Education

Cela faisait quelques jours que le contrôle de la Cité avait été reprit et que la plupart des exilés sur l'Achilles et le Lorion étaient venus peuplés Atlantis. La Cité était immense et le travail qu'il y avait à faire pour la sécuriser et la remettre correctement en état de fonctionner était titanesque. De plus, le contact avec les alliés potentiels de la Terre était également une priorité et devait être géré en parallèle de leur installation.
Noa avait sous-estimé la charge de boulot et il ne se souvînt pas vraiment si il avait pris un minute de repos ou même de sommeil depuis des jours. De larges cernes couraient sous ses yeux, ses traits étaient tirés et il était livide. A vrai dire, la charge de travail n'était pas seule responsable de son état. Sarah était toujours dans le coma, maintenant transférée à l'infirmerie d'Atlantis et son état ne présentait pas d'améliorations. Lena Fawkes était en train de finaliser son enquête préliminaire sur Ted mais lui avait demandé de ne pas la consulter, sur demande de ce dernier. Noa avait respecté la volontée de son ancien compagnon mais dès qu'il y pensait, il avait des sueurs froides en imaginant ce que le dossier pouvait contenir. Et à chaque fois, son imagination était encore plus fertile pour concevoir les pires horreurs. Et pour couronner le tout, lors de ses quelques brèves heures de sommeil qu'il s'accordait, il était sans cesse réveillé par des cauchemars atroces qui s'avéraient être des brides de vie de Nadira. Xinan assurait que c'était de la faute du néo-zélandais. Que c'était son inconscient, pendant ces moments de relâchement, qui allait ouvrir ces petits dossiers pourtant bien scellés et qui en sortaient les VHS d'une vie qui ne lui appartenait pas. Le plus troublant c'était que la plupart du temps, ce foutu inconscient choisissait les images des moments que lui même avait partagé avec l'égyptienne. Revoir ces instants depuis les yeux de Nadira était une expérience troublante. Et bien souvent, chaque bande vidéo déraillait et tombait tout à coup sur leur dernière mission. Il sentait alors le coup reçu à la poitrine de la jeune femme, suivit d'une douleur à peine supportable.  Il se voyait alors s'agenouiller vers elle, commencer le massage cardiaque, et puis tout devenait noir.
C'était à cet instant qu'il se réveillait, en sueur, le cœur battant après seulement quelques heures de ce sommeil agité. Dormir était presque devenu une angoisse pour Noa et il réduissait chaque nuit un peu plus ses phases de sommeil.

Heureusement, Emy était son phare dans ce tableau noir. Sa fille rayonnait et semblait étonnamment à l'aise dans cet univers des plus étrangers. Elle lisait tout ce qu'elle pouvait trouver sur n'importe quel sujet, que ce soit de la physique, de l'histoire, des maths, de la biologie et passait le plus clair de son temps dans la bibliothèque holographique des Anciens. Du moins, c'est ce qu'il croyait. Lorsqu'un jeune sergent frappa à la porte de son bureau et lui ramena Emy qu'il avait trouvé dans une zone désaffecté de l'aile nord, Noa remercia et congédia le soldat avant de refermer les porte.
Le néo-zélandais se retourna alors vers sa fille qui avait baissé la tête et croisé les bras sur sa poitrine.
" Emy ! Je croyais que tu avais compris ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Tu m'avais promis de ne pas aller vadrouiller n'importe où ! Tu me mens maintenant ?! " s'emporta Noa.
C'était la deuxième fois que ça arrivait. La première fois, la jeune fille avait expliqué ne pas savoir que se promener seule dans la Cité pouvait être dangereux. Elle lui avait promis de ne plus le faire... Et apparement, elle avait rompu sa promesse.

" Mais j'ai rien fait de mal ! C'était une salle où il n'y avait rien du tout ! J'ai rien touché, je voulais juste voir !" cria Emy en retour.
" Mais ça peut être dangereux, je te l'ai déjà dit ! " répondit Noa sans baisser de ton.
La fillette poussa un soupir en levant les yeux au ciel, ce qui exaspéra un peu plus son père dont la fatigue avait entamé toute la patience.
" Bon, puisque c'est ça, je vais en parler à Pap's. Peut-être que finalement tu n'auras plus le droit de sortir de la chambre. " menaça t-il.
" Oh nan ! Arrête, lui dis pas. Je veux pas qu'il soit fâché avec moi ! " supplia la fillette en l'attrapant par le bras.

Noa soupira et réussi à redescendre d'un ton. Il se baissa pour être au niveau de sa fille.
" Ecoute, je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose. Il y a beaucoup de choses ici que nos meilleurs scientifiques ne comprennent pas vraiment. Ce n'est pas un lieu pour les enfants, alors si tu veux continuer à aller à la bilbiothèque, il faut que tu respecte les règles. Ok ?"
Emy hocha la tête en murmurant un "oui" peu convainquant.
" Je vais quand même en parler à Pap's. De toute façon, … il fallait que j'ailles le voir."
Emy protesta encore, mais la décision de Noa était prise.

______

Deux heures plus tard, Noa prit la direction des quartiers de Ted. Il avait amené Emy auprès de Thomas et Adam à la suite de leur dispute dans son bureau. L'archéologue avait promis de trouver un eu de temps pour apprendre quelques notions d'Ancien à Emy.
Le coeur battant, Noa frappa trois coups secs sur la porte. Il avait la bouche sèche et une tête à faire peur. Il avait consciemment évité Ted depuis un moment. Il repoussait le moment où il devait lui parler, lui demander pourquoi il souhaitait lui cacher certaines choses. A vrai dire, il avait espéré que le militaire se présente de lui-même à lui et entame la conversation. En vain.
A présent, il était temps de crever l'abcès.
Lorsque la porte s'ouvrit sur son ancien-compagnon, son estomac fit un salto arrière et Noa du se concentrer pour l'ignorer.
" Salut, je peux entrer pour te parler d'Emy deux minutes ?"
A peine eut-il fait un pas à l'intérieur, que Noa commença, comme s'il souhaitait finir sur ce sujet le plus rapidement possible.
" Ca fait deux fois qu'Emy se rend dans des zones interdites et qu'un soldat me la ramène. Je lui ai encore fait la leçon, mais je suis pas sûr que ça serve à grand chose, tu la connais... Du coup, j'ai pensé à lui donner ça." dit-il en levant une main.
Il s'agissait d'un petit pendentif.
" C'est un système d'alarme. Si elle déclenche le mécanisme sur le pendentif, on recoit une alerte sur nos commutateurs respectifs."

Noa fit une moue et rangea l'objet dans sa poche.
" Mais je sais pas vraiment si c'est une bonne idée. On ne pourra pas l'empêcher de vadrouiller partout et ceci peut-être un gage de sécurité. Par contre, si on lui donnes, elle le prendra comme une bénédiction de notre part pour partir en exploration et surtout l'assurance pour prendre des risques inconsidéré. Tu en penses quoi ?" demanda Noa en levant les yeux vers Ted.

Ted était allongé en travers de son lit, la tête dans le vide et les bras tendu devant lui. Il lançait et rattrapait une petite balle encore et encore depuis un bon moment lorsque des coups résonnèrent contre sa porte. Surpris, il fronça les sourcils. Il recevait peu de visiteurs, hormis Emy. L'homme se redressa rapidement et franchit les quelques pas qui le séparait de la porte. La balle toujours à la main, il se figea sur le seuil.

Noa.

L'informaticien ne perdit pas de temps en politesse et affirma vouloir parler d'Emy. Ted s'effaça pour le laisser entre.

"Bien sûr ! Elle va bien ?"

Mais le sujet n'était pas médical, ce qui soulagea quelque peu le militaire. Emy déambulait dans les zones de la cité qui lui étaient interdites. Il soupira. Il avait lui-même eu cette discussion avec sa fille mais, visiblement, sans succès. C'est alors que Noa brandit un pendentif.

*Il parle vite !*

Le bijou était aussi une sorte de batsignal que la jeune fille pourrait activer en cas de problème. C'était une bonne chose en terme de sécurité mais Noa avait peur qu'elle prenne ça pour une bénédiction. Il n'avait pas tort. Ted s'appuya contre le rebord du bureau, les bras croisés sur la poitrine.

"Avant tout, je voudrais te remercier de m'impliquer dans cette décision."

Il savait que cela ne devait pas être facile pour Noa qui avait longtemps dû gérer seul la fillette. Ne plus prendre de décision seul était sans doute un réflexe à prendre. Il réfléchit à la suite.

"Franchement, … je vois pas comment l'empêcher de se promener. Même avec un chaperon, si elle a vraiment décidé de faire quelque chose, c'est pas une menace qui l'arrêtera, …"

Il se souvenait, lorsqu'elle était petite, il n'était pas rare qu'elle laisse sa curiosité la mener dans les endroits interdits.

"Je doute que lui confisquer son doudou fonctionne aujourd'hui, …"

Il tenta un léger sourire vers le barbu en face de lui.

"Je sais plus tranquille de la savoir avec ce collier. Et, même s'il n'a pas l'air de m'apprécier beaucoup, le furet semble plutôt attaché à elle, non ? Est-ce qu'il peut être une sorte de protection supplémentaire ?"

Ted n'avait pas suffisamment de recul pour évaluer la chose mais Emy assurait qu'il était intelligent et il la suivait quasiment  partout.

"Mais je suis d'accord sur le fait qu'elle ne doit pas se balader partout. Peut-être qu'avec des sortes d'excursions prévues et accompagnées, cela suffirait à la faire patienter ?"

Si la jeune fille avait des occasions, autorisées, pour découvrir les zones encore inconnues de la cité, elle pourrait peut-être se montrer plus raisonnable et ne pas explorer seule.

"Je t'offrirai bien quelque chose à boire, … mais j'ai pas grand chose ici, … à part de l'eau, …"

*Oui ! De l'eau !*

Ted le remercia de l'impliquer dans cette décision, et Noa dodelina de la tête en regardant le bout de ses chaussures, les mains enfoncés dans ses poches.
" Normal…" marmonna t-il dans sa barbe.
A vrai dire, c'était aussi un soulagement d'avoir de nouveau quelqu'un à qui se confier lorsqu'il était question de sa fille. Il était vrai que Sarah avait tenu ce rôle ces dernières années mais dans les six derniers mois, elle avait été beaucoup mois présente. Et puis, il fallait dire que leur situation actuelle posait tout un tas de questions concernant l'éducation d'Emy. Questions qu'il était bien content de pouvoir partager avec Ted.

Le jeune homme releva les yeux lorsque le militaire lui donna son avis. Toujours les mains enfoncés au fond de ses poches, il se balançait d'un pied à l'autre comme un enfant mal à l'aise. Finalement, l'évocation de Silver arracha un sourire à l'informaticien.
" Silver ? Ahah. Oui il est très attaché à Emy, mais je doute que ce soit un chien de garde efficace." répondit Noa en plaisantant.

Rire lui permit d'évacuer un peu de ce stress et de cette tension qui s'accumulait en lui depuis qu'il était entré dans la pièce. Ted fit alors une proposition, et Noa hocha la tête.
" Ouais pas bête. Je vais essayer de trouver quelqu'un de disponible pour s'occuper de ça." dit Noa en croisant le regard du militaire.

A vrai dire, il y avait quelqu'un de disponible qui pourrait se charger de cela. Encore fallait-il qu'il ai l'autorisation de sortir de ses quartiers...
* Pour ça, faut que tu me parles !* pensa Noa comme s'il voulait lancer cette pensée en direction de Ted.
* Oui ? Je peux faire cela !* intervient Xinan, en jouant les faux semblant.
* Coucouche-panier toi ! Et t'avise pas de réapparaitre. C'est privé ici.*
Xinan eu un rire jaune à l'intérieur qui fit grincer les dents du jeune homme.

Ted s'excusa de rien n'avoir à lui offrir à boire.
" De l'eau, ça me va très bien., merci ! demanda Noa en passant une main sur son visage exténué.
Alors que Ted s'éloignait pour lui servir un verre, le regard de l'informaticien fut attiré par un tas de dessins éparpillés sur le bureau. Il s'en approcha et posa le doigt sur un pour le tirer sur la table. Il s'agissait d'un amoncellement végétal assez réaliste.

" Je vois que tu dessines toujours." murmura Noa. Et dans sa phrase, il sentit qu'il trahissait une certaine nostalgie.
Pourtant, le style graphique de Ted semblait avoir légèrement changé, de même que ses sujets. Noa n'avait pas souvenir de l'avoir vu se passionner pour le dessin de nature morte.
" Qu'est ce que c'est ?" demanda bêtement Noa, avant de se souvenir que ce genre de question avait tendance a irrité tous les dessinateurs." Excuse-moi, ça ne ma regarde pas.." ajouta t-il en faisant un pas en arrière.

Noa accepta un verre d'eau et Ted s'empressa de le servir. Il vida son propre verre d'une seule traite et s'en servit un autre dont il avala presque la moitié. Se rendant compte de son geste et des yeux braqués sur lui, il esquissa un sourire gêné.

"J'avais soif, …"

*Moi aussi !*

Le principal c'était que l'informaticien avait trouvé son idée intéressante. Il fallait espérer que cela fonctionne. Ted aurait bien voulu être cette personne qui accompagne Emy mais il n'avait toujours pas le droit de sortir de ses quartiers. Noa s'approcha alors de ses dessins et le militaire l'observa sans bouger. Est-ce qu'il aimait ?

"Euh, … j'en sais trop rien en fait, … faut croire que la végétation me manque, …"

Cela faisait des semaines qu'il était confiné à l'intérieur, entre des murs gris et nus. L'avantage était que, dans la cité, il avait au moins une fenêtre qui laissait entrer la lumière du soleil. Un silence chargé s'installa alors et le militaire finit par prendre une grande inspiration.

"Est-ce que tu as lu le rapport de Fawkes ?"

La responsable de la sécurité lui avait assuré qu'elle avait demandé à Noa de ne pas lire le-dit rapport mais le barbu avait des responsabilités ici, et une curiosité légitime.

Noa jeta un regard sur Ted qui avala deux verres d'eau l'un derrière l'autre. Le militaire surprit son regard et se sentit obligé de se justifier. Noa lui sourit tristement, sans un mot. Mais l'image de certaines soirées mémorables qu'ils avaient faites avec des amis, où Ted enchainait les shooters à la vitesse de l'éclair sous les applaudissements, s'était matérialisée devant lui. C'était un autre temps, presque une autre vie… Une bouffée de tristesse lui serra la poitrine.
Il ne savait pas si s'intéresser aux dessins de Ted était un remède efficace contre sa nostalgie. A vrai dire, tout chez lui le ramenait à des milliers de souvenirs, à cette vie passée qu'il aurait tout donné pour retrouver… Ca faisait mal de le voir là, face à lui, si fermé, si … mystérieux.

Comme pour faire écho à ses pensées, Ted lui posa une question qui ouvrait le terrain sur le sujet épineux qu'il fallait qu'ils abordent. Noa soupira et se passa une main sur son visage fatigué.
" Non, je ne l'ai pas lu." dit-il. " Je ne l'ai pas lu, car elle m'a dit que tu ne le souhaitais pas."

Noa croisa ses bras sur son torse, mais il baissa la tête et sa main droite vînt rapidement pincer ses yeux entre son pouce et son index.
Il releva ensuite la tête et se racla la gorge.
" J'attendais que tu m'en parles." dit-il. " Qu'est ce que tu veux me cacher, Ted ?"
demanda Noa, la peur au ventre.

Toutes les théories les plus farfelues les unes que les autres qu'il avait accumulé ces derniers jours lui revinrent en tête. Et il ferma une seconde les yeux, comme pour chasser le vertige qu'elles engendraient. Ressasser cette question le rendait malade. Il avait besoin de savoir, mais il était terrifié.

Ted cacjha son soulagement lorsque Noa affirma ne pas avoir lu le rapport le concernant mais, très vite, il déchanta. L'informaticien voulait savoir la vérité. Mais c'était une chose à laquelle il n'était pas préparé.

Le militaire inspira et expira plusieurs fois sans trouver le courage d'ouvrir la bouche. Il se mit à marcher dans le peu d'espace qu'il y avait dans ses quartiers. Lorsqu'il trouva enfin le courage de parler, ce fut d'une voix mal assurée.

"Je sais ce que tu penses mais tu te trompes."

Ted avait longtemps songé à ce que Noa avait pu s'imaginer. Mais, à chaque fois, la vérité était pire.

"Je ne suis pas partie parce que j'en avais assez de vous, ou de toi. Il n'y avait personne d'autre, … Il n'y a jamais eu personne d'autre, …"

Il ne regardait pas Noa. Il ne pouvait pas.

"Vous m'avez manqué. Tous les jours, …"

C'est alors que le militaire s'arrêta de marcher et leva un regard triste sur son ancien compagnon.

"Il fallait que je parte. Et tu le sais, même si tu ne veux pas l'admettre."

Il le fixa un long moment.

"J'étais devenu violent."

Cet aveu lui coutait mais il se devait de regarder les choses en face.

"Et je ne m'excuserai jamais assez pour ça !"

Ted sembla complètement désarmé par sa question, et il y eu un long silence, un très long silence, un trop long silence. Noa sentit son estomac se décomposer au fur et à mesure que Ted le faisait patienter, en faisant les cents pas. Cette attente était insoutenable et lui donnait la nausée. A chaque seconde qui passait, Noa imaginait toutes sortes d'explications, les plus horribles les unes que les autres, et l'informaticien se mit respirer un peu plus fort, attendant le moment fatidique où il saurait que son monde déjà bien écroulé, s'effondrerai encore plus bas que terre.

Et puis, Ted se mit à parler, et ses mots furent comme un souffle de chaleur bienvenu. " Il n'y a jamais eu personne d'autre.." résonna dans son oreille longtemps. " Vous m'avez manquez tous les jours." Noa ferma les yeux pour s'imprégner de ces mots.

C'est alors que Ted s'arrêta de marcher. Le silence qui s'ensuit, fit ouvrir les yeux de Noa. Il se rendit compte que Ted le regardait avec cet air désespérément triste qui le faisait tellement chavirer.
Et puis il prononça une suite de mots. Une suite de mots qui fit disjoncter le cerveau exténué de Noa. Des images subliminales défilèrent à toute vitesse devant ses yeux, sans qu'il en saisisse vraiment le sens. Sa poitrine se serra si fort qu'il n'arrivait plus à respirer et il se rendit compte qu'il s'était mit à trembler comme une feuille. Il eu juste le temps de poser le verre sur le bureau pour ne pas qu'il se fracasse au sol et il laissa tomber son corps désarticulé sur le rebord du lit. Son visage était si livide qu'il paraissait transparent. Il posa ses coudes sur ses genoux tremblant et enfoui son visage dans ses mains sans un mot.
Il resta ainsi un long moment, puis, sans bouger, le visage toujours caché dans ses mains, il reprit la parole.
" Tu te fout de ma gueule ? " murmura t-il.

Noa se leva alors d'un bond, et s'approcha de Ted à grand pas. Il se planta à deux centimètres de lui.
" Tu es parti pour ça ? Tu crois que c'était la meilleure solution ? J'aurais pu enduré ça. On aurait pu s'en sortir ! Mais en fait, tu as fuit !" lança Noa.
Bizarrement, ce n'était pas de la colère qui transparaissait, mais un profond désespoir. L'informaticien était livide, tremblant et semblait prêt à tourner de l'œil à chaque instant.

La réaction de Noa fut aussi soudaine qu'inattendue. Lorsqu'il le vit se mettre à trembler, Ted fit un pas en avant mais, avant qu'il n'ait pu se décider sur la marche à suivre, redoutant d'aggraver les choses, l'informaticien se leva brutalement et le fit reculer contre la porte. Il lui affirmait qu'ils auraient pu gérer ça mais ne savait pas tout. Ted leva un bras pour le poser sur l'épaules de l'homme face à lui mais se ravisa avant de le toucher. Avait-il encore le droit de faire ça ?

"Tu ne comprends pas, … je ne pouvais pas rester. Pas après cette nuit-là, … Je ne pouvais pas prendre ce risque, …"

Ce n'était qu'un murmure. Cette fameuse nuit, Ted aurait voulu l'oublier. L'enfermer à triple tour dans le plus profond des recoins de son esprit. L'enterrer sous des tonnes d'autres souvenirs plus supportables et l'y laisser pour toujours.

*Trop près !*

Son bras, toujours en suspend au dessus de l'épaule de Noa se baissa lentement, en même temps que son regard. Pendant un moment, il se demanda si la colère que Noa ressentait contre lui à ce moment-là n'était pas préférable à la vérité. Mais Ted était fatigué de mentir.

"Je l'aurais tué, … et toi aussi, …"

Il soupira longuement en ferment les yeux.

"Noa, je suis malade."

Ca y est. C'était dit. le sparadra avait été arraché d'un coup et, maintenant, il fallait en supporter la morsure.

Noa vit la main de Ted se lever et, instinctivement il recula d'un demi-pas en relevant légèrement son bras droit. Son corps avait réagit automatiquement, et lorsque son cerveau comprit à retardement ce que ce mouvement signifiait, il en ressentit une honte profonde. Il baissa aussitôt son bras, mais son geste n'avait pas pu passer inaperçu. Il plongea son visage entre ses mains, sans un mot. Ted avait voulu le toucher, l'attraper par l'épaule peut-être, et son foutu corps avait réagit comme s'il l'attaquait. Était-ce à cause de ces images douloureuses qu'il avait fait remonter en lui ? Noa se mit à se haïr avec force, le visage toujours plongé entre ses mains.
Lui qui venait de minimiser les actes de violence passées de Ted, par fierté mais surtout par mensonge envers lui-même, venait de révéler d'un simple geste qu'ils l'avaient marqués plus profondément qu'il ne voulait bien l'admettre. Le jeune homme laissa retomber ses mains, inspira fort, le regarda baissé.

Et Ted continua. Il enchaina, évoquant "cette nuit là". De nouveau des images défilèrent devant les yeux de Noa, contre son gré. Il vit le poing de Ted s'abattre à répétition sur lui et ce visage qu'il chérissait tant déformé par la colère. Et puis il avait cette nuit particulière où les coups avaient été plus forts que d'habitude et où Noa avait sentit qu'il basculait dans les abimes. Un instant de flottement étrange où la douleur n'est plus et où le noir se fait. Cette nuit là, Noa avait perdu connaissance pendant une heure sous les coups.
Toutes ces images et ces sensations défilèrent très vite dans l'esprit exténué de l'informaticien. Il savait que pendant des années, il avait complètement refoulé ces évènements. Qu'il avait fallu sa dépression de l'année dernière, cette nuit fatidique où il avait lui-même failli frapper Sarah et de longues séances avec De Bressignac pour qu'il accepte enfin de se souvenir.

Il savait qu'à l'époque, il avait refusé d'en vouloir à Ted, il avait même refusé de lui en parler. Une fois la colère dissipée, tout repartait normalement. Et son amour pour lui était resté intact. Était-ce par lâcheté, par refus de voir la vérité en face ou par empathie pour ce militaire surmené qui avait vu maintes fois la mort en face ?

Noa regarda fixement le bras de Ted se baisser lentement. Mais ce qu'il dit ensuite l'électrifia. "Je l'aurais tué.. et toi aussi..."
Le jeune homme leva tout à coup un regard interrogatif sur Ted. Mais de quoi parlait-il ? De … qui parlait-il ?

A l'époque, lorsque la colère de Ted l'avait poussé à devenir violent, il l'avait toujours été exclusivement sur Noa, en privé, dans leur chambre. Le jeune homme avait toujours eu la profonde conviction que cette violence serait toujours tournée uniquement contre lui, car Noa était capable de l'endurer. Comme si Ted avait besoin de faire sortir toute l'horreur qu'il accumulait dans son métier, et que Noa avait la carrure et serait toujours volontaire pour la réceptionner. Il était impensable que cette violence soit tournée vers quelqu'un d'autre… quelqu'un d'autre comme Emy.
L'estomac de l'informaticien se tordit dans tous les sens à cette simple pensée. Mais Ted ne lui laissa pas le temps de digéré cette information et lui en balança une toute autre.
Malade, il était malade.

Cette fois, une peur sourde traversa les yeux du néo-zélandais et rasa au passage les dernières traces de colère. Noa était à présent, purement et simplement terrifié.

" Que.. quoi ? Qu'est ce que … je ne comprend pas. Qu'est-ce que tu as ?... et … et de quoi tu parles …. de qui tu parles ?" demanda t-il, plein d'angoisse, tout en faisant un nouveau pas vers Ted.

Ted se mordit fortement l'intérieur de la joue lorsque Noa recula instinctivement. C'était sa faute et il le savait. L'informaticien avait peur de lui. Alors il se colla à la porte autant qu'il le put et baissa les yeux pour poursuivre son explication. Mais c'était trop difficile d'être vraiment précis. Noa finirait par le détester autant qu'il le craignait. Et il en avait parfaitement le droit. Finalement, il cracha le morceau et les questions attendues arrivèrent.

Ted se laissa glisser contre la porte. Il avait besoin de plus d'appuis et peut-être que s'il se faisait plus petit, Noa aurait moins peur. Peut-être, … Les genoux ramenés contre sa poitrine et le regard résolument fixé sur les pieds du lit, il poursuivit de la voix la plus calme qu'il put.

"Troubles bipolaires, … et hallucinations auditives, …"

Sa voix était bien moins assurée qu'il ne l'aurait voulu. Et bien plus faible aussi.

"Il y a une voix, dans ma tête, … Elle, … n'est pas toujours très sympa, …"

Le militaire n'avait aucune envie de répondre à la dernière question de Noa. Détailler cette soirée n'était pas la meilleure chose qu'il puisse faire. Ses deux mains se refermèrent sur ses jambes et les serrèrent sans même qu'il s'en rende compte.

*Hey ! Je suis toujours sympa !*

Ted ferma fortement les yeux pour ne pas réagir. Un accès de violence maintenant serait rédhibitoire. Il ne bougea pas pendant de longues secondes.

"Je ne pouvais pas rester, … pas sans vous mettre tous les deux en danger. Je ne me le serai jamais pardonné, …"

Après plusieurs profondes inspirations, il finit par lever vers un regard humide.

"Je te dirai ce que tu voudras, … Et si, … si tu ne veux plus que je la vois, … je comprendrai, … Je ferai comme tu veux, …"

Un filet de larmes s'échappa de ses paupières alors qu'il baissait de nouveau la tête.

Ted se laissa glisser contre la porte et ramena ses genoux contre sa poitrine avant de répondre. Noa encaissa la réponse comme il pu.
" Oh putain…" murmura t-il en se passant une main sur le visage et en callant l'autre sur sa hanche, comme pour se maintenir à quelque chose.
Noa commença à marcher lentement dans la pièce en tournant sur lui même. Ainsi c'était cela. La violence avait une explication rationnelle "simple". Le jeune homme était à la fois soulagé et terrifié par les conséquences de cet aveu. Noa baissa le regard sur Ted lorsque celui-ci précisa ses explications. Il vit que ce dernier avait solidement serré ses mains sur ses jambes, comme s'il voulait se faire le plus petit possible, … ou contrôler tout mouvement brusque.

Noa resta totalement pétrifié. Il continuait à regarder Ted, sans réagir alors que celui-ci faisait visiblement un effort surhumain pour s'ouvrir enfin à lui. Ted n'avait pas eu besoin de répondre à sa question pour que Noa comprenne, à conte-cœur, l'impensable. Il avait beau rejeter l'idée en bloc, il ne pouvait pas faire l'autruche éternellement. C'était évidemment Emy. C'était Emy dont il parlait, qu'il avait eu peur de blesser … voir de … Noa tourna brusquement la tête en fermant les yeux pour chasser la fin de cette phrase.

" Oh putain…" répéta t-il dans une souffle, en posant une main sur ses yeux. Un vertige le saisit alors et il du se maintenir avec sa main de libre contre le mur pour ne pas tomber. L'idée était si impensable qu'elle n'arrivait pas à s'ancrer réellement en lui.
Noa entendit que le militaire respira plusieurs fois longuement, comme s'il s'apprêtait à rajouter quelque chose.

Le jeune homme baissa sa main et son regard croisa celui, humide, de Ted. Ce qu'il lui dit fit éclater le coeur de Noa, et lorqu'il vit des larmes se former dans les yeux du militaire, il perdit toute sa raison. Dans un mouvement rapide, Noa s'agenouilla face à Ted et ouvrit les bras pour l'enlaçer fermement, lovant son visage dans son cou. Il sentit son ceour manquer un battement à ce contact soudain, à cette odeur si familière qui lui emplissait les narines. Noa le serra fort, tellement fort, comme s'il ne voulait plus jamais le lâcher, comme si sa vie en dépendait.

" On va s'en sortir. Je te le promets." fut tout ce que Noa fut capable de murmurer. " On va s'en sortir ..."

La nouvelle semblait aussi dure à entendre pour Noa qu'elle n'était à avouer pour Ted. Tremblant légèrement à la fois sous le poids de cet aveu que sous la tension dans ses membres, le militaire attendait la décision de son ancien compagnon. Il risquait gros. Il risquait tout. En une fraction de seconde, il revit ses années merveilleuses de vie à trois avant que tout ne bascule, il se souvint de ces crises de colères sous le contrôle de cette voix capricieuse et la nuit maudite où il avait faillit commettre l'irréparable. La décision avait été inflexible. Il n'avait jamais eu le choix. Puis, les dernières années de solitude à tenter de reprendre le contrôle à l'aide du traitement miracle. Finalement, la dernière semaine passée, même s'il avait été intensément surveillée, avait été la meilleure depuis bien longtemps. Mais c'était fini maintenant. Noa ne le laisserait plus voir Emy. Pas maintenant qu'il connaissait la vérité. Et il avait raison.

*Pourquoi tu pleures ? Tu as mal ?*

Sans qu'il ne s'en rende compte ou qu'il puisse y faire quoi que ce soit, des sillons salés se frayèrent un chemin à travers sa courte barbe. Mais le plus inattendu fut l'étreinte qui suivit. Noa s'était approché de lui. Il ne semblait plus avoir peur. Et il le serrait fort, le visage enfoui dans son cou comme autrefois. C'en fut trop pour Ted qui relâcha d'un coup les années d'angoisse et de solitude. Ce serait sans doute très court mais il ne pouvait pas s'empêcher de profiter de cette étreinte. Sa seule retenue fut de ne pas bouger. Gardant les bras obstinément serrés autour de ses jambes pour ne pas faire de gestes malheureux, il laissa sa tête retomber contre l'épaule de celui qu'il avait toujours aimé.

Combien de temps il restèrent ainsi ? Ted n'en avait pas la moindre idée mais, lorsqu'il parvint à reprendre le contrôle de ses émotions, il redressa légèrement la tête.

"Merci, …"

Noa serrait Ted dans ses bras avec force et, il sentit que ce dernier ne le repoussa pas. Son visage lové dans le cou du militaire, il souhaitais ne jamais rompre cette étreinte, mais à défaut, en apprécia chaque seconde. Au bout d'un long moment, Ted releva légèrement la tête et murmura un "merci" à bout de souffle. Noa se recula légèrement à son tour et vit les sillons des larmes sur les joues du militaire. A genoux devant Ted, Noa posa ses deux mains sur ses joues pour maintenir son visage face à lui. Son regard fiévreux trahissait le désir qu'il avait pour cet homme et il cru pendant un instant qu'il allait se laisser aller. Mais l'informaticien prit une longue inspiration en papillonnant des yeux. Il essuya les joues du militaire et laissa retomber ses mains à contre cœur. Mais il ne recula pas , gardant précieusement cette proximité entre eux. Pour plus de confort, il s'assit en tailleur face à Ted.
" Tu aurais du m'en parler dès le début. " murmura Noa dans un souffle. " Nous aurions trouvé une solution ensemble. On ..  on était tellement bien ensemble… je croyais qu'il n'y avait aucun secret entre nous." ajouta le jeune homme à demie-voix. Il se passa une nouvelle main sur le visage comme pour chasser ces souvenirs. Il ne voulait pas ressasser le passé éternellement, il était temps d'aller de l'avant maintenant que ce cap était franchi.

Noa releva les yeux vers Ted et se pencha en avant vers lui.
" Et qu'est-ce que tu as fait pendant tout ce temps ? Tu as eu un suivi thérapeutique ? " demanda Noa d'une voix douce. " Il faut que tu sois suivi ici. C'est pour ça que tu voulais voir Saïd ? " se souvint alors Noa.
Cette dernière question réveilla en Noa une chose qui le mettait constamment mal à l'aise. Comment diable Ted connaissait le SDT, le JPS et l'état-major de l'Achilles ?

Ted se retint de fermer les yeux. Sentir les mains de Noa sur ses joues avaient un petit goût de paradis dans son enfer personnel. Mais, bien vite, le néo-zélandais se recula et la magie retomba. Le militaire répondit sur le même ton que son ancien compagnon.

"Tu ne comprends pas, … Quand je me suis réveillé dans sa chambre, mon arme à la main, … j'avais trop peur pour risquer sa vie, … ou la tienne, …"

Ca y est. Tout était dit. Le militaire baissa la tête vers ses genoux jusqu'à y poser son front. Noa le questionna sur la suite et Ted lui en fut presque reconnaissant. Au moins, ses années de service pour le RESO n'était pas aussi personnelles.

"Le RESO avait un traitement. J'ai travaillé pour eux mais je ne savais pas que c'était aussi grave, je te le promets ! Dès que j'ai appris leurs véritable intentions, je suis parti ! Mais il ont menacé de vous faire du mal. Ils avaient des informations sur Emy. Le nom de son professeur, des amis avec qui elle jouait le week end, … Il m'a fallu un moment pour saisir une opportunité acceptable, …"

Ted inspira profondément pour faire le tri dans ses idées. Dans ses souvenirs.

"J'ai pu prendre quelques doses de traitement en partant. J'ai donné la dernière à Saïd pour qu'il arrive à le reproduire, …"

Noa n'était pas idiot. Il comprendrait bien tout seul les implications sur son état. Mais il se devait de le rassurer au risque de tout perdre.

"Je me contrôle beaucoup mieux aujourd'hui. S'il y avait le moindre risque, … Je ne verrai pas Emy. Je te le jure !"

Il devait le croire si le militaire voulait continuer à passer du temps avec sa fille.

Noa blêmit à vue d'œil, si tant est qu'il puisse être plus livide qu'il ne l'était déjà, et ouvrit deux grands yeux rond d'horreur lorsqu'il entendit ce que Ted ajouta. Il baissa la tête et posa une main sur son front comme pour chasser un vertige. S'il avait été debout à cet instant, il serait probablement tombé sous le choc.
Mais Noa ne dit rien. Ne fit aucun commentaire sur ce que Ted venait de lui annoncer.
Il se contenta d'écouter ce que son ancien compagnon avait à lui dire de plus concernant sa disparition. Alors ainsi il avait rejoint le RESO. A vrai dire ce fut une chose qu'il avait longtemps redouté lorsque tous les scénarios naviguaient dans sa tête. Noa comprit immédiatement comment ces types avaient piégés Ted. D'abord par le traitement, ensuite pas les menaces sur sa fille. Si vraiment les informations étaient véridiques, cela signifiait que depuis tout ce temps le RESO surveillait Emy et lui. Et lui qui avait pensé naïvement que sa fille était en sécurité à Colorado Spring…. Il en était malade.

Noa se massa le front avec sa main droite et murmurant une série de "putain" qui illustrait parfaitement son état de stress face à ces révélations. Ted se sentit soudain obligé de se justifier et de plaider pour le contrôle de sa colère. Noa releva brusquement la tête avec un sourire triste.
" Je sais. Ne t'inquiète pas. Je te connais, je sais que tu ne prendra jamais de risque avec Emy." dit-il pour le convaincre.

Avait-il cru sincèrement que Noa allait l'empêcher de voir Emy ? Non. Depuis qu'il était de retour, l'informaticien n'avait jamais vu son ancien compagnon perdre le contrôle. Au contraire il le trouvait anormalement distant et rigide. A présent il en comprenait mieux la raison. Quoi qu'il en soit, Noa était persuadé que Ted était incapable de faire du mal à Emy. Et cette dernière lui en aurait voulu à vie s'il l'avait empêché de voir son père.
Mais pourtant... une phrase tournait en boucle dans sa tête…"Quand je me suis réveillé dans sa chambre, mon arme à la main, …"
Non… c'était une autre époque. Ted était surmené, traumatisé par son travail beaucoup trop prenant… Aujourd'hui il avait le contrôle, … n'est ce pas ?

" Tu pensais que je t'empêcherai de voir Emy ?" demanda Noa. " Je te fais confiance Ted. Si tu sens que ça reviens, tu me le dis et tu restes loin d'elle. Ok ?"
Il sourit de nouveau, tristement au militaire, puis il eu une moue, comme s'il était gêné par ce qu'il allait dire ensuite.

" Ecoute… je ne suis pas médecin mais... mais je ne suis pas sûr que te bourrer de médicaments est la meilleure des solutions. Surtout s'il s'agit d'un traitement proposé par le RESO. Tu ne crois pas qu'ils auraient pu mettre un addictif pour s'assurer que tu ai toujours besoin de tes doses ? Quand as-tu pris la dernière d'ailleurs ? Est-ce que tu ressens un effet de manque ? "
Toujours assis en tailleur, Noa calla un coude sur sa cuisse, pencha la tête et posa sa joue dans le creux de sa main.
" Tu ne voudrais pas essayer une méthode plus… douce ? "
Puis, il eu l'air un peu gêné. Il jeta un regard à droite comme s'il voulait éviter de le regarder dans les yeux lorsqu'il lui dirait la suite.

" J'ai … j'ai moi-même été suivi par un psychologue. Ca m'a beaucoup aidé tu sais…. quand j'ai fait ma… dépression."
Noa se racla la gorge. Il avait toujours du mal à aborder cette période de sa vie avec quiconque, mais c'était d'autant plus délicat avec la personne qui fut l'objet de cette chute.
" Ca pourra peut-être t'aider à te débarrasser de ces troubles par une autre méthode. Je ne voudrais pas que tu te grilles la cervelle avec tous ces médocs…" ajouta t-il, pas très à l'aise.
C'était surement un peu naïf de sa part, mais il était certain qu'il ne faisait pas confiance à un traitement créé par le RESO.

Ted parvenait à peine à y croire. Comment Noa pouvait lui faire confiance à ce point après ce qu'il lui avait dit ? Après avoir disparu cinq ans sans aucune nouvelle ? Le militaire se rendit alors compte qu'il avait beaucoup de chance et cela confirma ce qu'il avait toujours su. Noa était une personne en or. Et lui, avec sa fichu maladie, il avait tout gâché.

*Hey ! Faut pas être aussi défaitiste !*

Il fronça les sourcils. C'était bien la première fois que la voix était un tant soit peu compatissante. Est-ce que la maladie évoluait ? Est-ce qu'il devait s'attendre à ce que ça empire ? Sans traitement, c'était prévisible. Ted se promit de redoubler d'attention et, lorsque Noa lui demanda de le prévenir s'il sentait que sa violence revenait, il n'hésita pas une seconde et planta un regard des plus sérieux dans celui de l'informaticien.

"Je te le promets !"

Puis, après quelques secondes, il ajouta d'une petite voix.

"Merci !"

*Et moi ? J'ai pas le droit à un "merci" aussi ?*

Ted tâcha de faire abstraction de ce qui se passait exclusivement dans sa tête.

*Ingrat !*

Puis, il ressentit un sentiment étrange. Est-ce que la voix boudait ? Il secoua légèrement la tête. Voilà qu'il se faisait des idées. Il devait se reposer un peu. Et il avait cruellement besoin de ce traitement. Mais Noa ne semblait pas de cet avis.

"La dernière dose remonte à plusieurs semaines. C'est, … gérable. La plupart du temps, je suis ici de toute façon. Mais ça se limite à une voix de temps en temps. Les messages sont anodins. Rien de dangereux, je t'assure. Le plus souvent, c'est plus comme une sensation d'ailleurs, … Comme ma soif de toute à l'heure."

C'était étrange d'en parler à voix haute.

"Je n'ai jamais, … vraiment parler de ça en fait, … c'est, … j'ai l'impression d'être fou, …"

Noa lui parla alors de psychologue, évoquant sa dépression. Ted se savait responsable de ça, en grande partie. Penaud, il baissa les yeux.

"Je suis désolé, … J'ai jamais voulu ça, …"

L'informaticien voulait qu'il voit un psychologue, lui aussi. Ted n'était pas du genre à s'épancher sur lui-même, surtout pas avec un parfait étranger mais il ne se sentait pas en droit de refuser.

"Je ferai ce que tu me demanderas."

Et c'était l'une des seules choses dont il pouvait être sûr à l'heure actuel. Ca et son amour intact pour Emy et pour lui. Mais il ne mentionnerait pas ce dernier point devant Noa. Il n'avait pas le droit. Pas alors qu'il avait refait sa vie avec quelqu'un qui le mérite.

La promesse de Ted lui fit du bien. Il ne pouvait s'empêcher tout de fois d'entendre de nouveau la remontrance de Cook, le blâmant de réfléchir avec son cerveau secondaire. Oui, il savait que Ted le rendait fou et que son jugement était totalement aveuglé en sa présence. Mais il savait aussi, par instinct, qu'il y avait une chose qui comptait plus que tout pour le militaire, c'était sa fille.
* Ouais, enfin, il dit s'être réveillé une arme à la main dans sa chambre, c'est quand même moyen…* cracha Xinan tout à coup.
Noa fronça les sourcils et mit une pichenette mentale au Tokra.

Lorsque Ted lui expliqua en quoi consistait réellement ses troubles, Noa fronça les sourcils.

" Et qu'est-ce qu'elle te dit cette voix ?" demanda l'informaticien en faisant un étrange parralèle avec la sienne, et Xinan. Pendant une fraction de seconde, il se mit même à penser que Ted était peut-être l'hôte d'un Goauld, mais il se ravisa bien vite en se rappelant que si ça avait été le cas, Noa aurait été le premier à le sentir, grâce au Naquada qu'il avait à présent dans le sang.
Ted sembla d'évoquer ses troubles avec Noa. Il se croyait fou, et Noa se mit alors à penser très fort à Plume. Il avait déjà vécu une situation similaire avec l'alienne. Le simple souvenir de la jeune femme lui serra le cœur. Aux dernières nouvelles, elle était sur Terre et il espérait très fort qu'elle allait bien.
" Arrête, ne dis pas ça.." dit Noa en posant tout à coup une main sur celle de Ted, qui tenait toujours fermement ses jambes. Ce geste fut comme un réflexe, et Noa l'enleva bien vite lorsqu'il s'en rendit compte. Il se frotta la nuque, l'air gêné. " Tu n'es pas fou. C'est peut-être juste une phase…" ajouta t-il, se voulant rassurant.

C'est à cet instant que Noa évoqua la psychologie comme solution pour Ted. Il cita son propre exemple. Exemple qui mit autant mal à l'aise Noa que Ted. Ce dernier se mit même à s'excuser mais Noa baissa la tête. Il n'avait clairement pas envie de revenir sur cette période noire de sa vie, ni de diminuer ce qu'il avait vécu par un hautain mais rassurant "T'inquiète !" ou un encore pire " c'est rien". Car non, ce n'était pas rien.

Ted vînt finalement par lui dire qu'il ferait tout ce que Noa lui demanderait. Noa releva la tête, surpris. Il savait que Ted était sérieux, pourtant il ne pouvait s'empêcher de sourire à cette phrase. A une autre époque, il aurait surement répondu un truc bien inspiré impliquant une danse ridicule sur du Village People ou une partie de gymnastique sous la couette. Noa essaya de reprendre son sérieux.
" Merci."

Ted baissa les yeux sur sa main lorsque Noa y déposa la sienne, par réflexe. C'était agréable. Mais la seconde d'après, l'informaticien la retira, gêné. Ce fut pour Ted comme une douche froide. Et pas de celle qu'il prenait de plus en plus souvent maintenant. Non, là, c'était un frisson glacé qui parcouru sa colonne vertébrale. Le retrait rapide et embarrassé de Noa le renvoya à des années en arrière, lorsque ce geste était banal et rassurant pour tous les deux. Ce temps-là était irrémédiablement révolu et Noa le lui fit bien comprendre.

Morgan baissa alors la tête pour tenter de cacher son trouble et sa profonde tristesse.

"Peut-être, …"

Mais il n'y croyait pas. La voix se faisait de plus en plus présente et rester seul, entre quatre murs sans aucune autre distraction que ses dessins ou les visites d'Emy ne l'aidait pas. Bien sûr, il ne le dirait pas. La méfiance de tous était pleinement justifiée et il n'avait aucun droit de chercher à obtenir des privilèges.

Le regard toujours rivés sur ses genoux, il ne vit pas le sourire de Noa mais cru en percevoir une note dans son "merci". Cependant, il ne releva rien. Se souvenir de tout ça, de ce qu'il aurait pu faire si la maladie ne s'était jamais déclarée, était bien trop douloureux et il avait d'autres problèmes à gérer.

"Qui est-ce que je devrai voir ? Et quand ? Il faudra qu'il vienne ici, … Mais pas en même temps qu'Emy."

Il redoutait déjà ces moments. Pour sûr, il préférait largement les visites de sa filles.

Ted ne levait pas la tête et le sourire de Noa était passé totalement inaperçu. Le militaire s'inquiéta ensuite de comment allait se passer son suivi psychologique. Noa eu un pincement au cœur en constatant que Ted pensait qu'il allait toujours être restreint de ses mouvements.
" Ted, je ne peux rien te promettre, mais maintenant que tu m'as parlé, je vais lire le dossier de Fawkes, je pourrais ensuite le transmettre à ma hiérarchie, et soit sûr que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour te rendre ta liberté de mouvements. Je ne pense pas que Doyle te mettra des bâtons dans les roues. Nous avons trop besoin d'hommes expérimentés pour gagner cette guerre. Et tu es un des meilleurs. On ne pourra pas se passer de toi." dit-il.

Puis il ajouta :
" Tu pourras t'adresser au Docteur Olivander. Je ne le connais pas personnellement, mais je m'assurerai qu'il puisse te recevoir rapidement, à son bureau. "
Noa marqua une pause ensuite, et pencha la tête sur le côté.

" En ce qui concerne Emy… c'est toi qui voit, si tu veux lui dire ou non. Bien sûr, si tu décide de lui dire, tu dois rester vague. Lui dire simplement que tu as vécu beaucoup de choses difficiles avec ton métier et que tu as besoin de voir un docteur pour en parler, je pense qu'elle est capable de comprendre… Après…"
Noa hésita avant de continuer :
" Est-ce qu'elle t'as demandé pourquoi tu étais parti ?"
Ce sujet était si délicat, que Noa ne l'avait jamais abordé directement avec sa fille. Lorsque Emy était avec Noa, elle ne parlait jamais de Ted d'elle-même. Et l'informaticien n'avait jamais osé lui demandé de quoi ils parlaient entre eux, lorsqu'il n'était pas là. Il savait que ce non-dit, que ces interrogations respectives ne pouvaient que creuser un fossé entre eux,... mais c'était plus fort que lui. Jusqu'à ce qu'il ne sache lui-même la raison précise de la disparition de Ted, il ne pouvait pas aborder le sujet avec Emy. Peut-être avait-il peur qu'elle en sache plus que lui ? … peut-être…

Lorsque Noa évoqua une possible fin de sa restriction de déplacement, Ted releva la tête. C'était plus qu'il ne l'avait espérer.

"Merci ! Je tourne en rond ici et je vais finir par devenir fou !"

Lui qui avait toujours vécu dans de grands espaces avec vu sur le ciel et l'océan, il tournait en rond comme un lion en cage. La perspective de se déplacer à sa guise lui alléger un peu l'esprit et il se permit un sourire.

"Olivander ? Tant qu'il n'essaie pas de me refourguer une baguette en bois, ça devrait aller, …"

La nostalgie reprit alors le pas alors qu'il se souvenait des premiers visionages des films de célèbre sorcier avec Noa. Une époque à laquelle il aurait aimé retourner.

C'est alors que l'informaticien aborda un sujet plus délicat. Emy. Noa ne voulait pas qu'il lui révèle la vérité.

"Je ne veux pas lui mentir, Noa. Si elle me pose des questions, je lui répondrai. Par la vérité."

Bien sûr, il n'était pas question d'effrayer la fillette.

"Je ne lui parlerai pas de cette nuit-là, … ni de ce que je t'ai fait, … Mais, … s'il n'y a pas de traitement, … si la thérapie ne fonctionne pas, … elle doit savoir ce qu'il se passe, …"

Ted comprenait les inquiétudes du second père de la jeune fille mais il ne pouvait tout simplement pas mentir ainsi à sa fille.

*C'est quoi, une thérapie ?*

"J'ai manqué cinq ans de sa vie. Je ne sais même pas comment elle peut encore me faire confiance comme elle le fait, … je ne veux pas risquer de perdre ça."

C'était peut-être égoïste de sa part mais ce lien-là était tout ce pourquoi il s'était tant battu.