Cet Hans Blumberg semblait être un militaire pur et dur, avec tout ce que ça comportait comme avantages et inconvénients. En l’occurrence Laureen se doutait bien qu'elle n'allait pas voir la meilleur facette de l'homme qui l'avait invité sans aucune délicatesse à le suivre. Il n'avait d'ailleurs même pas eu l'élégance de lui tenir la porte. Peut-être était-il misogyne, qu'il estimait avait simplement leur place derrière les fourneaux. Bref un pur et dur de la veille école, sûrement élevé au Texas par ailleurs. Ou alors c'était simplement le traitement qu'il réservait à tous les nouveaux arrivants, histoire de bien marquer le coup et montrer qu'ils n'étaient plus que de simples recrues. Il avait d'ailleurs très clairement annoncé la couleur en lui annonçant à demi-mot qu'il n'était de loin pas enchanté à l'idée de lui servir de chaperon. Qu'il se rassure, la jeune femme partageait plus ou moins la même opinion. Sauf qu'elle n'était pas en position idéale pour exprimer ce qu'elle ressentait. Blumberg avait déjà sa place au sein du SDT. Elle, elle devait encore l'obtenir. Inutile, donc, de perdre du temps avec lui.
*Comme il l'a si bien dit: plus vite ce sera terminé et mieux ce sera pour nous deux...* approuva-t-elle silencieusement. *Au moins on pense la même chose à ce sujet!*
Laureen avait donc suivi sans broncher le sympathique instructeur en espérant que la délivrance viendrait rapidement. Elle dut peu à peu augmenter l'allure pour suivre l'athlétique gaillard qui semblait vouloir la semer dans les couloirs. La jeune femme faisait régulièrement du footing, du moins quand son emploi du temps chargé lui en laissait le temps. Mais elle ne pouvait pas vraiment rivaliser avec une machine de guerre comme Blumberg. Aussi fut-elle soulagée lorsqu'ils arrivèrent à destination, à savoir une salle d'autopsie. Lorsqu'elle posa le regard sur le drap blanc recouvrant une forme humaine puis sur les différents instruments et produits parfaitement alignés sur un petit chariot à côté de la table, elle comprit alors ce que l'on attendait d'elle.
*Une autopsie, vraiment?* soupira-t-elle. *Ce type a décidément le sens de l'accueil...*
La jeune femme reporta son attention sur Blumberg pour déceler sur son visage les traces d'un rictus. Visiblement la situation semblait l'amuser ce qui fit naître une pointe d'irritation en Laureen. Irritation qui s'accentua lorsqu'elle posa le regard sur le chronomètre que l'homme tenait dans la main et que ce dernier lui annonça qu'elle devait trouver de quoi le cadavre était mort, le tout en étant évaluée sur sa rapidité. C'était plutôt malin de sa part en fait: la médecine était une science qui imposait la plus grande rigueur et dans laquelle le stress était le pire ennemi. Il fallait l'apprivoiser et non tenter de le combattre, la pression faisant partie intégrante de la médecine. Le chronomètre était en revanche quelque chose de nouveau pour elle mais ça ajoutait du challenge à l'équation. Si les choses avaient été faciles, quel en serait l'intérêt?
- "Très bien..." lâcha-t-elle simplement en accompagnant ces mots d'un bref signe de la tête.
Égale à elle-même, Laureen prit le temps de vérifier les instruments qu'on lui avait mis à sa disposition afin de s'assurer qu'il ne manquait rien. Mieux valait s'assurer que tout était en ordre avant d'entrer dans le vif du sujet. Puis elle se désinfecta les mains et enfila rapidement une paire de gants médicaux puis une blouse blanche ouverte sur l'arrière. Elle prit ensuite appui sur l'un des côtés de la table et releva le drap qui recouvrait le cadavre. Ce dernier avait sûrement dans la quarantaine même si aucun dossier médical n'était là pour le confirmer. Sans connaître ses antécédents médicaux elle devait partir de zéro pour trouver la cause de la mort.
*Il ne va décidément pas me rendre la tâche facile celui-là!*
D'autant plus que le "celui-là" en question semblait trouver amusant le fait de jouer avec un stylo avec l'objectif, sans doute, de la déstabiliser. Il fallait d'abord régler ce problème avant de commencer l'autopsie sous peine de se laisser distraire. Et elle n'allait certainement pas donner ce plaisir à Blumberg. Elle tira donc de sa poche son IPad et passa les écouteurs sans toutefois l'allumer, se contentant de faire semblant. Si l'instructeur voulait ajouter une petite guerre psychologique à l'autopsie, Laureen comptait bien répliquer. Elle espérait simplement que le militaire croirait qu'elle ne pouvait pas entendre ses bruits de stylo et qu'il arrêterait de s'amuser avec pour l'ennuyer. En gardant l'appareil éteint, elle était toutefois encore en mesure d'écouter les remarques de Blumberg au cas-où ce dernier décidait de corser un peu les choses. D'une pierre deux coups, en somme...
*Ok, à nous deux maintenant!* se motiva-t-elle en reportant son attention sur le cadavre. *Voyons ce que tu peux m'apprendre!*
La procédure standard d'une autopsie voulait qu'on ouvre le torse du sujet en premier lieu pour se concentrer sur les viscères. Les analyses biomédicales s'ensuivaient. Mais cette façon de faire prenait trop de temps et c'était justement ce qui lui manquait, le temps. Elle commença donc par attraper une seringue qu'elle plongea au niveau du cœur du sujet, endroit le plus susceptible de lui fournir du sang encore liquide. Par chance elle arriva à en extraire suffisamment pour pratiquer une analyse qu'elle lança rapidement sur l'un des appareils de la salle avant de prélever des échantillons de cheveux auxquels elle réserva le même sort. Ces derniers lui permettraient de relever des traces d'un éventuel produit auquel la victime avait été exposé avec régularité. L'empoisonnement n'était pas encore une option qu'elle pouvait écarter et mieux valait faire les choses correctement. Enfin, elle saisit le bras du sujet et tenta de le faire bouger pour vérifier la rigidité cadavérique. Même si elle dut forcer, elle réussit à plier le bras sans trop de difficultés. Ce qui lui indiquait que la mort ne dépassait pas les trente-six heures dans le pire des cas. Une information des plus intéressantes... Elle s'assura ensuite qu'aucune blessure pouvant expliquer la mort n'était visible sur le corps de la victime, ce qui fut effectivement le cas.
*Évidemment, ça aurait été trop facile...* soupira-t-elle.
Puis commença la partie la plus salissante, à savoir l'ouverture du torse. Laureen pratiqua une ouverture du torse en "Y" avant de s'aider d'un écarteur pour dégager la cage thoracique. Elle s'autorisa alors un bref regard à Blumberg pour déceler une quelconque réaction de dégoût. Il n'avait certainement pas peur du sang mais voir un corps ouvert était d'un niveau bien supérieur. La jeune femme n'arriva cependant pas déceler - à grand regret d'ailleurs - une quelconque gêne chez le militaire.
*Dommage...*
Elle retira les viscères du sujet qu'elle inspecta, pesa et disséqua rapidement à la recherche d'une quelconque anomalie. Elle ne trouva rien sortant de l'ordinaire ce qui tendait à prouver que la cause de la mort n'était pas due à l'ingestion d'une quelconque substance. Ce qui se confirma lorsqu'elle ouvrit l'estomac qui ne révéla à son tour rien d'anormal. Motivée par le challenge, la jeune femme fut peu à peu complètement absorbée par la tâche qu'on lui avait confié si bien qu'elle arriva presque à faire abstraction de Blumberg. Presque...
Les secondes et les minutes continuèrent de s'égrainer lentement, imperturbables, sans que Laureen ne trouve la raison de la mort de l'homme. Elle trouva enfin un premier élément lorsqu'elle s'attaqua au cœur qui était étrangement contracté. Pratiquement certaine d'avoir trouvé la solution, la jeune femme délaissa un instant le cadavre pour rejoindre les machines destinées aux analyses et analysa les données relatives au sang avant d'en glisser un échantillon sous le microscope électronique. Elle fronça les sourcils en découvrant l'état des globules blanc et rouge avant de s'adosser au dossier de sa chaise, fermant les yeux comme pour mieux réfléchir. Puis elle retourna vers le corps et l'inspecta une nouvelle fois pour être certaine de ne pas avoir oublié quelque élément d'importance. Si elle fut rassurée de constater que ce n'était pas le cas et qu'elle avait fait son boulot correctement, cela soulevait en revanche davantage de questions que ça n'apportait de réponses. Elle hésita un instant avant de prélever un échantillon du tissus dermique qu'elle analysa également au microscope avant de se fendre d'un large sourire, réfrénant un cri de victoire.
*Enfin...* soupira-t-elle de soulagement.
Elle retourna vers le cadavre et le recouvrit avec le drap blanc, ne prenant pas la peine de le refermer. Après tout, on lui avait demandé de trouver la cause de la mort, pas de rendre le sujet présentable après son autopsie. Et puis ce petit jeu avait assez duré. Laureen se débarrassa de sa blouse et de ses gants et les déposa dans une poubelle spécialement prévue à cet effet avant de venir se planter devant l'instructeur.
- "La cause de la mort est du a un arrêt cardiaque." annonça-t-elle avec confiance. "Pourtant son origine n'est pas naturelle, c'est certain. Si le cœur m'a confirmé qu'il s'agissait bien d'un infarctus du myocarde, l'analyse du derme à prouvé la présence de brûlures sous-cutanées, autrement dit non-visibles sur l'épiderme. C'est ce qui a failli m'induire en erreur, d'ailleurs."
Laureen marqua une courte pause et désigna d'un rapide geste de la main le cadavre:
- "Car si l'arrêt cardiaque est effectivement ce qui a causé la mort du sujet, il y a néanmoins un élément déclencheur à tout ceci. Les brûlures sous la peau tendent à confirmer que l'origine du décès provient d'une électrocution ou, du moins, une exposition à une forte quantité d'énergie. J'ai alors pensé à un taser ou à un simple contact avec des câbles électriques mais encore une fois l'absence de traces d'un tir de taser ou de brûlures sur l'épiderme réfutent ces options. Ce qui m'amène donc à dire que le sujet a été électrocuté à distance. C'est là que ça devient étrange, d'ailleurs, parce qu'à ma connaissance il n'existe pas d'armes capables de faire ceci. Mais la biologie ne ment pas, c'est une certitude! Et mes analyses sont correctes, j'en mettrais ma main au feu."
La jeune femme retourna vers le cadavre et releva une partie du drap avant de désigner un tatouage à l'intérieur de l'avant-bras gauche. Sur celui-ci on pouvait clairement discerner un aigle et les lettres "U.S.M.C".
- "Cet homme était un marines et vu son âge il était encore en service. Les militaires subissent régulièrement des contrôles médicaux pour s'assurer de leur bon état de santé. S'il avait des problèmes cardiaques, ça aurait été décelé et les médecins militaires auraient pris le relais. Ce qui exclu définitivement la mort naturelle!"
Elle abaissa une nouvelle fois le drap et revint prendre place devant Blumberg:
- "Cette mort n'a donc rien d'accidentelle et si je suis certaine qu'elle est due à un choc électrique qui a provoqué un arrêt cardiaque, j'ai en revanche plus de mal à expliquer comment c'est arrivé. Parce qu'à ma connaissance, il n'y aucune arme capable d'envoyer des décharges électriques à distance sans laisser des traces visibles sur la peau. Mais quelque chose me dit que vous oui! Je me trompe?"
Sur l'instant Laureen se fichait pas mal du résultat de son évaluation, elle était certaine de son coup et consciente également qu'elle avait été plutôt réactive. Non, ce qui l'intéressait davantage c'était ce que faisait ce fameux SDT. Elle commençait à soupçonner un éventuel développement d'armes expérimentales. L'homme avait peut-être été un cobaye ou alors il avait rencontré sur un champ de bataille des adversaires utilisant des armes projetant des décharges électriques ou quelque chose s'en rapprochant.
*Peut-être qu'ils attendent de moi que je développe des armes biologiques pour leur compte!* songea-t-elle mi-dégoûtée, mi-curieuse.
Consciente qu'elle savait encore moins qu'avant dans quoi elle s'était aventurée en rejoignant le SDT, Laureen releva les yeux vers Blumberg et attendit une réaction de sa part...