Elle avait dû s'endormir sur son bouquin car lorsqu'Aeryn consulta sa montre, il était quatre heures du matin. Son livre était tombé du lit et reposait par terre, ouvert, couverture vers le haut. Elle commença par le ramasser et placer le marque page avant de le reposer à sa juste place, sur la table de nuit.
Elle avait pensé que Thomas la rejoindrait mais, de toute évidence, cela n'avait pas été le cas. Sans se poser plus de questions elle se rallongea et ferma les yeux dans l'espoir de se rendormir. Mais le silence et l'obscurité de la nuit, ajoutés à l'horrible journée qu'elle venait de passer n'étaient pas des conditions propices à la sérénité. Bien au contraire. Sans qu'elle n'ai son mot à dire, son esprit vagabonda vers l'archéologue et son absence. Pourquoi n'était-il pas là ? Il n'avait peut-être tout simplement pas voulu la réveiller. Aeryn aurait dû s'en tenir à cette hypothèse mais la vie au SDT l'avait habituée à toujours imaginer le pire et, très vite, elle fut persuadée que l'absence de Thomas était due à son désir de ne pas la voir.
Il n'avait pas eu envie de venir, c'était aussi simple que ça. Et cela expliquait aussi qu'elle ne l'ai pas croisé une seule fois la veille. Tant qu'il était à l'infirmerie, il n'avait pas eu le choix et il était trop gentil pour lui dire qu'il ne voulait pas de ses visites mais une fois qu'il a pu sortir, il s'était appliqué à l'éviter. Il devait regretter sa proposition et ne voulait pas la blesser sans doute. Les deniers évènements avaient changé sa façon de voir les choses et il s'était aperçu qu'il ne voulait pas vraiment de cette relation.
Il est facile d'imaginer qu'après cette révélation, il fut très difficile à Aeryn de trouver le sommeil. Elle passa l'heure qui suivit à tourner dans son lit en cherchant vainement une autre explication. Enfin, elle finit par se résoudre, se leva et prit une douche que ne lui fit aucun bien. Une boule s'était formée dans son estomac qu'elle n'arrivait pas à chasser. Elle se sentait étouffer et ne vit qu'une seule alternative. Sortir d'ici. De cette chambre. De ces murs. De ce complexe.
Aeryn s'habilla rapidement, comme à son habitude et se ravisa avant de sortir. Pour ce qu'elle comptait faire, il lui fallait quelque chose de plus chaud. La jeune femme ouvrit donc le placard et eut un moment d'arrêt. Elle y avait installé les affaires de Thomas, voulant lui faire une surprise pour son départ de l'infirmerie.
"Pauvre idiote !"
D'un geste rapide, elle attrapa son propre manteau et claqua la porte du meuble avant de quitter la pièce, ... et la base.
Les gardes avaient bien essayé de la retenir. Sortir par ces températures, seule et à cette heure dans la forêt n'était pas très prudent. L'irlandaise les avait rassurés au mieux, leur assurant qu'elle n'irait pas bien loin et qu'elle avait l'habitude du froid et de l'environnement forestier. Mais elle vit sur leurs visages qu'elle ne devait pas être très convaincante. Tant pis, c'était elle la chef ici et elle voulait sortir. Ils devraient s'y faire !
Il était cinq heure et demi lorsqu'elle s'enfonça de quelques dizaines de mètres dans la forêt autour de Cheyenne Mountain. Le froid la faisait frissonner mais l'air frais lui faisait le plus grand bien. Et voir autre chose que des murs gris était une bénédiction. Aeryn ne tarda pas à trouver ce qu'elle cherchait et, après avoir pris appui sur un tronc voisin, elle se hissa sur la branche d'un conifère. Une fois le premier palier atteint, l'ascension était un jeu d'enfant. Les branches étaient tellement proches les unes des autres qu'on aurait pu les prendre pour un escalier naturel. La jeune femme grimpa jusqu'à l'altitude souhaitée et se cala entre le tronc et deux branches épaisses.
Bercée par les premiers chants d'oiseaux et les effluves de la sève et fascinée par les premières lueurs de la journée, elle dériva dans ses sombres pensées. Son échec sur le JPS, l'épée de Damocles en permanence sur sa tête, le coup de fil de l'ONU qu'elle ne tarderait pas à recevoir au sujet de son comportement à propos d'Aynira et Thomas qui l'évitait comme la peste.
Elle ne vit pas le temps passer, ni entendit les pas rapides sur l'écorce près d'elle. Elle ne remarqua l'écureuil que lorsque celui-ci stoppa net sa course, le déséquilibrant dangereusement. Elle était tellement immobile que le pauvre animal lui-même ne l'avait vu qu'au dernier moment. Le rongeur tenta de se rétablir mais le mouvement de chute était déjà amorcé. Aeryn eut tout juste le temps de tendre la main gauche pour rattraper l'animal au vol et lui éviter de se fracasser plusieurs mètres plus bas. L'écureuil ne prit pas cela comme un acte héroïque et enfonça profondément ses incisives dans la chair d'Aeryn, entre le pouce et l'index, avant de sauter sur une branche et de disparaître. La jeune femme ne put retenir un cri de douleur. L'entaille, pas très large mais profonde, saignait abondamment.
"Ouai, de rien !"
Cela eut le mérite de la ramener à la réalité. La descente fut nettement moins facile que la montée avec une main inutilisable et cela lui prit plus de temps. Il ne s'agissait pas de subir le sort qu'elle avait évité au rongeur ingrat.
Evidemment, sa plaie voyante ne l'aida pas à rester crédible devant les soldats qui l'avaient mis en garde. Elle fit comme si de rien était en pénétrant dans la base. Un détour par l'infirmerie s'avérait nécessaire. Elle ne tenait pas particulièrement à ce que la blessure s'infecte, ni à attraper la rage ou autre chose.
Après deux points de suture, quelques piqûres, une prise de sang, un bandage volumineux et la promesse de repasser en fin de journée pour changer les compresses, elle quitta l'infirmerie pour rejoindre son bureau.