Insomnie

Passé vingt-trois heures, plus grand-chose ne bougeait sur la station. Mis à part le personnel de maintenant et l’équipe de nuit, tout le monde dormait.

Abrutie de fatigue, Nadira regagnait ses quartiers après une journée de recherche acharnée. Elle aurait bien sûr s’arrêter plus tôt, mais se retrouver dans sa petite chambre impersonnelle et vide, ou dans son pavillon de banlieue, sur terre, tout aussi vide, ne lui paraissait pas le meilleur moyen de passer une soirée. Alors autant travailler.
Elle rentra dans sa chambre, jeta ses vêtements dans un coin et se coucha sans autre forme de procès. Elle récupéra sa tablette pour lire quelques lignes d’un roman qui l’ennuyait profondément… l’idéal pour s’endormir

Vingt-trois heures trente passa en lui tirant la langue… Elle contemplait les étoiles à travers le hublot. Elle se redressa et récupéra sa guitare, mais ses doigts refusèrent de bouger. Pas d’humeur.

*Fait chier !*

Sur une impulsion, elle se releva, remis un pantalon et un simple t-shirt noir avant d’aller récupérer une bouteille qu’elle glissa dans un sac anonyme. Même occupée à pouponner, Sincett n’apprécierait sans doute pas que son médecin principal boive de l’alcool. A raison sans doute, mais elle n’allait pas commencer à être un brave petit soldat obéissant.
Elle sortit finalement de sa chambre et se rendit près d’une autre ou elle frappa quelques coups discret.

« - Je te dérange ?» demanda-t-elle lorsque l’occupant lui eut ouvert.

Allongé sur son lit en fumant une cigarette, Swagger profitait d’un repos bien mérité après son aventure en Irlande. Finalement, la situation fut plus calme qu’il ne l’aurait cru et pour son sang-froid et la prise en main de la « mission » il reçut une promotion. Sergent-chef Swagger. A vrai dire, cela ne lui faisait rien d’être promu. Enfin dans d’autres circonstances ils auraient été ravis mais après avoir appris le décès de sa mère, il n’avait pas le cœur à exprimer son contentement.



Il eut droit quand même d’assister aux funérailles et eut l’occasion de revoir sa famille. Cela lui fit beaucoup de bien, et pour eux aussi d’ailleurs. Voir que Paul était en bonne forme rassurait beaucoup son père, sa sœur et son frère.



Paul se leva de son lit et se dirigea vers la fenêtre. Il contempla alors les milliers d’étoiles ce disant que peut être sa mère se trouvait parmi elles. L’anglais pensait alors à tous ses moments avec sa mère et se disait qu’il n’avait pas beaucoup profité de sa présence. Surtout après son intégration dans l’armée.



Il fut soudainement interrompu par un bruit discret. Il se retourna et remarqua alors que quelqu’un frappait à la porte. Swagger se dirigea vers celle-ci et vit alors posté derrière son chef d’équipe, la médecin Nadira.

« Garett, que me vaux cette visite ? » Chuchota Paul.


Il fit entrer la jeune femme et referma la porte derrière lui.

En rentrant, l’égyptienne se demanda ce qu’elle faisait là. Etait-ce une bonne idée ? Elle sortit la bouteille de Single Malt du sac et la posa sur la table en souriant.

« - J’ai appris pour ta mère. Je suis vraiment désolée. J’ai pu avoir à son son dossier médical. Même ici nous n’aurions rien pu faire. »

Elle n’était, comme d’habitude, pas très adroite avec les mots mais supposait qu’il préférerait ce genre de vérité aux banalités creuses qu’on vous sert habituellement dans ces circonstances. Elle espérait également qu’il ne s’offusquerait pas de sa soudaine familiarité mais elle en avait plus qu’assez du strict protocole du personnel de la station.

« - T’as des verres j’espère ? » demanda-t-elle en souriant. « Je me suis dit que tu voudrais peut-être un peu discuter. Hors de toute hiérarchie, je veux dire. »

Elle était assez lucide pour se rendre compte que c’était elle qui en avait envie… besoin. Swagger était sans doute la seule personne avec qui elle avait réellement tissé quelques liens autre que professionnel depuis son arrivée. Si elle appréciait les autres membres de son équipe, elle n’avait pas vraiment encore sympathisé. Mis à part la « matinée gâteaux » chez Pakeha, et bien sur la soirée kakaoké à Londres, elle ne les avait que peu côtoyé.

*Arrête de te mentir Nad. Il te rappelle Peter et t’es en train de faire un beau transfert*.

Même une buse en psychologie comme elle pouvait se rendre de ça.

Nadira s’installa en souriant et fit tourner le liquide ambré dans son verre tout en récupérant la cigarette. Si elle ne fut pas particulièrement étonnée que le militaire est coupé els détecteurs de fumée, elle se demanda un moment comment il faisait pour masquer l’odeur en ouvrant sa porte le matin. Elle leva son verre et trinqua avec le britannique.

« - A nous. »

Autrement dit : laissons les morts tranquilles et occupons-nous des vivants. Elle but une gorgée et laissa l’alcool couler lentement dans son gorge et disperser sa douce chaleur.
Il changea rapidement de sujet et aborda celui de l’équipe dont ils allaient faire bientôt partie. La description qu’il fit de Plume la fit sourire.

« - Une teigne ? T’as pas tort. Elle sera très certainement un atout de poids si les choses venaient à mal tourner. Je n’ai pas d’information sur notre prochaine mission, mais, avec le vol de la porte et des chasseurs, je t’avoue ne pas avoir la moindre idée de ce qu’il va se passer maintenant. »

Elle but une seconde gorgée et soupira en regardant les étoiles par le hublot.

« - Et maintenant que j’ai un peu picolé, j’ai une excuse pour dire que je ne suis même pas sure d’être le meilleur choix pour diriger cette équipe. Un médecin à la tête d’une équipe d’exploration ? On dirait une blague non ? »

Si Nadira remarqua le regard de Paul, elle n'en fit pas état, même si c'était loin d’être désagréable. Machinalement, elle réarrangea ses cheveux tout en le laissant lui répondre.

« - Je compte bien m'appuyer sur vous tous, c'est certain. Tous les membres de JP1 viennent d'horizon très divers. Il faudra que je prenne l'habitude de vous consulter. »

Elle souriait en imaginant les conciliabules pour prendre la moindre décision. Il lui faudrait, sans doute, très régulièrement trancher malgré les caractères bien trempé des uns et des autres. Elle but quelques gorgée de plus en regardant le militaire en face d'elle.

« - Si ça ne tenait qu'a moi, nous serions déjà allé récupérer une porte, souffla-t-elle en regardant le fond de son verre. N'importe ou ! Cela fait des semaines que nous sommes à moitié coupé de la galaxie. Il a pu s'en passer n'importe quoi entre temps. Sans compter nos chasseurs disparus. Notre ennemis pourrait s'en servir pour commettre n’importe qu’elle atrocité et nous faire porter le chapeau. »

Se rendant compte qu'elle en avait sans doute un peu trop dit sur le fond de sa pensée, elle agita son verre pour qu'il la resserve.

« - Merci, » dit-t-elle une fois resservie sans préciser si c'était pour le verre ou pour écouter sa mauvaise humeur.

L’alcool était décidément une bien bonne excuse.

Une situation sincère comme celle-ci, Paul n’en avait pas vécu depuis un certain temps. Il pensa bien sûr à son amour d’enfance, Tania, dont il n’avait plus eu de nouvelles depuis quelques temps mais l’anglais chassa aussitôt ces images. Il sentait le souffle chaud de l’égyptienne, il sentait aussi ses longs cheveux caressant son bras. Il continuait de la regarder puis ferma les yeux en l’embrassant.

Elle regarda, surprise, l’anglais se lever pour aller contempler les étoiles, puis revenir vers elle avec une phrase désarmante. Un frisson la parcouru lorsqu’il posa la main sur ses épaules. Elle envie de partir, de rester, de le sentir plus proche, plus loin…

Il se réinstalla et la regarda longuement. Elle sentit ce qui allait se produire avec l’inéluctabilité d’un trente-huit tonnes fonçant sur un lapin au milieu de la route. Elle faillit se lever et s’enfuir de la chambre mais ne bougea finalement pas d’un pouce quand il passa sa main dans ses cheveux et se rapprocha.

*Biiiiiiiip* fit son cerveau quand elle essaye de réfléchir à ce qui se passait. *Vous avez demandez le docteur Garett, merci de laisser un message *

Ils s’embrassèrent longuement et elle se laissa finalement aller. Elle pourrait s’en vouloir plus tard après tout. Mais c’était elle qui était venue ici. A quoi s’attendait-elle ? Que voulait-elle vraiment ?

Il était toujours temps de faire machine arrière. Là ! Maintenant !

Elle se leva en caressant la joue du militaire qui reprenait son souffle et se dirigea vers la porte ? Sa main resta suspendue une demi-seconde au-dessus de la poignée puis éteignit finalement la lumière, avant de faire passer son pull par-dessus sa tête.

Quelque chose n’allait pas. Nadira n’était pas du matin, elle ne l’avait jamais été. Mais rarement à ce point. Non il y avait autre chose. Ça devait avoir un rapport avec le marteau piqueur qui lui picorait tendrement le cerveau. Mais, coup de chance, quelqu’un avait eu l’idée géniale de diffuser du Céline Dion à plein poumon, sans doute pour masquer le bruit.

Elle se roula en boule dans le lit, se demandant brutalement si la torture était devenue légale. Les souvenirs lui revenaient lentement et elle dû se rendre à l’évidence, elle l’avait bien cherchée… une fois de plus.
Au moins n’avait-elle pas de mauvaise surprise ce matin, comme le lendemain de Noel. Elle était seule dans le lit…

 
Particulièrement adaptée à la situation, un de ses chansons préférées lui vint sur les lèvres lorsqu’elle réalisa qu’elle n’était pas dans ses quartiers. Mais elle savait parfaitement ou elle était. L’avantage d’être arrivé ici sobre. Si c’était une nouvelle boulette, au moins elle l’avait faite consciemment. Evidemment, elle pouvait s’habiller rapidement, sortir et ne plus jamais évoquer cette nuit comme avec…

Mais non. Swagger et elle se tournaient autour depuis un moment. Il était sans doute ce qu’elle avait de plus proche d’un ami sur la station. Enfin un peu plus que ça maintenant.

*Assume pour une fois. *

Elle se redressa donc, son corps nu caché par le drap alors que le militaire sortait de la douche. Elle lui fit un petit sourire en le reluquant sans vergogne.

« - J’espère que tu as du café ! »

Paul semblait un peu nerveux ce matin, ce qui fit tiquer la jeune femme. Avait-il des remords ? A sa requête, il se mit à préparer du café avant de s’habiller. Dommage, elle n’aurait pas détesté continuer à le regarder. Elle n’avait pas eu le temps de profiter de la vue hier soir.

Il faut dire qu’elle avait finalement peu de souvenir de la nuit, sinon une impression de frénésie de plaisir. Un paquet de préservatif sérieusement entamé sur la table de nuit confirma d’ailleurs cette impression.

La réflexion sur la voisine de chambre la fit sourire. Elle imaginait bien la petite asiatique, un coussin sur les oreilles, en train de pester.

« - A la fac, ma colocataire faisait trembler les murs à chaque fois qu’elle était avec son mec. Ca désinhibe pas mal. »

Une fois habillé, il lui porta la tasse de café et elle lui fit signe de s’assoir près d’elle. La première gorgée du breuvage noir et amer la fit soupirer d’aise.

« - Merci, ça fait du bien. Ecoute je comprends que t’es pas envie que toute la base soit au courant. J’aime autant un minimum de discrétion aussi de toute façon. Mais, au cas où tu te poses la question, non, je n’ai pas le moindre regret pour ce qu’il s’est passé.

Au moins les choses étaient claire de son côté. Mais partageait-il cet avis ?

Note pour plus tard, le spécimen Paul Swagger est parfaitement capable de s'ouvrir, s'il en à l'occasion.

Surprise de la confession du militaire, Nadira le laisser parler. Elle ne savait pas vraiment comment répondre. Il avait raison évidemment, elle avait voulu ce qu'il s'était passé cette nuit. Mais maintenant? Avait-elle vraiment envie de continuer avec lui?

Elle entrelaça ses doigts avec ceux de Paul et l'attira vers elle pour l'embrasser. Un peu d'action pour masquer son embarras et son incapacité à exprimer ses sentiments. Le goût salé d'une larme se mêla au baiser et elle se rua sous la douche pour ne pas se rependre plus devant lui.

Elle ressorti de la petite salle de bain quelques minutes plus tard, bien plus souriante et sure d'elle, une serviette enroulée autour du corps. Redevenue la Nadira qu'il connaissait, elle se pencha vers lui et l'embrassa à nouveau.

« - Excuse moi. Parler de moi n'a jamais été mon fort. La vérité, c'est que je n'ai pas la moindre idée de si je suis prête à vivre une nouvelle histoire. Mais je ne vois qu'une seule façon de le savoir. »

Leurs visages n'étaient qu'a quelques centimètres l'un de 'autre et elle le regardait dans les yeux tout en murmurant.

« - Tu as raison, ça ne sera pas toujours facile. Mais si il y a une petite chance pour ça vaille le coup, je n'ai pas envie de passer à coté. »

Apres cet échange de confidence, un petit chapelet d’instants passa entre eux. Ce fut finalement elle qui rompit le moment en se relevant et s’habilla à son tour. Si le café et la douche brulante lui avait permis de remettre ses idées bouts à bouts, un mal de crane carabiné continuait à pulser derrière ces pupilles.

« - Prochain coup, faudra se calmer sur la bibine. Pas que je veuille jouer au rabat joie, hein,  mais j’aimerai bien avoir des souvenirs précis de nos nuits. »

Elle allait devoir repasser dans ses quartiers avant de repartir travailler, ce qui lui fit penser à ce qu’avait dit l’anglais un peu avant.

« - Je n’ai pas de voisin en ce moment. Hésites pas à passer me voir. Et tarde pas trop.»

Elle déposa un dernier baiser, rapide sur les lèvres de l’anglais et sortit rapidement. Elle n’avait pas loin à aller pour retrouver ses quartiers mais le chemin lui parut démesurément long.  Son cerveau était passé en mode surmultiplié et tournait les derniers évènements dans tous les sens. La question majeure était biens sur : voulait-elle se lancer dans une telle histoire ? Paul semblait être un gentil gars, trop gentil peut être, même s’il n’ignorait sans doute pas le caractère complexe de l’Egyptienne. Cela ne semblait pas l’effrayer outre mesure, mais à long terme ?

* Tu verras déjà s’il revient. *

Après tout, il avait peut être joué la comédie pour la mettre dans son lit… Peu probable, vu l’échange qu’ils venaient d’avoir. Du coup, elle verrait lorsqu’il frapperait à sa porte, un de ces soirs. Surprise, elle finit par admettre qu’elle en avait envie.

C’est un médecin souriant qui rentra dans l’infirmerie de la station, ce matin-là.