911

Zander avait perdu la notion du temps. Il n'avait aucune idée depuis combien de temps il était là, ni combien de patients il avait vu. Tout n'était que brouillard dans sa tête. Aussitôt entré à l'infirmerie, il avait été happé dans la frénésie qui habitait les lieux. C'était la première fois qu'il se retrouvait ainsi impliqué dans une vraie salle d'urgence traitant de multiples blessés graves en même temps. Il était habitué au calme feutré de l'infirmerie du JPS, pas à cette ambiance survoltée.

Il trouva très grisant de travailler avec l'équipe des urgences, dans un premier temps, mais très vite, il se rendit compte que c'est extrêmement exigeant physiquement et que cela demandait énormément de réactivité et de concentration. Il passait d'un patient à un autre, suivant les instructions et allant là où on avait besoin de lui. Au bout d'un certain temps, il s'aperçut qu'il travaillait principalement avec le Dr Rafaella Marinelli, sous la surveillance de Jessie qui le gardait à l’œil. À un moment donné, il fut envoyé au bloc qui faisait figure d'îlot de calme au milieu d'une tempête. Puis à un autre, il se retrouva au réfectoire à traiter les blessés plus légers pour souffler un peu.

À présent, il était assis sur une chaise en train de noter les instructions de Raf concernant le traitement d'un blessé. L'infirmerie avait retrouvé un semblant de calme, mais le bloc ne désemplissait pas et des patients attendaient toujours de passer entre les mains expertes des chirurgiens.

« - Hayes ! Depuis combien de temps tu es là ? lança soudain Jessie qui entrait dans les lieux.
- Aucune idée, dit-il lentement. C'est quelle heure ?
- Tu as pris une pause ou manger depuis que tu es là ?
- Je me rappelle pas.
- Alors ouste ! Prends quelques heures, va avaler quelque chose et dormir. Je ne veux pas te revoir avant au moins 4 heures.
- J'ai encore du… fit-il en pensant à la pile de dossiers qui attendaient à côté d'un ordinateur.
- Non. Tous les blessés graves ont été pris en charge et stabilisés et on aura bientôt fini de traiter les blessés légers au réfectoire. Pour l'instant, on peut se passer de tes services. Alors va te reposer pendant que tu en as l'occasion. Ça fait aussi partie du boulot. Si on a besoin de toi, on t'appellera. Et ne t'inquiète pas, il y aura toujours de quoi faire quand tu reviendras. »

Jessie avait raison, il en était conscient. Il se leva et sortir dans le couloir et réalisa à quel point il était lessivé. Et qu'il avait faim. Et qu'il n'avait aucune idée de ce qui avait bien pu se passer sur le vaisseau depuis qu'il avait mis les pieds dans cet enfer médical. Il s'adossa quelques instants sur la paroi derrière lui, se demandant où était Nadja. Il n'avait pas eu de nouvelles depuis qu'ils étaient montés à bord, mais elle aussi devait être débordée...

En arrivant à l’infirmerie, Nadja trouva Zander contre le mur, visiblement épuisé. Entre sa nuit plus que courte et la matinée qui n’avait pas dû être joyeuse, il y avait de quoi l’être. Elle ne devait pas être particulièrement avenante non plus.

« - Moi qui croyait que le personnel médical devait sourire en toute circonstance pour rassurer les patients… T’as mangé quelque chose ? »

Elle était à peu près sûre que non. Et pouvait difficilement le lui reprocher, vu qu’elle était à peu près aussi coupable que lui.

« - Tu me laisse quelques minutes pour rassurer tes collègues et on va se chercher de quoi manger ? J’ai appris que le cuistot nous avait concocté le pire repas de ce côté de la galaxie. »

Elle rentra dans l’infirmerie et siffla entre ses dents. Lire les chiffres du nombre de blessés est une chose, le voir de ses yeux en est une autre. Elle passa quelques minutes auprès de patient pour leur dispenser quelques paroles de réconforts et simplement les rassurer avant d’aller voir Jessie qui l’attendait visiblement de pied ferme. Il avait décidément été à bonne école avec Mei.

« - Vous étiez censé passé plus tôt, si je me souviens bien. Installez-vous. »

Elle dut serrer les dents pour ne pas craquer en se souvenant du médecin, sans doute décédée au combat par sa faute. L’ex marine se laissa ausculter, sermonner sur son besoin de repos, prit les comprimes qu’on lui donnait et ressorti rapidement, pressée de retrouver Zander autour d’une repas chaud.

Quand on parlait du loup… Zander releva la tête et lui sourit. Elle ne semblait pas en menait large, mais lui ne devait pas valoir mieux qu'elle.

« Seulement lorsqu'ils sont en service, ce qui n'est plus mon cas. Jessie vient de me jeter dehors pour que je prenne une pause. En fait, je suis au repos forcé pour quelques heures. »

Il secoua la tête négativement lorsqu'elle lui demanda s'il avait mangé. Ce n'est pas comme s'il en avait eu la possibilité.

« Je ne sais même pas quelle heure il est ni depuis combien de temps je suis là-dedans. C'était intense. Je ne me suis pas arrêté depuis qu'on est montés à bord et j'aurais probablement continué si on ne m'avait pas mis à la porte. Quand aux pires plateaux-repas… Tu préfères les cubes hébridiens ? Parce que ça peut s'arranger, j'en ai tout un stock à bord de Stella, si tu t'en souviens. » dit-il, une pointe d'amusement dans la voix.

Il hocha la tête quand elle annonça qu'elle devait aller voir les médecins et décida de l'accompagner, mais il n'avait pas fait deux pas dans l'infirmerie que la voix de Jessie retentit.

« - J'ai dit dehors Hayes ! Je ne veux pas te voir avant au moins quatre heures ! Six seraient encore mieux !
- Mais j'accompag…
- Je ne veux pas le savoir. À moins que tu sois malade, tu es persona non grata pendant les quatre prochaines heures. Alors, ouste ! Va te chercher à manger et ramène-lui donc un plateau par la même occasion, car je doute qu'elle ait plus mangé que toi, dit-il en désignant Nadja.
- D'accord, d'accord, je m'en vais ! répondit le pilote en battant en retraite après avoir lancé un regard désolé à cette dernière. »

Il ressortit et réussit à mettre la main sur deux plateaux contenant de la purée, une saucisse et des petits pois, accompagnée d'un morceau de fromage et d'un petit pain avec de la salade de fruits en guise de dessert, ainsi qu'une bouteille d'eau.

Il attendit que Nadja ressorte et lui remit le plateau.

« Où va-t-on ? Dans tes quartiers ? Parce qu'on ne peut pas vraiment manger dans le réfectoire. Ils n'ont pas encore tout à fait fini de soigner les blessés légers qui s'y trouvent. »