Education

Lorsque Noa évoqua une possible fin de sa restriction de déplacement, Ted releva la tête. C'était plus qu'il ne l'avait espérer.

"Merci ! Je tourne en rond ici et je vais finir par devenir fou !"

Lui qui avait toujours vécu dans de grands espaces avec vu sur le ciel et l'océan, il tournait en rond comme un lion en cage. La perspective de se déplacer à sa guise lui alléger un peu l'esprit et il se permit un sourire.

"Olivander ? Tant qu'il n'essaie pas de me refourguer une baguette en bois, ça devrait aller, …"

La nostalgie reprit alors le pas alors qu'il se souvenait des premiers visionages des films de célèbre sorcier avec Noa. Une époque à laquelle il aurait aimé retourner.

C'est alors que l'informaticien aborda un sujet plus délicat. Emy. Noa ne voulait pas qu'il lui révèle la vérité.

"Je ne veux pas lui mentir, Noa. Si elle me pose des questions, je lui répondrai. Par la vérité."

Bien sûr, il n'était pas question d'effrayer la fillette.

"Je ne lui parlerai pas de cette nuit-là, … ni de ce que je t'ai fait, … Mais, … s'il n'y a pas de traitement, … si la thérapie ne fonctionne pas, … elle doit savoir ce qu'il se passe, …"

Ted comprenait les inquiétudes du second père de la jeune fille mais il ne pouvait tout simplement pas mentir ainsi à sa fille.

*C'est quoi, une thérapie ?*

"J'ai manqué cinq ans de sa vie. Je ne sais même pas comment elle peut encore me faire confiance comme elle le fait, … je ne veux pas risquer de perdre ça."

C'était peut-être égoïste de sa part mais ce lien-là était tout ce pourquoi il s'était tant battu.

Noa sourit lorsque Ted releva le nom de Olivander. Il n'avait jamais fait le rapprochement lui-même. Il se rappelait avec nostalgie l'époque où ils regardaient des films blottis l'un contre l'autre sur le canapé.
Puis ils revinrent au sujet Emy quelque peu glissant. Il était toujours délicat de choisir quoi dire aux enfants. Noa oscillait entre protection et vérité.
" Je ne te demande pas de lui mentir. Je te demande de rester évasif… Enfin, je ne sais pas… je ne voudrais pas qu'elle prenne peur… qu'elle en fasse des cauchemars…"
Des cauchemars, Noa avait déjà bien du mal à lui cacher les siens, puisqu'ils dormaient dans la même pièce. Leur fille avait déjà vécu bien des situations angoissantes, ce n'était pas le moment d'en rajouter.
Puis il secoua la tête en piquant du nez.
" Fais comme tu le sens… de toute façon, tu as toujours su trouver les mots avec elle…"
Noa releva la tête et sourit tristement à Ted.

Il y eu alors un silence, mais Noa ne bougea pas. Il semblait tout à coup gêné, comme s'il souhaitait aborder quelque chose de délicat. Il tourna la tête en soupirant, ne sachant comment commencer.
" Il y a autre chose dont je voulais te parler…"
Noa sentit son rythme cardiaque accélérer, appréhendant cette discussion.
Il baissa les yeux, puis se frotta la nuque...
" Moi aussi il y a quelque chose que je dois te dire … " continua t-il, tournant autour du pot.

Il se racla la gorge, releva les yeux au plafond, puis prit une grande inspiration et regarda Ted dans les yeux.
" Tu as déjà entendu parlé des Tokras ?"

Ted écouta Noa argumenter faiblement avant d'abdiquer et de le laisser faire ce qu'il voulait avec Emy.

"Je ne veux pas plus que toi qu'elle fasse des cauchemars."

Une façon de tenter de le rassurer sans doute. Mais la vérité, c'était qu'il n'avait pas la moindre idée de la façon dont il allait aborder le sujet avec la jeune fille.

Le silence qui s'installa ensuite fut salvateur pour le militaire mais, bien vite, il prit une autre tournure. Ted connaissait suffisamment Noa pour savoir qu'il avait quelque chose à dire. Quelque chose qui le dérangeait et le mettait mal à l'aise. Et, comme pour confirmer ses soupçons, le néo-zélandais prit la parole. Puis, laissa passer un autre silence.

Ted se tendit. Il allait lui parler de Lawrence, c'était sûr. Il allait lui dire qu'il ne l'aimait plus et que c'était cette Sarah qui comptait pour lui maintenant. L'informaticien lui demanderait de ne pas faire de scène, pour Emy, et d'accepter sa nouvelle vie. Mais il n'avait pas besoin de demander. Aussi difficile soit-il, le militaire ne comptait pas s'interposer.

"Je sais ce que tu vas dire."

Ils avaient parlé exactement en même temps et les sourcils de Ted se froncèrent.

"Les tok'ras ? Ce sont ces goa'ulds rebelle qui partagent le corps de leur hôte c'est ça ? Mais pourquoi tu me parles de ça ? Je pensais que tu me parlerais, … de Lawrence."

Il avait hésité avec le dernier mot mais le sujet devait être abordé et, puisqu'il semblait qu'ils rejouaient un épisode de Confessions Intimes, …

Ted parla en même temps que lui. Et tout deux froncèrent les sourcils. Si le sujet n'était pas des plus sérieux, Noa aurait surement explosé de rire. Mais Ted savait-il déjà de quoi il en retournait ? Avait-il déjà appris l'existence de Xinan ? La suite lui fit comprendre qu'il s'agissait d'un malentendu. Le visage de Noa blêmit à vue d'œil lorsque Ted prononça le nom de Sarah et son cœur s'emballa vivement. Dire qu'il avait enfin trouvé le courage de parlé de Xinan. Mais un second sujet épineux se dressait de nouveau entre eux. Noa avait l'impression que plus il débroussaillait le chemin, plus les mauvaises herbes repoussaient à une vitesse de plus en plus folle. Pourquoi tout ça ne pouvait pas être juste … simple ? Pourquoi il ne pouvait pas simplement le prendre dans ses bras et recommencer simplement comme avant ? Pourquoi il y avait tellement de choses qui se dressaient entre eux.

" Je … euh… non… c'était pas ça.. mais, enfin, si… bien sûr, on peut en parler si tu veux… Qu'est ce que tu veux savoir ?"

Non mais quelle question ! Non mais quelle question !

*  - Clap clap clap ! Tu es un génie mon pote !
- Dégage de là !
- Non, mais "qu'est ce que tu veux savoir?" ah ah ah, c'est la meilleure réplique que tu pouvais lui sortir. Vous êtes tellement pathétique tous les deux, vous me faites tellement marrer !
-...
- Attends, je vais me chercher un nouveau paquet de chips et je reviens !*

Noa ferma les yeux brièvement, comme pour chasser le Tokra et pour réprimer la gêne d'avoir posé cette question étrange.

Visiblement, Ted avait fait fausse route mais, maintenant que le sujet était lancé, autant y aller franchement. Noa balbutia quelques mots avant de lui demander ce qu'il voulait savoir. Morgan le fixa, un sourcil levé en signe d'interrogation.

"Ce que je veux savoir ?"

Avait-il bien compris ? Mais, visiblement, oui.

"Je ne veux rien savoir Noa. Je comprends et, … je ne m'interposerai pas, si c'est ce que toi tu veux savoir. Il faut penser à Emy."

Il n'était pas particulièrement ravi de cette situation mais c'était comme ça et il ne pouvait pas nier que la responsabilité lui incombait.

"Juste, …"

Il savait qu'il n'aurait pas dû poser cette question mais ce fut plus fort que lui.

"Est-ce qu'elle te rend heureux ? Est-ce qu'elle est, … bien, avec Emy ?"

La réponse serait difficile à entendre mais il le fallait. Il devait au moins savoir que c'était une bonne chose pour Emy et Noa. Il encaissa aussi stoïquement que possible la réponse de l'informaticien et se racla la gorge pour se redonner une contenance et ignorer la boule qui s'était formée dans son estomac avant de changer de sujet.

"Pourquoi tu me parlais des tok'ras ?"

Noa enfoui son visage dans ses mains, honteux de cette question qu'il venait d'infliger à Ted. Il avait tellement été pris au dépourvu qu'il n'avait pas su quoi dire. Il dit comprendre, il dit ne pas vouloir s'interposer. S'interposer ? S'interposer ? Pour quoi ? Pour lui ? Oui, mais peut-être que Noa aurait préféré qu'il s'interpose, qu'il se batte pour lui. Après tout, c'est Ted qui était parti, il pouvait au moins faire ça, non ? Noa grogna comme pour chasser ces idées.
La question qu'il lui posa ensuite, Noa aurait préféré ne jamais l'entendre de la bouche de Ted, ne jamais devoir abordé ce sujet avec lui. Il aurait préféré ne pas répondre. Le visage toujours caché dans ses mains, il soupira, puis releva la tête. Ses yeux étaient toujours baissés, il ne pouvait décidément pas regarder Ted en face.

" Oui " murmura t-il simplement dans un souffle douloureux, sans lever les yeux en lui laissant le choix de savoir à quelle question il répondait.

Ted se racla la gorge et changea de sujet pour le plus grand bonheur de Noa. Enfin, quoique… Le malaise grandit de nouveau en Noa alors qu'il approchait du moment fatidique. Il décida d'arracher le pansement d'un seul coup. Il releva la tête et planta son regard triste dans celui du militaire.
" Parce que je voulais te dire que j'avais un Tokra en moi. "
Passé la révélation, il enchaina rapidement pour essayer de se justifier.
" Je te rassure, ça ne fait pas très longtemps, c'est temporaire, et pour tout te dire, je n'ai jamais voulu cette situation. … Tu te souviens, juste avant l'invasion du JPS, j'étais en mission avec JP1 ? "
Les images lui revinrent alors qu'il évoquait ces moments qui restaient toujours comme une blessure béante dans sa vie.
" Ca a été une catastrophe… On a été piégé. Et quand on a voulu s'enfuir… "
Noa sentit les larmes lui monter aux yeux, il tourna le regard pour continuer.
" … notre chef d'équipe, Nadira Garett, a été touchée par un tir ennemi. On n'avait pas de médecins avec nous… J'ai essayé de lui faire un massage cardiaque…. j'ai vraiment essayé tout ce que je pouvais, et puis lorsque je lui ai fait le bouche à bouche, Xinan, le Tokra qui vivait en elle depuis quelques temps, il est passé en moi."
Noa fit une pause et pinça ses yeux entre son pouce et son index avant de continuer, la voix tremblante.
" Elle était morte. Il n'avait rien pu faire… Il a sauvé sa peau en venant en moi…" finit-il par dire.

* Sortez les violons ! Quel mélodrame ! Ta virilité a fondu avec tes larmes ? * railla Xinan.

Noa respira profondément pour se ressaisir et tenta tant bien que mal d'ignorer le Tokra.

" C'est temporaire", répéta t-il. " Et puis, c'est un allié important pour cette guerre. Il ne prend la main que lorsque je l'accepte. "

Comment un simple mot pouvait faire autant de mal ? Cette douleur, Ted l'encaissa en serrant les dents. Il ne devait rien montrer. Il devait rester stoïque. Indifférent. Peut-être qu'ainsi, cela rendrait les choses plus facile pour Noa. Et pour Emy. Oui. C'était ce qu'il devait faire. Mais c'était difficile. Tellement difficile. La boule de son estomac s'était étendue et avait atteint sa cage thoracique. Le militaire avait l'impression que des parois invisibles se refermaient, lentement, autour de son coeur, le comprimant sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit.

Alors il changea de sujet. Il dut déglutir difficilement et se racler la gorge pour que sa voix ne trahisse pas son émotion et se concentra sur le sujet tok'ra. C'est alors que la deuxième bombe fut lâchée. Noa abritait un tok'ra dans son corps. Ted papillonna plusieurs fois alors que l'informaticien se dépêchait de lui expliquer toute l'histoire. Une mission râté, la mort de l'hôte précédent. Nadira Garett. Ted connaissait ce nom. Il était souvent revenu à ses oreilles lors de son séjour au RESO. La médecin tok'ra était connue.

De toute évidence, cela avait été un moment difficile pour Noa. Ted aurait voulu s'approcher et le prendre dans ses bras mais il ne savait pas s'il en avait encore le droit. Alors il ne bougea pas.

"Et toi ? Comment tu vas ?"

Parce que, au final, c'était la seule chose qui importait. Savoir qu'il y avait un autre individu dans le corps de la personne qu'on aimait n'était pas une bonne nouvelle mais peu importait ce détail-là si Noa acceptait bien la situation. Il ferait avec. Il n'avait pas le choix.

"Est-ce que Emy le sait ?"

Voilà qu'il avait l'impression que les rôles étaient inversés. Décidément, cette soirée était des plus étranges.

*Quelle soirée pourrie ! Vive la déprime !*

Lorsque Noa avait répondu à l'affirmative à la première question de Ted, l'informaticien savait qu'il aurait du rajouter quelque chose. Il savait que la vérité n'était pas un "Oui" tout simple. Mais il avait hésité sur la formulation adéquat. Il avait trop longtemps hésité et Ted avait changé de sujet. Noa avait donc abdiqué et révélé la présence de Xinan.

Le jeune homme était complètement retourné à la suite de cette révélation. Les souvenirs que tout cela remontaient étaient douloureusement proches et faisaient partis de ceux qui venaient le hanter la nuit. Malgré la présence de Xinan qui le renforçait, il se sentait désespérément faible, physiquement, et mentalement. Ted n'avait pas bougé d'un centimètre lorsque la révélation était tombée. Noa n'osait pas lever les yeux vers lui. Les rôles étaient à présent inversés et il en était conscient. La question que lui posa le militaire surpris Noa qui leva un regard triste.

" Mal" répondit-il avec un faux sourire bourré de tristesse.
Oui, il fallait être franc. Et de toute façon, ce n'était pas la peine d'essayer de répondre autrement: sa tête de mort vivant en disait long sur son état.
" J'arrive pas à dormir à cause des cauchemars et des souvenirs de Nadira qui me hante la nuit. Et puis… et puis mon cœur est en vrac…." commença t-il.
Noa tourna les yeux en sentant de nouveau ce besoin de formuler les choses clairement à Ted. Oui, il le fallait, mais comment ? Alors qu'il était de nouveau en train de réfléchir à la meilleure tournure de phrase possible, Ted enchaina.

" Non ! Non Emy ne le sait pas, et il ne faut pas qu'elle le sache !" réagit tout de suite Noa. " Ne te méprend pas, je ne me complais pas dans le mensonge, et j'ai du mal à me regarder dans la glace pour ça, mais elle ne doit simplement pas le savoir. C'est déjà difficile à admettre pour un adulte, alors une enfant de 11 ans ! Non, je ne veux pas qu'elle en fasse des cauchemars. Et puis… ce n'est que temporaire. Quand la Tokra pourra proposer un nouvel hôte à Xinan, il s'en ira."

Noa eu l'air gêné. Il n'aimait pas mentir à sa fille, mais c'était nécessaire, pour son propre bien.
" Ted, je sais, je passe du coq à l'âne, mais par rapport à la question que tu m'as posée tout à l'heure… à vrai dire… je, je voulais rajouter quelque chose… en fait…" commença Noa sans trouver ses mots. " en fait… je voulais que tu saches… je voulais que tu saches que malgré tout… mes sentiments à ton égard n'ont jamais changés…"

Voilà c'était dit. Il avait finalement réussi à lui dire. Noa avait baissé les yeux et se frottait la nuque nerveusement.

Savoir que Noa allait mal était une épreuve pour Ted. Que pouvait-il faire ? Qu'est-ce qui pourrait alléger le poids de l'informaticien ? Il n'en avait aucune idée et il se détestait pour ça. Pakeha ne souhaitait pas parler du tok'ra à Emy et affirma que ce n'était que temporaire mais il était évident que ça ne l'aidait pas à aller mieux. Finalement, ne tenant plus devant la détresse du jeune homme, Ted s'avança et le prit dans ses bras. Il espérait que c'était la chose à faire. Une main sur la nuque de l'informaticien, il se contenta de le serrer fortement.

Lorsque Noa reprit la parole, il le relâcha et l'écouta sans trop savoir si cet aveu était une bonne ou une mauvaise chose. Comment réagir face à ça. Devait-il lui répondre ? Le perturber davantage ? Devait-il partir ? Ou mentir ? Finalement, c'est d'une voix difficilement calme qu'il demanda :

"Noa. Je sais que mon retour est difficile pour toi. Est-ce que tu veux que je parte ? Je trouverai un endroit, je ne t'embêterai pas, … je reviendrai simplement voir Emy de temps en temps."

Se séparer de sa fille. Encore. C'était une décision extrêmement douloureuse et il aurait bien du mal à l'expliquer à la fillette, et à la tenir, mais il ne se sentait pas le droit d'agir autrement. SI Noa voulait qu'il s'éloigne, il le ferait.

Mais, un faible espoir, un espoir fou, s'immisça en lui et il ne put s'empêcher de poser une autre question.

"Ou, … est-ce que tu veux que je me batte pour toi ? On pourrait de nouveau être une famille, …"

A quoi s'attendait-il au juste ? A peine eut-il fermé la bouche qu'il regretta ses paroles. Cela ne ferait qu'empirer les choses.

*Moi je veux partir !*

Lorsque Noa vit que Ted se rapprocha pour le prendre dans ses bras, il sentit son coeur défaillir. Il s'accrocha à Ted comme à une bouée, le serrant fort contre lui, comme s'il ne voulait jamais qu'il le lâche. Il sentit une chaleur l'envahir et lorsque l'étreinte fut rompue, le désir dans les yeux brillants de Noa ne pouvait pas passer inaperçu. Ce fut certainement ainsi qu'il trouva le courage de faire son aveu à Ted.

Ce dernier réagit étrangement en le lâchant brusquement. Et à ses mots, Noa cru perdre la tête.
" NON !" dit-il dans un cri.
Une panique démente pu se lire le visage de Noa.
" Ted NON ! Tu n'as pas le droit de repartir ! Non ! NON ! Jamais ! Pourquoi tu dis ça ? Tu n'as rien compris ?"
Noa se leva alors d'un bond en proie à un mélange de panique et de colère. Il se mit à arpenter la pièce, le visage plongé dans les mains.
" Comment tu peux dire ça, putain ?" murmura-t-il. " Tu veux m'achever..."

Noa marcha ainsi de long en large dans la petite pièce, en frottant énergiquement son crane, puis sa nuque. Puis, Ted ajouta quelque chose qui le figea sur place. Noa s'arrêta de marcher et de respirer en tournant un regard plein d'espoir vers Ted. Son rythme cardiaque s'emballa à une vitesse folle tandis qu'il restait là debout, les bras ballants au milieu de la pièce, comme un patin désarticulé et exténué.
" Oui... une famille." murmura-il comme dans un état second.

Ted eut du mal à masquer son soulagement lorsque, d'un air virulent, Noa lui affirma qu'il ne devait pas partir. Le militaire sentit une pression immense quitter ses épaules. Il n'en avait pas la moindre envie et était heureux que ce soit également le sentiment de l'informaticien. Mais tout le monde ne partagea pas se soulagement.

*Mais moi je veux partir !*

Morgan étouffa la remarque de la voix et s'engagea sur un tout autre chemin. Il risquait gros, là encore, mais il devait savoir. Est-ce que Noa s'attendait à ce qu'il se batte pour lui ? A reprendre une vie de famille ? Il cru rêver en entendant une réponse positive. Est-ce que l'informaticien pensait ses paroles ? C'était trop beau pour être vrai. Un léger sourire étira les lèvres du militaire et s'agrandit encore à mesure qu'il s'approchait lentement de Noa.

"Est-ce que tu le penses ? Vraiment ?"

Une fois juste devant lui, le militaire leva une main qu'il posa sur la joue barbue en face de lui. Il n'arrivait pas à y croire. Mais cela ne pouvait pas être aussi simple. Une pensée bien moins réjouissante envahit alors son esprit, lui faisant froncer légèrement les sourcils.

"Et Lawrence ?"

Il savait que Noa n'était pas du genre à abandonner quelqu'un à qui il tenait et, même si c'était difficile à accepter, il aimait la blonde. Le fait que cette dernière soit dans le coma rendait les choses encore plus compliquées. Cela lui paraissait mal d'agir ainsi alors que la principale intéressée n'était pas en mesure de se défendre. Mais, au final, le choix revenait à l'informaticien.

Noa cru défaillir lorsqu'il vit Ted s'approcher avec ce sourire qui lui avait tant manqué. Son rythme cardiaque s'emballa à une vitesse folle et lorsque le militaire s'arrêta à quelques centimètres de lui et posa une main sur sa joue, il sentit ses jambes trembler. Ses yeux papillonnèrent un instant lorsque Ted lui redemanda s'il était sûr. Noa avait l'impression de se liquéfier sur place face à Ted, de perdre tous ses moyens et toute sa faculté de réflexion. Encore une fois, il avait l'impression de redevenir l'ado tremblant qu'il avait été lorsqu'ils s'étaient rencontré la première fois.
" Oui " souffla t-il, la voix coupée par l'émotion.

La question qu'il lui posa ensuite fut comme une douche froide et sa respiration se fit de plus en plus saccadée. Cette question, il l'avait toujours évité consciemment, pour la simple et bonne raison, qu'elle symbolisait une angoisse profonde qui l'animait. Il aurait aimé ne jamais y penser. Il aurait aimé que Ted l'embrasse et qu'ils n'en parlent pas, jamais, que ça se fasse naturellement, sans mots. Pourquoi ses sentiments devaient être qualifiés, quantifiés ? Pourquoi devaient-ils rentrés dans des cases pré-établies par des systèmes archaïques et dépassés ?
" S'il te plait, ne me demande jamais de choisir entre elle et toi", souffla t-il, le cœur battant. "Je ... je crois... je crois que j'ai besoin de vous deux." avoua t-il enfin.

En s'entendant dire cela, il s'en voulu instantanément. Cela semblait tellement égoïste... Il eut soudain peur que Ted se recule, alors Noa posa ses mains sur les hanches du militaire et franchit le dernier pas qu'il les séparaient.

Rien n'était jamais simple et Ted le savait depuis sa plus tendre enfance mais ce soir, il aurait préféré que ça le soit. Il aurait tout donné pour que ce soit simple et facile. Noa ne voulait pas choisir. Il avait autant besoin de Sarah que de lui et bien que le militaire s'attendait à ce genre de réponse, elle ne fut pas facile à entendre. Etait-il capable d'une telle chose ? D'accepter de partager l'homme qu'il aimait ? Peut-être, … Il en aurait peut-être été capable s'il n'y avait pas eu un élément plus important que lui.

Emy.

Combien de temps réussiraient-il à supporter la situation, lui ou Sarah ? Combien de temps avant que ça ne s'envenime ? Et comment réagirait la fillette alors ? Parce que cela finirait mal, il pouvait le sentir aussi sûrement que les mains de Noa sur ses hanches. Aussi assurément que les lèvres de l'informaticien sur les siennes. Alors il fit ce qu'il devait. Ted profita du baiser et en serrant son compagnon fort contre lui. Tellement fort qu'il avait presque peur de lui faire mal. Puis, à contre coeur, il rompit leur étreinte dans un soupir.

"Tu n'auras pas à choisir, Noa, … Je le fais pour toi."

Il se recula alors, laissant retomber ses mains le long de ses flancs.

"Tu devrais rentrer."

Il devait se rendre à l'évidence, il ne gagnerait pas. Parce qu'il n'était plus digne de confiance depuis longtemps. Parce qu'il avait cette bombe à retardement dans la tête. Parce qu'il était enfermé et sous surveillance permanente. Parce qu'il y avait Emy et parce qu'elle passerait toujours en premier. Quoi qu'il en coûte.

"Je serai là. Je serai toujours là, Noa."

Le militaire tendit une main qui se voulait assurée et saisit la poignée de la porte avant de l'ouvrir.

"Mais pas comme ça, …"

S'il fallait un méchant, un coupable sur qui reporter la faute, alors il serait celui-là. Il le devait.

Noa ne pensait pas s'être approcher autant du militaire. Qui des deux prit l'initiative de ce baiser ? Il ne pouvait le dire. Cela c'était fait si naturellement qu'il ne s'en rendit compte qu'au moment où ses lèvres touchèrent celles de Ted. Il sentit ce dernier le serrer avec force contre lui et il leva un bras pour l'enrouler derrière la nuque du militaire. Le baiser se fit plus intense et Noa sentit monter une chaleur familière dans son bas-ventre. Son coeur éclatait de joie tandis qu'il se laissait doucement aller, imaginant aisément la suite du programme.
Quelle ne fut pas sa déception lorsque Ted le repoussa, faisant voler en éclat les plans de Noa pour l'heure qui suivait. Ce qu'il lui dit lui coupa la respiration. Le jeune homme ferma les yeux et chancela dangereusement. Lorsqu'il les rouvrit, Ted avait déjà ouvert la porte et l'invitait à partir. Pendant un instant, Noa visualisa son cœur se tordre comme essoré violemment et répandre son liquide vitale là, à ses pieds, créant une mare qui s'étendait dans toute la pièce. Il se sentait si vidé et si fatigué qu'il aurait presque baissé les bras. Presque. Mais le regard de Noa s'était posé sur le poignet de Ted qui tenait la poignée de la porte. Sur ce poignet, il y avait un tatouage, un tatouage qu'il portait lui-même son son propre poignet. Ils l'avaient fait ensemble. Et sa signification maori était lourde de sens.
Noa attrapa le poignet de Ted et passa ses doigts sur le tatouage qui n'avait pas bougé, malgré les années passées.
" Tu ne peux pas choisir pour moi." murmura t-il, les yeux baissés sur le symbole identique sur leurs deux poignets.

Noa releva tout à coup la tête, empoigna le tee-shirt de Ted et le tira brusquement vers lui. Il l'embrassa de nouveau avec fièvre, puis murmura, ses lèvres touchant toujours les siennes.
" Il n'y a pas de choix à faire."
L'informaticien le lâcha alors, puis tourna les talons pour s'en aller. Il avait un mal fou à marcher droit tant sa vue était trouble. Il avait l'impression que tout chavirait autour de lui. Il était arrivé à un tel stade d'épuisement que même Xinan peinait à le maintenir à flot.

Lorsque Noa entra dans ses quartiers, il s'effondra sur son lit et pleura longtemps avant de réussir enfin à s'endormir. Et pour la première fois depuis longtemps, les souvenirs de Nadira le laissèrent tranquille.