrait attendre qu'il ait éliminé ce qui coulait dans ses veines. Cela n'arriverait pas avant un bout de temps.

Elle le laissa pénétrer dans son appartement et eut un nouveau mouvement de recule à son passage. Elle considéra un moment la bouteille qui avait atterrit dans ses bras. Elle secoua la tête et referma la porte avant de se diriger vers le comptoir de sa cuisine. Elle y déposa sa batte et la bouteille qu'elle délaissa au profit de sa cafetière. Elle ouvrit une paire de placard et en extirpa une paire de tasses aux couleurs du SDT et un paquet de café. Elle s'appliqua à préparer le précieux breuvage en écoutant d'une oreille distraite le questionnement de Noa. Elle resta volontairement tournée vers sa cafetière pour masquer sa moue réprobatrice. Le questionnement morbide de son ami ne lui plaisait pas, et elle aimait encore moins le fait qu'il lui demande à elle comment elle s'y prendrait. Elle tâcha de contrôler la colère qu'elle sentait poindre en elle. Elle conserva le silence le temps de faire couler le café et remplit généreusement les deux tasses. Sarah vint jusqu'au canapé, colla de force la tasse dans les mains de Noa et avec un grand geste théâtrale chassa ses pieds de la table basse. Elle s'assit à côté de lui et soupira longuement avant de le fixer avec un brin d'hostilité.

" Rien " Finit-elle par lâcher. " La réponse à comment je m'y prendrais si je devais te tuer est : je ne ferais absolument rien. "
Elle prit une gorgée de sa tasse.
" Je ne sais pas ce qu'il te prend mais tu te débrouilles bien pour t'autodétruire. Tu as survécu à la fin du monde, tu as retrouvé ta famille, toute ta famille, un travail stable et tu es porté en héros. Qu'est ce qui te prend ? Pourquoi tu viens chez moi en me demandant comment je te tuerais ? Une idée qui ne me rebute d'ailleurs. "

Lorsque Sarah s'approcha pour lui coller une tasse de café entre les mains, Noa ne s'en rendit pas vraiment compte. Flottant encore sur son nuage rose euphorisant, il ne comprit pas tout de suite quand elle chassa ses jambes posées sur la table basse. Il se contentait de sourire niaisement, trouvant certainement fameuse sa réplique sur sa mort par téléportation. En tant normal, il aurait décelé l'hostilité dans le regard de la militaire et il aurait comprit qu'il était allé trop loin. Mais dans son état actuel, impossible pour lui de comprendre sur quel chemin accidenté il s'engageait.
" Tu ferais rien ? Ah... Bon bah dommage..." lâcha t-il quelque peu déçu par la réponse de Sarah.

Puis ce qu'elle lui dit ensuite lui fit tirer une petite moue. Il n'avait pas envie de sérieux. Il n'avait vraiment pas envie de se prendre la tête et de réfléchir à toutes ces choses. Pas ce soir, pas maintenant. Non. Alors il préféra lui décrocher son sourire le plus charmeur. Il se tourna vers elle sur le canapé et glissa un bras gauche sur le repose-tête jusqu'à toucher son épaule. A droite, il attrapa sa main et plongea son regard dans le sien en se rapprochant nettement d'elle, avec le plus de sérieux dont il était capable.

" Sarah... je suis désolé de te l'avouer... mais j'ai complètement défoncé l'aile arrière gauche de ta voiture. "
Il avait lancé sa phrase comme une déclaration. Il marqua une pause, en la fixant toujours de son regard troublé.

" Je suis vraiment dé-so-lé. " ajouta t-il en détachant bien les syllabes pour marquer ses excuses.
Malgré son ivresse, Noa semblait véritablement sérieux et sincère à cet instant.

Noa semblait imperméable à son environnement. Peu lui importait les expressions qu'elle pouvait afficher ou le ton qu'elle prenait. Elle était certaine qu'il n'y avait manifestement pas que de l'alcool qui coulait dans ses veines. Elle l'avait déjà vu dans des états similaires et à chaque fois ça impliquait l'utilisation de stupéfiant. Elle poussa un grognement de frustration face à son indifférence. Elle se demanda également comment il allait se débrouiller à la prochaine visite médicale et au dépistage anti-drogue qui l'accompagnait. S'il n'avouait pas à Ted le dérapage de cette nuit il finirait pris la main dans le sac à cette occasion.

Elle fut tirée de ses pensées quand elle sentit la main de Noa se poser sur son épaule en passant par l'appui tête de son canapé. Sarah fronça légèrement les sourcils et tourna lentement la tête pour découvrir le sourire benêt que lui affichait Noa. Il devait certainement imaginer afficher son plus beau sourire, ce qui aurait pu être le cas s'il n'avait pas l'air aussi défoncé. Elle plissa le regard avec suspicion quand il lui prit la main et réduisit franchement la distance les séparant.

* Hooooo hohohoho...non, non, mon grand. Cette phase là est passée et si tu crois que je vais devenir ton coup pour soirée où tu te défonces tu vas avoir une sacrée surprise mon grand...*

Sa déclaration défia tout ce à quoi elle avait bien pu s'attendre. Elle désapprouvait déjà son cocktail alcool et stupéfiant mais il venait en plus de lui apprendre qu'il avait pris le volant. Et c'était encore mieux que ça. Il n'avait pas fait que prendre le volant, il avait en plus abîmer une voiture. Mais attention, c'est encore là où les choses deviennent encore meilleurs, il n'avait pas esquinté n'importe quelle voiture, non ma bonne dame, c'était la sienne, à elle. La mâchoire de Lawrence se contracta et elle estima qu'il était grand temps qu'elle le ramène sur Terre. Elle allait devoir le faire manu militari.

Elle lui adressa en retour un sourire complice presque charmeur et entra pendant quelques secondes dans son jeu. Elle repositionna subtilement son corps pour lui faire face.

" Je ne sais pas si tu es vraiment désolé. Mais tu vas bientôt l'être..."

Son expression devint glaciale à ces derniers mots et elle mit soudainement de la distance entre elle et lui en retirant sa main droite renversant au passage une partie de son café.

[ Jet de Corps à Corps 61-80 = Réussite]

Son point gauche partit quant à lui cueillir sa mâchoire comme elle le souhaitait. Elle ne perdit pas un instant et lui lança le reste du café qu'elle tenait encore.

[ Jet Arme 100 = Réussite Parfaite]

Le liquide lui éclaboussa le visage et elle se précipita alors pour lui saisir le bras.

[ Jet de Corps à Corps 61-80 = Echec]

Sa clé de bras échoua. Ses mains trempées par le café glissèrent et elle ne parvint pas à assurer sa prise.

* Tant pis, on va saloper le travail alors. *

Elle s'agrippa à lui et profita de son équilibre précaire pour l'entraîner vers sa salle de bain. Elle aurait normalement préférer le coller sous la douche par une prise bien sentie mais dû y renoncer. Elle grogna en le bloquant dans la cabine avec elle et entreprit d'ouvrir l'eau au plus froid possible. Sarah grogna en réponse au désagrément et fut parcourue l'espace d'un instant par un frisson avant de se reprendre.

" Il vaut mieux pour toi que tu reprennes tes esprits rapidement ! "Tonna-t-elle malgré le tremblement qui commençait à la saisir.

Dernière édition par Sarah Lawrence le Mer 7 Juil 2021 - 14:21, édité 2 fois

Le membre 'Sarah Lawrence' a effectué l'action suivante : Lancer de dés

---

#1 'Résolution (61-80)' :


--------------------------------

#2 'Résolution (100)' :


--------------------------------

#3 'Résolution (61-80)' :

Noa sentit des papillons danser des claquettes dans son ventre lorsque Sarah le gratifia d'un beau sourire. Puis l'image sembla glitcher et l'informaticien vit le corps de la jeune femme se reculer. Puis un coup de poing se fracassa contre sa machoire et Noa sentit une douleur atroce lui irradier le visage. Il ouvrit des yeux ronds de terreur. Une terreur pure, honnête d'incompréhension. L'adrénaline fusant dans son corps lui fit battre le cœur à une vitesse folle.

En une fraction de seconde, des sueurs froides le figèrent sur place tandis qu'un patchwork d'images se matérialisèrent devant ses yeux. Des images présentes, des images passées, des corrélations étranges. Le poing de Sarah. Le poing de Ted. Le poing de Ted qui frappait encore en encore. Toujours cette même image, multiple, conglomérat de nombreux instants figés en un que sa mémoire imprimait à sa vision dès que la violence refaisait surface dans sa vie. Puis un liquide noir s'échoua sur son visage, le brûlant au passage, mais il ne le remarqua pas tout de suite. Il se leva brusquement et mit son bras devant son visage, comme pour se défendre des prochains coups qui allaient probablement pleuvoir. Par ce mouvement réflexe, il sentit que la prise de Sarah sur son bras glissa.

A présent debout, Sarah le pressait de tout son corps en arrière. Avant qu'il n'ai eu le temps de se rendre compte de ce qu'il se passait, il se retrouva sous la douche, la jeune femme avec lui. L'eau glacé se déversa sur eux et Noa ne pu retenir un cri de surprise. Immobile, avec Sarah contre lui, lui bloquant toute retraite, il sentit les nuages roses de son euphorie s'évaporer. A vrai dire, ils avaient déjà été violemment percés par la foudre du coup de Sarah. Derrière, l'orage grondait, cet orage qui le terrifiait tant et qu'il mettait tant d'effort à essayer d'oublier. Il sentit le corps de Sarah frissonner et sa voix résonna durement aux oreilles de l'informaticien. Lui-même se mit à grelotter, transis de froid et d'horreur par l'enchainement des évènements qui s'étaient tout à coup produits.

Ses bras s'enroulèrent alors autour de Sarah et il plongea son visage dans le creux de son cou.
" Tu me manques tellement..." murmura t-il, la voix tremblante. " Je deviens fou...."
Il la serra fort contre lui, comme si sa vie en dépendait. Et d'ailleurs, à cet instant, il était persuadé que sa vie dépendait d'elle.

L'esprit de Noa était cotonneux, embrouillé, empêtré, pourtant quand il serra Sarah dans ses bras, il avait l'impression que tout allait bien aller. Oui c'était ça. Un soulagement intérieur lui soufflait "Ah, tout va bien". Mais non, rien n'allait bien, et Sarah rompit l'étreinte, quitta la douche, se sécha et jeta une serviette à l'informaticien. Il la reçu en plein visage et elle glissa jusque dans ses bras. D'un air benêt, il regarda Sarah et sa colère qu'elle n'arrivait plus à contenir, exploser devant ses yeux. Les mots claquèrent comme une paire de gifles et il sentit sa poitrine se serrer. Il resta coï, interdit alors qu'elle lui déballait son sac et jetait ses quatre vérités au visage. Sa gorge se serra et il baissa la tête pour éviter de croiser son regard lorsqu'elle quitta la salle de bain. La douleur des mots reçus en pleine face lui faisait tourner la tête. Un mélange de honte, de culpabilité, mais aussi d'injustice se mêlaient en lui à lui en donner la nausée.
Finalement, il jeta la serviette, et suivi Sarah jusqu'à l'entrée de sa chambre. Là, encore trempé, il se planta devant elle, le visage dur et la regarda droit dans les yeux.

" Et oui, bien que tu sembles l'oublier, moi aussi je sais ce que c'est de vivre avec la perte d'un père. Dois-je te rappeler que le mien s'est volontairement défenestré ? Ce n'était pas un accident, il a choisi de sauter. Mais je ne suis pas mon père, même s'il m'a transmis cette foutu prédisposition à la dépression dans mes gènes, dépression permanente qui me bouffe la vie, et que je n'ai pas choisie, je ne me foutrai pas en l'air comme lui. Je ne veux pas infliger ça à Emy, je sais ce que ça fait, le deuil, les questionnements, les doutes, l'angoisse, et cette foutue culpabilité. "

Il parlait d'une voix dure et à mesure qu'il s'exprimait, il s'enflammait. Il pointa un doigt sur sa poitrine :

" Tu crois que je pleures sur mon sort ? Mais putain Sarah, ça fait des mois que je serre les dents, que j'essaie de me fondre dans cette situation que Ted et toi avez décidé entre vous. Ca fait des mois que j'essaye de me convaincre que c'est mieux ainsi, que de toute façon c'est toi qui a décidé, que de toute façon je dois m'estimer heureux... oui je suis heureux que Ted et Emy soient vivants... Mais alors quoi ? Je dois mettre un couvercle sur tous mes autres sentiments, je dois les étouffer ? "Ta gueule, on ne veux pas t'entendre, toi le chanceux, ferme là, tu n'as pas le droit d'être déprimé, ressaisis-toi, t'es un homme ou pas ? Y a que les tapettes qui pleurent ! " Oui c'est ce que j'ai essayé de faire pendant des mois. Et la seule soirée, LA SEULE, où je me laisse un peu aller, où je laisse retomber cette pression qui me tue à petit feu, là tu me le reproche ? "

Noa ne fit aucune pause, il enchainait encore et encore, et s'agitait de plus en plus, faisant des grands gestes quand il s'exprimait. Les vannes étaient ouvertes :

" Ouais j'ai fait des trucs con ce soir, mais j'étais bien, pour un coup je pensais pas à toutes les merdes qui me font avoir des insomnies chaque nuit. Oui j'ai déconné, j'aurais pas du prendre le volant, ouais j'ai déconné, j'aurais pas du enfoncer ta caisse, ouais j'aurais pas du venir chez toi, c'était con. J'aurais du te laisser un mot sur ton pare-brise "Voilà l'état de mon coeur, si le tien est pareil, viens on en parle", ça aurait eu vachement plus de classe. Alors désolé pour tout ça, désolé pour ta caisse, désolé d'avoir bousillé ta nuit, désolé de t'avoir proposé une union libre intelligente et pleine d'amour que tu n'as même pas essayé de concevoir une seconde. En fait, non pas désolé pour ça, parce que contrairement à ce que tu t'imagine, ce n'est pas un non-choix, c'est le choix de comprendre qu'on n'appartient pas aux autres, que l'idée de s'enfermer dans des cases artificielles étouffantes dictées par la société est une négation du bonheur et que la vie n'est que plus belle quand elle est simplement dictée par l'amour. Tu crois que je divagues ? Que j'idéalise ? Et bien renseigne toi, le polyamour, les unions libres ça existe partout, j'ai rien inventé. Et moi aussi au début j'y croyais pas, moi aussi je ne comprenais pas. Comme quoi, il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis."

Il fit un rapide pas en arrière en levant les mains comme pour plaider coupable :
" Okay j'arrête là, j'essaye pas de plaider ma cause pour la énième fois. Je pense l'avoir déjà suffisamment fait. Tu as fait ton choix. Okay, même s'il est très difficile pour moi de l'accepter. Alors j'essaye de devenir ce que tu veux que je sois "juste un ami" parce que tu l'as choisi et parce que je préfère être "juste un ami" plutôt que rien du tout. Mais quand "juste ton ami" dérape un peu, juste une fois, sur sa pente glissante de dépression, toi tu lui met un double kick dans les rotules pour bien être sûr qu'il tombe. Bah oui, il le mérite, c'est un monstre d'égoïsme, il pense qu'à sa gueule, il arrive pas à arrêter de t'aimer, même s'il essaye très fort. "

Noa s'arrêta brutalement, en respirant fort. Son cœur battait la chamade et il sentait les pulsations dans ses tempes alors qu'un mal de crâne commençait à naitre. Le silence qui suivit ses longues tirades était d'autant plus pesant. Il se passa une main sur le visage avec une lassitude certaine, comme il le faisait souvent lorsqu'il était ennuyé ou fatigué, comme s'il voulait retirer quelque chose de poisseux qui lui pourrissait la vie. La fatigue s'abattit sur ses épaules avec la redescente de dope et d'adrénaline. Il ferma les yeux et soupira.

Lorsque Noa rouvrit les yeux, son cerveau rabougrit mis un temps fou à comprendre que Sarah était en train de se changer tranquillement sous son nez. Il tourna les yeux et fit un pas pour sortir de la chambre, appuyant son épaule sur le chambranle de la porte. Il le fit par pudeur pour la jeune femme, mais aussi parce que cette image lui faisait mal, elle lui rappelait un temps perdu, détruit.
Il baissa la tête, fixant les aspérités sur sol, lorsque Sarah lui répondit. Il ne dit rien et, une fois vêtue, elle quitta la chambre en le poussant pour rejoindre la cuisine. Lorsque Sarah se retourna brusquement vers lui avec un doigt accusateur, Noa releva timidement les yeux avec son triste air de chien battu. Il enfonça ses mains dans ses poches en l'écoutant, et son regard se perdait vers le sol quand il n'arrivait plus à soutenir le sien.
Chaque mot s'imprimèrent plus profondément dans son coeur et ses tripes. Pendant quelques instants, la réalité vue par le regard de Sarah lui sauta à la gorge et lui donna envie de vomir... La seule fois où il avait dérapé ? Non ce n'était clairement pas la seule fois... Mais alors quoi ? C'était avant ? Ca ne comptais plus ? Il y avait prescription ?

Noa s'assit sur l'accoudoir d'un fauteuil et cacha son visage dans ses mains.
" Putain... tu as raison... merde... je suis qu'un connard." balbutia-t-il.
" Je ... je ne pensais pas venir te voir ce soir... ce n'était pas prévu... mais ta voiture.... Je ne pensais pas que ça déraperait comme ça... " ajouta t-il en guise d'excuses.

" J'ai l'impression que je fais toujours les mauvais choix, ... pourquoi ? Pourquoi j'arrive pas à gérer ma vie privée comme je gère mon travail ? Avec rigueur et exigence... Pourquoi ma vie, dès la sortie du boulot, devient bordélique et sort toujours des rails ? Merde... j'ai jamais voulu cette situation là, mais je ne sais pas comment gérer ça... Je ne sais même plus comment on en est arrivés là..."
Tout en parlant, il essaye de remonter le cours des évènements pour comprendre ce qui l'a amené là. Il essaye de visualiser sa vie ces derniers mois, ces dernières années, mais il a l'impression de chasser un fantôme, un autre Noa, une chimère... Il fronce les sourcils et essayant de trouver là où ça a merdé, le point de rupture...

" Il y a eu cette mission, la dernière avant... et Nadira est morte, et Xinan était là. " Il posa une main sur son front. "Il était là avec toutes ses pensées, et les souvenirs de Nad... et après La Terre était attaquée....et Ted est revenu, avec Emy, il était revenu pour la protéger... et après toi, toi t'étais dans le coma... mon dieu t'étais dans le coma et j'ai cru que tu n'allais jamais te réveiller.... Et Xinan était dans ma tête, et il parlait, et il pensait. Et Ted était là aussi, il était là après toutes ces années, mais toi t'étais plus là... Et j'étais à ton chevet, tous les jours, mais je croyais que tu allais mourir... et tu t'es réveillé, j'étais tellement heureux, mais après c'est Ted qui a disparu, et j'ai cru qu'il était mort à son tour. Et c'était dur, tellement dur, et je me demandais pourquoi c'était comme ça. Pourquoi il fallait toujours que je perde l'un ou l'autre... " Noa ne regardait pas Sarah quand il parlait, il fixait un point flou sur sa droite, il donnait l'impression de se parler à lui-même, de chercher à l'intérieur de lui la pièce qui déconnait. " Et Xinan qui était toujours là avec ses images plein la tête. Des fois je le laissais guider, je lui laissais le contrôle parce que moi des fois je ne savais pas quoi faire... Et Ted est revenu, encore. Et toi tu étais là aussi. Vous étiez là tous les deux. Alors j'ai décidé que j'en avais marre de souffrir en imaginant vous perdre l'un ou l'autre. Xinan était dans ma tête, pourtant je pouvais être moi et lui pouvait être lui, alors pourquoi je pouvais pas être avec l'un et l'autre ? C'était tellement logique, .... et ça l'est toujours pour moi... mais... Xinan est plus là maintenant, je suis juste moi avec un grand vide à combler à l'intérieur... "

Noa fronça les sourcils en fixant la paume de ses mains. Il avait l'impression que s'il se concentrait, il pouvait voir un pattern, une logique dans cette succession de faits. La boucle était bouclée, Xinan de retour dans Nadira ressuscitée, Ted de retour dans sa vie,... mais il avait l'impression d'avoir perdu des miettes de lui même sur ce chemin, il n'était plus le même. Il ne le serait jamais plus. Sarah, Ted, Xinan, Nadira, ils l'avaient tous changés, modelés par leurs présences, par leurs impacts dans sa vie, par leurs douloureuses absences.

Puis, la voix de Sarah résonna à ses tympans avec le gong d'une sinistre prédiction. Elle dit qu'elle ne reviendrait peut-être pas de sa prochaine mission et que la situation serait ainsi réglée, Noa cru qu'il allait imploser. Au moment où elle formulait cette hypothèse, il se l'imagina si bien qu'il en eut des sueurs de terreur. Il se redressa, un poids dans la poitrine.
" Dis pas ça... s'il te plait... ne dis pas ça... "
Il fit quelques pas dans la cuisine.
" Un monde sans Sarah Lawrence est inconcevable." dit-il avec le plus grand des sérieux.

Noa resta un instant silencieux avant d'ajouter, la gorge nouée :
" Je suis tellement désolé pour tout ce que je t'ai fait subir, vraiment, je suis désolé de ne pas avoir été là pour toi... Dis-moi ce que tu veux que je fasse, que je sois pour toi. Si tu ne veux plus jamais me voir, je comprendrais... " ajouta t-il résigné.
Pourtant lorsqu'il leva les yeux vers elle, il semblait terrifié à l'idée qu'elle lui réponde par la positive.

Un léger étourdissement faisait tanguer la réalité autour de Noa lorsqu'il essayait de mettre des mots sur le chaos des derniers mois traversés. Il savait que s'il revivait cette période, il ne ferait pas les même choix, des non-choix plutôt, qu'il s'était imposé en laissant les choses se dérouler sans les retenir. Oui, il regrettait de ne pas avoir retenu Sarah dans sa vie. Il avait vaguement pensé que leur relation était quelque chose d'acquis, qui ne se briserait jamais, qui n'avait pas besoin d'être protégé, choyé, mais ce soir, il comprit enfin à quel point il s'était fourvoyé. Elle ne le voyait certainement plus comme lui la voyait toujours. "...Je suis encore là, différemment certes mais je suis bien là...." Ces simples mots étaient à la fois un soulagement et une douleur atroce. Elle lui parla de ses blessures, de s'ouvrir aux autres, de tendre la main pour guérir. Noa hocha la tête, elle avait raison, elle avait toujours raison, mais il avait trop peur, et trop honte. Peur de ce gouffre de noirceur qui avait toujours été là en lui, et que chaque épreuve, chaque perte alimentait un peu plus. Il était terrifié car plus il vieillissait, plus il avait l'impression de voir son propre père, de reconnaitre la détresse qu'il avait dans le regard et cette part d'ombre qui le coupait parfois de la réalité. Tout ça, c'était lui. Et il avait honte car il connaissait la fin de son histoire, celle de cet homme qui avait finalement sauté à pieds joints dans son gouffre, du haut de sa tour. Il connaissait la fin de l'histoire et était terrifié que la sienne y converge, un jour.

Noa secoua la tête, pour se raccrocher à l'urgence du présent. La mission prochaine de Sarah. Leur relation... Les martèlements dans sa poitrine, ses mains moites, cet étourdissement grandissant en attendant la réponse de Sarah. Que voulait-elle qu'il soit pour elle ?
L'informaticien leva un regard torturé sur la jeune femme lorsqu'elle répondit. Mais ses mots, plein de sagesse et de tendresse firent monter en lui des boules d'émotions qu'il peinait à contenir. Ses yeux s'humidifièrent et il se passa une main sur le visage, comme il le faisait toujours pour tenter d'échapper à la gêne. Ce petit brin de femme était d'un courage et d'une sagesse à toute épreuve. Il avait toujours eu une admiration considérable pour elle, mais il réalisa qu'elle était bien plus que cela pour lui : elle était un roc, un ancrage, un navire insubmersible sur la tempête de sa vie. Elle le sauvait constamment du naufrage. Mais que lui apportait-il à elle, à part le risque de l'emporter avec lui au fond de ces eaux noires ?
Ce constat le glaça. Il avait plongé le regard dans le café que Sarah lui avait donné, et qu'il avait saisit machinalement. Mais la chaleur du brevage au creux de ses paumes ne réussissait pas à lui réchauffer le coeur.

Il esquissa un sourire plein de tendresse lorsqu'elle revînt sur son propre parcours. Elle disait vrai, elle avait parcouru un chemin impressionnant, sans fautes.
" Ce que j'ai toujours admiré chez toi, c'est ta force, ta ténacité et ton optimisme. J'aimerai avoir seulement la moitié de ton courage, de ta volonté... Tu es et tu restera un modèle de bravoure pour moi. " avoua t-il.

Avec lenteur, Noa franchit l'espace qui les séparaient, déposa avec délicatesse la tasse de café sur le comptoir de sa cuisine et prit une des mains de Sarah entre ses paumes. Il gardait les yeux baissés. Cette nouvelle proximité le rendait fou, et le souvenir de leur dernière étreinte quelques minutes plus tôt le paralysait.

" Merci Sarah." murmura t-il en lui pressant la main. Il avait fermé les yeux. " J'espère qu'un jour.. j'espère qu'un jour... " balbutia t-il.
Un jour quoi ? Qu'elle accepterait de le reprendre dans sa vie ? Quel égoïsme... après ce qu'il lui avait fait subir. L'image du bateau pris dans la tempête lui revînt en mémoire.

" J'espère qu'un jour je ne te décevrai plus." finit-il.
Oui, c'était un bon début.
" Sois heureuse."

Noa souffla, lâcha sa main et recula d'un pas en rouvrant des yeux.
" Et pitié, reviens de cette foutue mission." ajouta t-il en plantant son regard dans le sien.

Sur ces mots, il tourna les talons, et sortit de l'appartement. Il ne se retourna pas. Lorsqu'il ferma la porte derrière lui, il avait l'impression d'avoir fait quelque chose d'important, d'essentiel, mais de terrible.

Il se glissa dans son lit chauffé par le corps de Ted, qui dormait profondément. Il le serra contre lui en fermant les yeux pour tenter de stopper ses larmes. Et là, dans l'obscurité de la chambre, les yeux clos, il visualisa un tout autre corps blotti contre son torse.