Ménage à trois

Plume passa un long moment à observer les créatures ailées. Elle connaissait par coeur les courbes de celle tracée sur le dos d'Aynira mais ce n'était pas la même chose de les voir en vrai. Mais il fallut se résoudre à poursuivre la randonnée et, bientôt, les trois femmes s'arrêtèrent pour manger leur pique nique. Sur le chemin du retour, Plume s'interrogea sur l'absence de bioluminescence des narisiens alors que leur environnement entier en était pourvu. Une curiosité dont l'explication ne parvint pas à la convaincre mais elle n'avait pas assez de connaissance en génétique et biologie narisienne pour affirmer qu'elle n'était pas correcte.

La jeune femme garda le silence le reste du chemin. La drogue aidant, elle profitait uniquement de ce qui l'entourait sans se préoccuper du reste. Mais elle ne put retenir une légère grimace lorsque les deux narisienne se mirent à parler d'elle comme si elle n'était pas là. Ce n'était jamais un sentiment très agréable. Cependant, lorsqu'elle entendit le mot "volcan", cette préoccupation s'évapora comme neige au soleil. Entendant Aynira lui demandait si elle était d'accord pour aller le voir de nuit, la jeune femme ne put s'empêcher de répondre par une autre question.

"Est-ce que tu me demande vraiment si j'ai envie de voir un volcan en éruption ?"

C'était une question tellement absurde que la narisienne se moquait forcément d'elle, pas vrai ? La jeune femme avait faim et la drogue la fatiguait bien plus que d'ordinaire mais elle était presque sûre que le spectacle d'une éruption volcanique la tiendrait éveillée.

Il en fut donc décidé ainsi et, comme proposé par Alyara, le petit groupe fit route vers le fameux volcan, s'arrêtant bien avant d'y parvenir. Plume dut réfréner sa frustration mais pris son mal en patience et dévora deux portions d'un repas local vendu par un marchand itinérant. Elle ne savait même pas ce qu'elle mangeait, son esprit était bien trop occupé à imaginé le spectacle qui l'attendait. Après la journée face à des comportements physiques extraordinaires, elle se doutait que l'endroit où on la conduisait n'était pas un simple cône de roche d'où s'écoulait une lave brûlante.

La nuit tomba rapidement, mais encore trop lentement pour elle. Plume étouffa quelques bâillements avant de finalement se tourner vers les deux autochtones.

"Il fait suffisamment sombre maintenant ?"

La réponse était positive. Il était temps de se mettre en route et Plume avait du mal à contenir son impatience. Elle fut rapidement sur ses pieds et se mit ne marche avec les deux narisiennes vers le cratère. Lorsqu'elle sentit une main dans la sienne elle tourna le regard vers Aynira et hésita. La présence de l'Autre la mettait toujours mal à l'aise. Elle avait l'impression de ne pas être à sa place. Non, pire, de prendre la place d'une autre. Mais la drogue faisant son effet, elle mit ses préoccupations de côté et serra doucement la main d'Aynira, y puisant un certain apaisement durant la marche.

Est-ce qu'elle tenait aussi la main de l'Autre ? Plume ne voulait pas le savoir et s'applique à garder le regard rivé devant elle durant tout le trajet. Mais, bientôt une autre question envahit son esprit. Pourquoi la lumière qui émanait du cratère avait une couleur bleutée au lieu de l'orangé qu'elle était supposée avoir ?

Ce qui se dessina sous les yeux de la jeune femme était incroyable. Un lac de lave bleue remplissait le fond du cratère. Durant ses cours par correspondance, Plume avait appris qu'il y avait, sur Terre, un volcan ayant ces caractéristiques mais n'avait encore jamais eu l'occasion de s'y rendre. Elle n'en avait vu que des photos et documentaires. Ramsey, lui, ne s'intéressait pas à la vulcanologie et ils n'en avaient donc jamais discuté.

"Il y a un cas comme ça sur Terre. En Indonésie. C'est à cause du soufre. En brûlant, il produit des flamme bleue. Il doit y avoir des fumerolles un peu partout. Lorsque la lave les atteint, elle devient bleue."

La jeune femme avait parlé sur un ton neutre, comme si elle récitait un cours mais son regard ne décrochait pas du spectacle sous ses yeux. Elle ne savait pas ou poser les yeux tellement il y avait à voir. La vue la fascinait et elle aurait pu y passer des heures sans bouger, simplement à contempler cette magnifique curiosité. Lorsqu'on lui rappela qu'elle avait un gage à donner, elle ne dévia pas son attention.

"Un gage oblige quelqu'un à faire une chose qu'il ne veut pas. Je n'aime pas les gage."

Elle n'avait aucune intention d'en donner. De toute façon, le seul qui lui venait à l'esprit était de lui dire de plonger dans ce lac acide et incandescant. Et ce n'était pas une chose qu'elle pouvait dire à haute voix. Alors elle resta simplement là, silencieuse, à regarder le volcan pendant un long, très long moment. Elle occulta tout ce qui se passait autour d'elle et la drogue l'y aida grandement. Ce n'est que lorsqu'Aynira lui annonça qu'il était temps de partir qu'elle tourna les yeux vers elle.

"Déjà ?"

Sa réponse fit sourire la brune. Elle n'avait pas conscience du temps qui était passé et presque deux heures étaient passées depuis leur arrivée. La zone était bien moins occupée qu'en début de soirée et Plume se rendit compte que les deux autochtones devaient commencer à s'ennuyer alors elle acquiesça doucement et prit le chemin du retour après un dernier coup d'oeil vers le cratère.

Elle passa le chemin du retour à parler des différents types de volcans, des roches volcaniques et conséquences d'éruptions. Ce n'est qu'une fois presque arrivée qu'elle se tut et baissa les yeux.

"Pardon, … Ca doit vous ennuyer et j'ai monopolisé la conversation, …"

Elle n'était pas très fière d'elle. Cette attitude ne lui ressemblait pas. Pas alors qu'il y avait l'Autre qui écoutait et devait la trouver ridicule. La jeune femme grimaça en pensant que cela devait être un des effets de la drogue et se tut durant les quelques minutes qui restaient. La nuit était bien avancée lorsque le véhicule se posa devant la maison à l'orée du bois et Plume annonça qu'elle partait se coucher. L'excitation de la soirée passée, la fatigue se faisait cruellement ressentir. La jeune femme n'avait que peu dormi la veille et très mal. Elle gagna rapidement la chambre qui lui était attribuée en se désolant intérieurement que Silver l'ai fuit de nouveau toute la soirée. Le furet resta avec Aynira une fois de plus alors que Plume refermait la porte.

Saisissant le flacon de comprimés, elle hésita longuement et finit par en avaler un. Cela lui permettrait peut-être de dormir sereinement et de récupérer un peu, … Après un long bâillement, elle s'allongea et sombra rapidement dans un profond sommeil, sans penser à ranger la petite boîte cylindrique qui resta sur la table de nuit.

PLume avait dormi d'une traite et la drogue avait vidé son esprit, éloignant les cauchemars mais, ce qui fut le plus agréable fut le réveil. Lorsqu'elle émergea lentement, elle sentit une présence familière contre elle. Elle se déplaça légèrement pour nicher son visage dans le cou d'Aynira avant d'inspirer profondément. Elle aurait voulu ne jamais plus bouger. La narisienne la salua alors et un sourire étira les lèvres de la jeune femme. Elle ne répondit rien mais lui embrassa doucement le cou en passant un bras autour de sa taille.

Après de longue minutes sans bouger, à respirer lentement et à profiter du moment de calme et de tendresse, Plume finit par se décaler légèrement.

"J'aime ce genre de réveil, …"

C'était mieux que se réveiller seule dans un grand lit froid. Et tellement mieux que les réveils en sursaut après un cauchemar ! Plume était consciente que cela ne durerait pas. Que, bientôt, il faudrait sortir de cette chambre et retrouver l'Autre. Est-ce qu'Aynira était allé la voir aussi ? Mais elle ne voulait pas penser à ça. Pas maintenant. Alors elle s'approcha un peu plus et posa ses lèvres sur celle de la brune allongée près d'elle. C'était la seule chose à laquelle elle voulait penser pour l'instant.

De longues minutes passèrent avant que Plume ne s'étire paresseusement et se redresse.

"J'ai besoin d'une douche, … On se retrouve en bas ?"

Elle avait complètement oublié le flacon de comprimé et ne s'en souciait absolument pas pour l'instant. La priorité était de se débarrasser de cette rudesse dans ses membres due à la longue marche de la veille.

"Je ne serai pas longue."

Elle embrassa Aynira une dernière fois avant de disparaître dans la salle de bain. Lorsqu'elle en ressortit, une poignée de minutes plus tard, elle sourit en constatant qu'Aynira l'avait attendu mais changea d'expression lorsqu'elle vit ce qu'elle tenait dans la main. Aussitôt, son regard se posa au sol. Elle tait incapable de soutenir celui de la narisienne.

"Je suis désolée, …"

Plume écouta les questions d'Aynira, ses reproches, en silence. Que pouvait-elle faire d'autre ? Nier aurait été mentir et, de toute façon, inutile. Mais cela n'avait jamais été une option. La jeune femme gardait le regard baissé et ses yeux humides n'avaient rien à voir avec la douche qu'elle venait de prendre. Elle l'avait déçue. Aynira lui en voulait sûrement et elle en avait toutes les raisons. Qu'est-ce qui lui avait pris de laisser le flacon sur la table de nuit. Tout fonctionnait relativement bien jusque là.

"Je sais tout ça, …"

Sa voix n'était qu'un murmure à peine audible et Plume se força à poursuivre plus fort.

"Je ne t'ai rien dit parce que tu aurais refusé. Mais j'en ai besoin, … Tu insistais tellement pour que je vienne, … Après tout ce que tu fais, tout ce que tu endures, je, … je te le devais bien, …"

Elle n'osait toujours pas lever les yeux vers elle. En avait-elle seulement le droit ?

"Je sais quels effets ça a."

Et elle les détestait. Cela la rendait molle, vulnérable et, pire que tout, docile.

"Mais mieux vaut ça que de te blesser, … te perdre, …"

C'était peut-être déjà trop tard. Aynira ne semblait pas contente du tout. Est-ce qu'elle avait finalement atteint la limite de la narisienne ? Est-ce que c'était la fin ? Plume se laissa tomber à genou, la tête toujours courbée vers le sol.

"Je te demande pardon. Je voudrais être plus forte, …"

La jeune femme ne bougea pas. Elle était prête à entendre le verdict sans sourciller. Elle partirait, si c'était ce qu'Aynira voulait. Elle ne crierait pas. Ne ferait pas de scandale. Elle effacerait simplement son passage afin de faire le moins de mal possible.

Les secondes passèrent et semblèrent être des heures, pour Plume, avant qu'Aynira ne bouge légèrement et que sa voix, bien plus calme que ce à quoi Plume s'attendait, se fasse entendre. La jeune femme serra la mâchoire. Elle continuait à la blesser. Que pouvait-elle faire pour arranger les choses ?

Avant qu'elle n'ait eu l'occasion de trouver une réponse, elle sentit qu'on la tirait doucement vers le haut et suivit le mouvement sans opposer de résistance, son regard toujours rivé au sol. Lorsque le flacon de comprimés se matérialisa sous ses yeux, elle resta interdite quelques secondes, les sourcils froncés. Elle le lui rendait ? Plume tendit le bras et saisit l'objet, hésitante. Puis, elle fut attirée vers la narisienne et sentit des bras la serrer doucement après un rapide baiser.

La jeune femme laissa échapper un soupir de soulagement et se blottit fermement contre elle. Elle resta ainsi un long moment sans bouger. Seul un "pardon" murmuré de temps en temps vint briser le silence. Elle hocha simplement la tête à la mise en garde de la narisienne. Si cela ne tenait qu'à elle, elle repartirait immédiatement sur le JPS et jetterait le reste de comprimés dans les toilettes. Mais elle savait qu'il restait plusieurs jours à tenir, ici, et que les cachets lui étaient nécessaires pour ne pas faire de bêtises.

Lorsqu'Aynira proposa une sortie en forêt rien que toutes les deux, Plume se détacha légèrement d'elle et, pour la première fois depuis qu'elle était sortie de la salle de bain, croisa le regard de la narisienne.

"Tu crois qu'elle sera d'accord ? Et toi ? Ca ne t'embête pas ?"

Mais, une fois de plus, Aynira la rassura et l'affaire fut entendue. Après un moment à profiter un peu plus des bras de la narisienne, Plume finit par s'écarter et la laisser passer devant. Cela lui permettrait de se ressaisir pendant qu'elle prévenait Alyara. Plume hésita mais finit par laisser le flacon de comprimés sur sa table de nuit, au grand contentement de Silver. Si elle n'était qu'avec Aynira dans les heures qui suivraient, elle n'en aurait pas besoin. Il serait toujours temps d'en prendre en rentrant, pour pouvoir affronter le reste de la journée avec l'Autre.



Quelques heures plus tard, les deux femmes marchaient tranquillement dans la forêt, main dans la main. Plume avait réussi à retrouver un certain calme mais elle savait qu'il faudrait qu'elle parle. La situation était déjà assez complexe comme ça et elle devait la vérité à Aynira. Mais cela n'avait rien de facile. Elle savait que ce qu'elle s'apprêtait à dire se serait pas agréable à entendre pour la narisienne.

"Je crois qu'il faut que je te dise quelque chose, … mais ça ne va pas te faire plaisir, …"

Elle resserra légèrement sa prise sur la main qu'elle tenait et continua d'avancer d'un pas lent, les yeux rivé devant elle. Elle laissa passer quelques secondes, essayant visiblement de rassembler son courage pour poursuivre.

"Je n'ai pas envie de faire de peine. Et je ne t'en veux pas mais, … je crois qu'il faut que tu saches une chose."

Silver, qui marchait par terre, quelques mètres devant elles, se rapprocha et sauta sur son épaule, comme pour l'encourager à continuer.

"Tu sais que je n'aime pas quand tu parles de cet endroit, … cette planète. Je n'ai rien contre ton monde. Je le trouve plutôt extraordinaire, même. Mais ça me rappelle que c'est ici ta place, … Que c'est ici que tu te sens le mieux, … tu le dis toi-même, … quand tu viens ici, tu rentres chez toi."

Plume prit le temps de calmer sa respiration.

"Je t'ai parlé de la dernière thérapie de Bressignac ? Il m'avait demandé de trouver un endroit où je me sente bien. En endroit heureux et paisible où me réfugier en pensée quand ce serait trop dur."

Son pied shoota dans un petit caillou qui se trouvait là, au milieu du chemin. Mais cela eut le mérite de fixer son attention sur quelque chose de simple pour poursuivre.

"Je pensais à toi. Mon chez moi, c'est toi, … et toi, quand tu dis ces mots-là, … c'est pour désigner un endroit où je ne suis pas, …"

La jeune femme haussa les épaules comme si rien de tout ça n'avait finalement d'importance.

"Je le comprends, … c'est logique, … mais c'est, …"

Elle laissa échapper un soupir en continuant d'avancer au même rythme, gardant la fin de sa phrase pour elle. Etait-il vraiment nécessaire qu'elle détaille à quel point cela la faisait souffrir ? La jeune femme espérait simplement que cela n'ait pas trop blessé la narisienne.

Plume porta un regard à la fois surpris et peiné à Aynira. Elle venait de lui parler sérieusement et ça n'avait pas été facile, et voilà que la narisienne se moquait d'elle. Le regard de Plume se baissa de nouveau sur ses pieds, avec un arrière goût amer. C'est ainsi qu'elle écouta la suite, bien plus sérieuse, du discours d'Aynira. D'après elle, tout le monde aimait son monde ou son pays natal et il n'y avait pas de raison d'être jalouse d'une planète. Mais ce n'était pas ce que Plume avait voulu dire.

"Je ne suis pas jalouse de ton monde."

Comment lui faire comprendre ce qu'elle ressentait réellement ? Plume avait appris beaucoup de choses au pensionna. Les mathématiques, les langues, les sciences et la politique, la cuisine et la musique, … mais personne ne lui avait jamais appris à comprendre et exprimer ses émotions. Elle soupira, en cherchant ses mots et laissa la narisienne s'assoir. Après avoir pris place contre elle, elle soupira de nouveau.

"Uniquement si tu le penses, …"

Mais elle avait comme l'impression qu'Aynira ne prenait pas vraiment ses dires au sérieux. La jeune femme inspira profondément et reprit la parole, quelque peu hésitante.

"Je sais que je ne suis pas la personne la plus équilibrée qui soit, … Je vois bien que tout le monde est bien plus entouré plus, … mesuré, … C'est sans doute une mauvaise chose mais, … c'est ce que je suis, … je ne peux pas contrôler ce que je ressens. J'ai essayé. Je ne voulais pas de ces sentiments pour toi. Je ne voulais pas être aussi dépendante. Je n'ai pas envie de la détester."

Parler en fixant la forêt, en sentant les bras d'Aynira autour d'elle, était bien plus facile.

"La vérité, c'est que tu es tout ce que j'ai. Littéralement. Tu es ma famille, mon foyer, … Quand je découvre quelque chose de nouveau, j'ai envie de t'en parler. Quand tu n'es pas là, j'ai envie de te voir. Quand je me réveille, quand je m'endors ou quand je cours, c'est à toi que je pense. Quand je suis perdue, je me demande ce que tu dirais, ce que tu ferais, … ce que je fais, je le fais pour toi. C'est peut-être excessif ou malsain, mais c'est comme ça. Tu es ma première pensée dans presque toutes les situations."

La jeune femme inspira profondément à plusieurs reprises.

"Et je passe mon temps à me demander "A qui elle pense ?"… Est-ce qu'elle pense à moi ?"…"

Plume ne savait pas si elle avait été claire. Est-ce qu'Aynira avait compris ce qu'elle essayait de lui dire ?

"En fait, je voudrais juste être pour toi ce que tu représentes pour moi, …"

Elle savait que c'était chose impossible mais se sentait déjà un peu mieux de l'avoir dit à haute voix.

Le silence s'installa après la dernière phrase de Plume. La jeune femme soupira légèrement en tournant la tête vers la narisienne, le regard incertain. Avait-elle fait une bêtise en lui avouant tout ça ? Mais le regard qui croisa le sien et le sourire qui l'accompagnait n'avait rien d'inquiétant. Bien au contraire. A cet instant précis, Plume se sentait faible. Fragile. Un seul mot d'Aynira aurait pu la briser totalement, mais, à la place, elle lui souriait de la plus belle des façons et l'embrassa tendrement. La jeune femme profita de ce moment en sentant un poids énorme la quitter.

Plume passa les minutes qui suivirent à se répéter mentalement les propos de la narisienne, blottie contre elle. Elle n'avait pas l'habitude de gérer autant d'émotion et ne savait pas comment s'y prendre. Sans qu'elle s'en aperçoive, quelques larmes de soulagement s'échappèrent de ses paupières lorsque la narisienne lui assura qu'elle l'aimait. Pour toute réponse, la jeune femme resserra un peu plus son étreinte, incapable de parler pour l'instant. Elle ne se déplaça que pour accepter le nouveau baiser d'Aynira et profita encore longuement de son étreinte rassurante.

Mais il fallut se résoudre à reprendre la marche. Se levant, toujours dans un silence absolu, Plume tendit la main à Aynira et se mit en marche, blottie contre elle. Silver, qui avait passé son temps roulé en boule sur une branche basse, leva le museau et se joignit à elles, marchant quelques pas devant. La narisienne lui parla de certaines plantes et animaux endémiques et, au fur et à mesure, Plume retrouva une contenance relative.

Elle acquiesça à la proposition du barbecue mais une partie d'elle aurait voulu ne jamais quitter cette forêt. Lorsqu'elles parvinrent à sa lisière, Plume s'arrêta de marcher sans lâcher la main d'Aynira. Celle-ci dut se retourner vers elle pour voir ce qu'il se passait et la jeune femme en profita pour se blottir dans ses bras. Enserrant sa taille de ses bras, elle nicha son visage dans le cou de la narisienne et inspira profondément à plusieurs reprises.

"Juste une minute, …"

Une fois de retour dans la maison, elle ne pourrait plus se permettre ce genre de choses alors il lui fallait ne profiter maintenant.

Après la minute demandée, et à contre coeur, Plume se détacha d'Aynira mais reprit sa main avant d'avancer sur le pelouse parfaitement entretenue. Elle serra sa main, peut-être un peu trop fort, jusqu'à ce qu'Alyara fasse son apparition. L'autochtone sortit sur la terrasse, un brochettes et autres viandes dans les bras. Elle sourit et salua chaleureusement les randonneuses. Plume serra instantanément la mâchoire et lâcha la main d'Aynira.

"Bonjour."

Sa voix était hésitante et son regard fuyant.

"Excusez-moi une minute, …"

La jeune femme entra rapidement dans la maison et se rendit au premier étage. Il fallait qu'elle tienne. Elle avait promis à Aynira un voyage agréable. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre le contrôle devant l'Autre. Mais la matinée avait été rude et la jeune femme avait l'impression de ne plus avoir aucune défense. Son regard se posa sur la boîte de comprimés et elle la fixa un long moment. Elle n'en avait pas envie. Cela décevrait Aynira et la rendrait encore plus vulnérable. Elle détestait devoir s'en remettre à ce genre de solution mais n'en voyait aucune autre. Essuyant d'un revers de manche les larmes de rage qui humidifiaient ses joues, Plume avala un comprimé et s'assit sur son lit.

Rapidement, la drogue se répandit dans son organisme et fit son effet sur ses muscles, et surtout, son esprit. Lorsqu'elle fut tout a fait sûre d'être capable de se contrôler, la jeune femme inspira profondément et sortit de la chambre, se forçant à sourire le plus naturellement possible. Une fois au rez-de-chaussée, elle fit comme si de rien n'était et se rendit à la cuisine pour attraper des légumes dans le frigo et rejoindre les deux narisiennes.

"Je peux m'occuper de la cuisson si vous voulez, …"

Plume laissa filer les derniers jours, faisant de son mieux pour réduire ses prises de comprimés, comme Aynira lui avait demandé. Elle n'en avalait que lorsque la proximité avec Alyara était inévitable, ce qui lui laissait globalement la nuit sans drogue dans son organisme. La jeune femme utilisa très peu le lit mis à sa disposition. Lorsqu'elle fermait les yeux, les cauchemars la rattrapaient inévitablement. Alors elle occupait les heures sombres à courir dans le jardin, à l'orée du bois, profitant des merveilles visuelles que la végétations lui apportait et passait de longues heures à s'entraîner près du lac ou simplement à contempler ses profondeurs bio luminescentes.

D'un côté, cela la fatiguait. Plume ne dormait pas la nuit et cette fatigue se faisait sentir tout le reste de la journée. Même si elle y était habituée, plusieurs jours à ce régime laissait des traces. D'un autre côté, son agressivité en était amoindrie et la rendait moins dangereuse. Les comprimés finissaient de la rendre inoffensive. Aynira dû s'en apercevoir puisqu'elle proposa régulièrement des pauses cinématographiques et même des soirées films. Sous l'effet de la drogue, et la fatigue aidant, la jeune femme s'endormait, souvent, durant la projection. C'était toujours une ou deux heures de sommeil de gagnées.

Plume aurait été hypocrite de se plaindre lorsque le séjour arriva à son terme. Une fois le trajet terminé. Plume salua courtoisement Alyara, la remerciant pour le cadeau qu'elle lui faisait. Bien que Plume apprécie l'instrument de musique, le fait qu'il vienne de la narisienne qu'elle ne pouvait s'empêcher de détester l'empêcher d'en profiter mais ça, elle ne le dirait pas de peur de blesser Aynira. La jeune femme quitta le vaisseau, seule. Nul doute que les deux compagnes souhaitaient un moment pour se dire au revoir d'une façon sans doute moins distante qu'elle.

Elle alla s'assoir plus loin sur le quai, dans un endroit où elle n'avait pas de vision sur le vaisseau mais où personne ne pourrait s'approcher sans qu'elle ne le sache. Lorsqu'Aynira finit par se montrer, elle se releva et la rejoignit sans un mot, marchant avec elle jusqu'à la porte des étoiles qui les ramèneraient sur le JPS. Elle ne répondit rien à sa question, faisant comme si elle ne l'avait pas entendu. La jeune femme ne voulait pas mentir à la narisienne mais elle ne voulait pas la blesser non plus. Les deux femmes prirent donc la direction de la salle des anneaux puis de la maison d'Aynira.

Plume était fatiguée, elle n'aspirait qu'à dormir pendant au moins douze heures mais elle savait qu'elle ne pourrait pas. Alors elle laissa son sac dans l'entrée et prit la main d'Aynira dans la sienne pour la conduire jusqu'au salon. Là, elle la fit s'assoir sur le canapé et s'assit elle-même sur la table basse en face d'elle.  La jeune femme inspira profondément et baissa les yeux sur ses mains jointes nerveusement.

"A quel point tu m'en veux ?"

Elle n'osait pas relever les yeux et espérait que la réponse d'Aynira soit franche. Celle dernière sembla réfléchir et prendre sa question au sérieux avant d'y apporter une réponse. Lorsqu'elle avoua qu'elle lui en voulait, Plume serra les dents mais, au moins, savait-elle que c'était sincère. Mais la narisienne nuança rapidement ses propos. Oui, elle lui en voulait mais pas au point que Plume pensait. Elle lui en voulait un peu d'avoir été tenue à l'écart de la décision et d'avoir été maintenue dans l'ignorance. Et aussi parce que la jeune femme avait accepté ce voyage sans en avoir envie, simplement pour lui faire plaisir.

Plume garda la tête baissée tout du long, une boule dans son estomac, et murmura à peine des mots d'excuse.

"Je suis désolée, … je voulais te faire plaisir, …"

C'est alors qu'Aynira avança doucement une main et la glissa sous son menton pour lui faire redresser la tête et croiser son regard. La jeune femme s'exécuta en retenant son souffle mais ce qu'elle lit dans les yeux verts n'était pas la colère ou la déception à laquelle elle s'attendait. C'était quelque chose de beaucoup plus doux. Un regard qui allégea légèrement le poids qu'elle sentait au creux de son estomac.

Elle lui rappela, d'une voix douce, que Plume aurait dû lui en parler. Qu'elle aurait pu l'aider à trouver quelque chose de moins dangereux et aux effets plus acceptables. Mais elle avoua surtout qu'elle n'aimait pas l'effet que les comprimés avaient sur elle. Que ça la mettait dans la situation exacte que la jeune femme évitait farouchement le reste du temps. En définitive, Aynira s'inquiétait pour elle et ne voulait pas qu'elle se force à devenir quelqu'un qu'elle n'était pas.

Plume ne put rien faire d'autre qu'acquiescer silencieusement, endiguant l'humidité qu'elle sentit poindre dans ses yeux et se leva doucement de la table pour se blottir contre elle. Aynira l'accueillit à bras ouverts et les referma sur elle en se laissant glisser totalement sur le canapé de façon à les allonger toutes les deux. Plume se cala confortablement contre elle et passa un long moment sans bouger.

"Je vais les jeter."

Nadira l'avait prévenu que le sevrage risquait d'être difficile mais Plume ne voulait pas prendre cette drogue plus longtemps que nécessaire. Elles restèrent ainsi un long moment et Plume finit par s'assoupir. Après plusieurs heures, elle ouvrit de nouveau les yeux et sentit la main de la narisienne caresser son dos. Elle ne bougea pas, appréciant simplement ce contact qui finit de la détendre.

"C'est moi qui cuisine ce soir."

Il fallait bien qu'elle trouve un moyen de se racheter.