En toute franchise

La matinée s’était déroulée normalement. La visite auprès de Charlie avait suivi son cours et Sarah avait rejoint la station à laquelle l’Achilles était arrimé. L’endroit était beaucoup plus vaste que le croiseur et offrait un changement bienvenu à chaque retour. Elle était cependant impatiente de pouvoir retrouver le plancher des vaches et sentir un brin de vent. Courir dans un grand espace avec rien d’autre que des kilomètres de champs autour d’elle et le ciel pour seule limite. Mais pour l’heure il fallait donner un coup de main à l’entretien du matériel de la station. La semelle de Lawrence trouva appui sur le panneau de protection d’une mitrailleuse de calibre 12. Les deux mains gantées de la jeune femme se posèrent sur le levier d’armement. Ses bras nus luisaient sous l’effort qu’elle avait déjà fourni. Son regard se posa sur les deux hommes tenant à la fois le panneau de protection et le canon de l’imposante arme pour la tenir en place. Elle leur adressa un signe de tête et prit une grande inspiration. Elle tira d’un coup sec et un grincement métallique plaintif mais le levier ne bougea pas. La jeune femme souffla et recommença l’opération, une fois, deux fois, trois fois. A la dernière tentative le levier bascula brutalement en arrière. Le clapet supérieur s’ouvrit soudainement et une cartouche s’échappa en tournoyant dans les airs. Sarah tomba au sol et poussa un soupir de satisfaction. Le trio de militaires se pencha sur l’arme ouverte et grimaça, un excédent de graisse avait couvert tout le système rendant l’arme inutilisable.

« Va y en avoir pour la journée. » Dit l’un des soldats.

Le communicateur bel de Sarah vibra. Elle retira ses gants et essuya sa main contre le bandana qu’elle portait avant de plonger à la recherche de l’appareil dans sa poche de cuisse. Elle détacha son regard de l’arme et consulta le message. Il venait de Ryan. Elle fronça les sourcils en ouvrant le message.

* Etrange… *

Elle avait redouté ce moment. Elle avait craint un face à face avec le lieutenant. Elle ne savait toujours pas comment réagir a un moment isolée avec lui. Après ce qui lui parut être une éternité elle renifla et glissa l’appareil à sa place d’origine.

« Je dois m’absenter les gars, je reviens vous aider avec ça plus tard. »

Lawrence sortit de l’armurerie et se mit en chemin pour la baie d’observation de la station. Un endroit qu’elle ne se rappelait pas avoir visité. Les 10 minutes furent bien employées à retrouver son chemin jusqu’à la fameuse baie. Elle avait défait son bandana et l’avait noué autour de son bras. Elle s’arrêta à l’entrée de la baie et vérifia par réflexe que ses cheveux étaient encore tenus en tresse à la française. Elle entra et découvrit l’espace vide, à l’exception de Ryan. Il était accoudé à la rambarde en fer et ressemblait à une figure de poster de recrutement de l’air force. Le message perturbait encore Sarah elle ne savait pas comment aborder les choses.

« Lieutenant ? »

Se contenta-t-elle de dire d’une voix incertaine préférant attendre qu’il éclaircisse son message.

Ryan semblait encore perturbé. Son soupir ne présageait rien de bon. Il allait soit lui passer un savon soit craquer d’une certaine manière. Sarah se sentait prête à s’enfuir et courir à toute jambe.
Le personnel de l’Achilles avait grandement souffert ces derniers mois. Depuis la mission pour les asgards qui avaient coûté cher au docteur Hawkins, en passant par l’infection de Max ou les radiations étranges du docteur Theo. Méta avait été à moitié carbonisé et s’était montré particulièrement discret depuis son épreuve. A tout cela il fallait maintenant ajouter la crise du lieutenant S’Fallen. Sarah elle-même savait qu’elle allait devoir se ménager. Elle avait entendu parler d’un psychologue à bord. Peut-être qu’elle devrait lui rendre visite avant de repartir en mission.
L’esprit de Lawrence s’arracha à ses pensées et refit surface. Les premiers mots de Ryan lui indiquèrent qu’elle n’avait pas été appelée pour se faire botter les fesses. Elle se détendit un peu. Le propos du lieutenant laissa toujours aussi perplexe la jeune femme. Est-ce qu’il lui parlait comme ami ? Comme coéquipier ? Il prit place sur la banquette et continua de parler. Sarah n’osait pas le rejoindre incertaine du plan de la conversation. Elle restait debout et écoutait attentivement ce qu’il avait à dire. L’homme avait perdu les pédales et était lui-même perturbé parce qu’il avait fait. La raison de son accident fut cependant plus perturbante.

*Kat ? Kat…comme Katleen l’archéologue ?*

Lawrence avait très peu côtoyé l’archéologue de bord. Elles avaient fonctionné en binôme à leur première rencontre et puis le docteur s’était volatilisé. Sarah avait cru entendre que le docteur Grey allait rejoindre le bord à nouveau. Au moins Frost aura une camarade de jeu. Elle percuta soudainement ce que Ryan lui disait.

*Mais…Mais ils jouaient au site de fouille ensemble alors ?!*

S’Fallen n’avait jamais abordé sa relation avec elle. Et elle ne s’en était pas rendu compte sur le terrain et aucun signe n’avait transpiré à bord jusqu’au départ de Katleen. Pour elle ils étaient juste collègues. Elle ne comprenait pas à quel point il avait pu être lié à Katleen. Elle ne savait pas quel engagement il avait pris. Et parce qu’elle ignorait tout ça elle interpréta mal les propos de Ryan. Lawrence crut de fait que leur relation n’était pas sérieuse, juste une « occupation » à bord. A force d’être les uns sur les autres ça devait arriver de temps à autre.
Le sang de Lawrence ne fit qu’un tour. Son expression se figea tandis que son rythme cardiaque s’accélérait brutalement. Une sorte de voile rouge passa devant ses yeux tandis qu’un sifflement remplaçait tous bruits de fond. Elle cligna plusieurs fois des yeux en essayant de lutter contre le sentiment qui l’envahissait. Ce fut peine perdue. En temps normal elle aurait demandé la permission de s’exprimer librement et aurait fermé la porte de la salle avant de s’exprimer.

« Pour une fille… » Grogna-t-elle entre ses dents serrées « Pour une putain de fille… »

Lawrence explosa, elle entra dans une rage comme elle n’en avait rarement connue dans sa vie. Le sergent-chef frappa la table basse proche qui s’éleva avant retomber lourdement sur le dos. Sa surface fut abîmée par le coup. Elle vociféra vers le lieutenant :

« Pour une fille…t’as pété une case parce que ta nana de bord s’est tirée ?! T’as perdu les pédales pour ça espèce de taré de gonfleur d’hélice ! »

La jeune femme bondit sur Ryan et empoigna son col en le secouant. Elle se mit à lui taper dessus du plat de la main comme une damnée. Elle aurait pu utiliser plus de technique pour lui faire vraiment mal. Elle en avait les connaissances mais se trouvait dans un tel état qu’elle ne pouvait y faire appel.

« J’ai failli dire adieu à mes miches parce que tu pouvais plus te faire celles de ta petite amie ! Tu pouvais pas te trouver une autre nana ?! Tu pouvais pas chercher un autre plan cul à bord ! » Sarah arrêta ses coups et se mit à secouer frénétiquement le lieutenant « Et t’es devenu aussi mou que ton engin à cause de ça ?! Je vais t’arracher la tête S’Fallen ! C’est la frustration qui t’as fait perdre les pédales ? Il fallait que tu défoules autrement ? »

Sarah s’arrêta subitement et défit sa propre ceinture et les boutons de son pantalon d’un geste sec. Elle révéla ainsi le liseré de ses dessous réglementaires. Avant de secouer de nouveau S’Fallen et de frapper du plat de la main.

« Je vais te montrer comme c’est facile de changer de partenaire ! »

La jeune femme avait perdu les pédales sous le coup de la colère. Elle semblait être dans le genre d’élan incontrôlé qui nécessite un verre d’eau jeté au visage ou une bonne gifle pour être arrêté.

Une damnée, Sarah était enragée comme une damnée. Elle était possédée. L’absence de réaction de Ryan ne fit qu’alimenter sa machine à colère. Il se comportait comme une coquille vide, le chef d’équipe plein d’assurance qu’elle avait connu avait l’air d’avoir disparu. Il aurait fallu plusieurs personnes pour arrêter la jeune femme et la maîtriser. Son état était second. Elle leva la main prête à porter un nouveau coup au lieutenant quand ce dernier croisa son regard. Ce simple signe de vie suffit à l’arrêter. Elle resta figée main en l’air et col empoigné à cheval sur l’homme mal mené. Il murmura quelque chose mais le cerveau surchauffé de Sarah ne l’entendit pas :

« Quoi ?! » Dit-elle d’un ton encore agressif.

Elle fut surprise par le rattachement grossier de son pantalon. Sarah baissa les yeux sur le geste du lieutenant sans comprendre ce qu’il se passait. Le souffle lui fut légèrement coupé par le resserrage sec. Elle croisa le regard de Ryan et sursauta quand il éleva la voix. Sarah perdit l’équilibre et bascula sur le dos, elle recula à mesure qu’il lui rendait ses hurlements. La colère de Sarah se mua en peur primaire. Après ce qui s’était passé sur la passerelle elle craignait d’avoir réveillé une part sombre de lui. Son corps passa du rouge cramoisi au blanc en l’espace de quelques secondes. Les révélations de Ryan lui firent l’effet d’un coup de massue. La tête lui tournait et elle crut qu’elle allait faire un malaise. Elle se força à prendre de profondes inspirations. Ryan détourna le regard et croisa les bras comme pour se refermer. De longues secondes s’écoulèrent dans un silence étrange. Sarah le fixa sans bouger.

« Je savais pas…je savais pas…tu n’en as jamais parlé… » Dit-elle d’une voix cassé par le grand huit émotionnel  auquel elle s’était soumise.

« Tu aurais dû nous en parler Ryan … ou le dire au commandant, ou au lieutenant Bolger. Ils auraient su quoi faire. »

La jeune femme resta au sol tout en essayant de reprendre son souffle. Elle renifla et reprit d’une voix tremblante, les grands yeux bleus de la jeune femme furent troublés par les larmes qu’elle retenait.

« Je suis désolée de ce qui t’es arrivé. Mais est-ce que tu as la moindre idée de ce que tu nous as fait ? De ce que j’ai ressenti ? » Elle marqua une pause et une larme s’échappa le long de sa joue. « Regardez-moi lieutenant ! Je ne suis pas vétéran de campagne comme Max et toi. J’ai un an de formation, un an de terrain et seulement quelques mois dans cette guerre. J’ai participé à des fusillades intenses, mais rien, rien ne prépare à ce qu’on trouve là dehors… » Sa voix céda sous le coup de l’émotion tandis que les larmes roulaient sur ses joues. « Je n’avais qu’un repère ! Qu’un repère solide en mission en qui je croyais et qui pourrait nous sortir de toutes les impasses. C’était vous lieutenant ! Mon chef en qui j’avais une confiance aveugle. Est-ce que vous avez la moindre idée de la peur qui me tient les tripes depuis ? »

Un patchwork émotionnel étrange avait étreint la jeune femme. Elle recula jusqu’à la cloison la plus proche de son dos et ramena ses genoux contre elle, elle reposa son visage pour dissimuler ses sanglots.