Dîner aux chandelles

Jeremy sourit en voyant Eva entrer.

« Bienvenue dans le carré des dirigeants. Et ici, je vous en prie, appelez-moi Jeremy, pas docteur. » fit-il joyeusement.

« D'habitude, les lieux sont beaucoup plus sobres. » lui répondit-il quand elle vit la décoration de la Saint-Valentin.

Le mot exact était plutôt austère, mais cela restait l'un des rares endroits où personne ne pouvait venir le voir sans y être au préalable autorisé par lui-même.

« Je ne pensais pas que quelqu'un le décorerait au goût du jour. Ça change en tout cas. »

Et ça allégeait certainement son humeur et l'ambiance, même si Eva était visiblement gênée et ne savait pas trop quoi en penser. Il ne put retenir un soupir légèrement agacé en entendant la voix de Larry. Évidemment qu'il ne lui était pas possible d'avoir la paix et un peu de temps pour lui.

« Peut-être pas dans l'immédiat, mais je crains effectivement de devoir écourter ce repas à un moment ou à un autre et j'en suis vraiment navré. Mais s'ils viennent de rentrer, j'ai probablement un peu de temps avant que cela se produise. Alors, autant en profiter pour boire un verre, manger, discuter tranquillement et oublier le travail un moment, vous ne pensez pas ? »

Puis il avait vraiment besoin de souffler cinq minutes. Ce rendez-vous proposé sur un coup de tête l'avait d'abord laissé sceptique, mais maintenant qu'il y était, il voulait en profiter et passer la soirée à parler avec quelqu'un d'autre chose de travail, même si cela ne menait à rien.

« Mais il va tout de même falloir que je réponde. » ajouta-t-il sur un air désolé.

Si sa présence avait été requise immédiatement ou s'il y avait eu une catastrophe majeure à gérer, Larry le lui aurait précisé, mais ce n'était pas le cas.

« Merci de m'avoir averti. Quelque chose d'autre que je devrais savoir ou pas pour l'instant ? » répondit-il tout en étant pris d'une folle envie d'arracher l'intercom pour ne plus être dérangé, ce qu'il s'abstint de faire.

Il ne pouvait malheureusement pas se défiler, mais s'il pouvait retarder le moment de retourner travailler autant que possible, il en serait plus que ravi.

Jeremy sourit franchement à la remarque d'Eva sur la décoration.

« C'est peut-être un poil excessif en effet, mais je ne vais pas jeter la pierre à ceux qui ont fait ça. Les gens ont besoin de ce genre de choses pour garder le moral et oublier ne serait-ce que quelques heures la situation. » répondit-il.

Il aurait aimé avoir ce luxe lui aussi, mais une part de lui ne pouvait s'empêcher d'attendre la tuile qui interromprait immanquablement la soirée.

« La prochaine fête dans mon calendrier que j'entends faire organiser sur Atlantis, c'est la Saint-Patrick. Mais pour l'instant, gardez ça pour vous, s'il vous plaît. » ajouta-t-il avec un clin d’œil.

Il avait déjà lancé les choses avec Celestia. Il leur avait demandé s'ils pouvaient composer des boissons et des plats avec la couleur verte pour thème. Les Célestiens s'étaient montrés très enthousiastes face à ce défi et avaient demandé à en apprendre plus sur cette fameuse fête. Il leur avait communiqué avec joie toutes les informations qu'il avait pu rassembler. C'était sa façon à lui de s'impliquer et de souffler.

Un éclair de tristesse, et de culpabilité, traversèrent son regard aux mots de la jeune femme. La perte de cette équipe avait été dévastatrice pour plusieurs membres haut placés des rescapés, d'autant que rien n'avait laissé présager une telle catastrophe.

« Ne vous excusez pas. Attendre est stressant, c'est vrai, et perdre une équipe fait partie des risques à accepter. J'en avais conscience bien avant de devenir le chef. À chaque fois que je traversais la porte, je savais qu'il y avait une chance que je ne revienne jamais. Mais c'est encore plus difficile quand vous êtes celui qui envoyez les équipes là dehors, surtout dans le contexte actuel. Il est impossible de savoir comment une mission va tourner ou s'ils reviendront sains et saufs. » fit-il lentement, après quelques secondes.

Lorsque Larry lui annonça le bilan de la mission de l'Achilles, il oublia un instant qu'il n'était pas seul et laissa sa détresse prendre le dessous. Il ferma les yeux et ses épaules s'affaissèrent. Encore des morts… Que les responsabilités pouvaient être lourdes parfois. Il savait que cela pouvait arriver, comme il venait de le dire, mais cela lui fendait le cœur à chaque fois.

« Merci de m'avoir averti. Je vais aller à l'infirmerie prendre de leurs nouvelles. Tenez-moi informé pour le reste. » dit-il avant de couper la communication.

Le semblant de bonne humeur qui avait commencé à pointer le bout de son nez s'était envolé. Il devrait parler avec Nadja pour savoir ce qu'il s'était passé. Il se retourna vers Eva.

« Je suis navré, mais je dois me rendre à l'infirmerie pour voir les blessés. Je n'en ai pas pour longtemps. » annonça-t-il, le cœur lourd.

Il ne pouvait pas les ignorer pour rester ici et prendre du bon temps. En tant que chef, il ne pouvait pas se le permettre et il en serait incapable de toute façon. Il était important qu'il y aille. La Cité et ses habitants avaient la priorité sur ses propres envies qui avaient depuis longtemps été reléguées au second plan. Mais il aurait vraiment apprécié de pouvoir bénéficier d'une heure de répit, ne serait-ce qu'une fois.

Jeremy reprit le téléporteur pour rejoindre l'aile du réfectoire et s'arrêta un instant devant la porte, hésitant à l'ouvrir, de peur de constater qu'il finirait la soirée en tête-à-tête avec lui-même, comme d'habitude. Il s'attendait à moitié à ce qu'Eva ait saisi l'opportunité de partir pour le faire, mais il n'en était rien. La jeune femme était restée pendant son absence et avait visiblement trouvé de quoi s'occuper en l'attendant grâce à une tablette qui traînait. Il se sentit vraiment soulagé et ravi à la perspective de pouvoir enfin profiter d'une soirée normale. Ou du moins, c'est ce qu'il l'espérait.

« Vous lisez le dernier roman en vogue sur la Cité ? Est-ce qu'il est bon ? » demanda-t-il en plaisantant.

Vu son air concentrée et absorbée, il en doutait. Elle devait travailler, elle aussi. Mais il n'allait certainement pas lui jeter la pierre. Cela faisait très longtemps qu'il n'avait plus lui aussi de temps à consacrer aux loisirs, même s'il aurait donné n'importe quoi pour participer à l'une des soirées cinéma qui était régulièrement organisé ou même à un simple match de basket.

« Et si nous passions à table tant que nous en avons la possibilité ? Il serait dommage de ne pas profiter du menu que nous a concocté le chef. Cela risquerait de le vexer. » proposa-t-il avec un sourire tout en tirant une chaise pour qu'elle s'assoit.

« Merci d'être restée. » dit-il en s'asseyant à son tour.

Il décida qu'il avait simplement envie de discuter avec elle pour en apprendre plus sur à son sujet, comme lors de n'importe quel premier rendez-vous.