Oiseau de nuit

Dimache 1er juillet 2018

Plume s'était sentie mal lorsqu'elle avait annoncé à Aynira qu'elle sortait pour se rendre chez Noa et que celle-ci avait demandé à l'accompagner. Elle savait que, si la narisienne était là, elle ne pourrait pas parler avec le néo-zéllandais comme elle le voulait. Sans trop savoir comment, Noa était devenu une sorte de confident, ou de conseiller, pour elle. Il ne la jugeait pas et ne cherchait pas à lui faire faire ce qu'il voulait. Le géant barbu pouvait se montrer étonnamment attentif et attentionné. Peut-être que le voir agir avec sa fille avait aidé la jeune femme à l'accepter et à s'ouvrir à lui. Il était le seul, avec Bressignac, à qui elle pouvait parler sans risquer de blesser Aynira.

"Euh, … ce n'était pas prévu en fait, … je ne sais même pas s'il est là ou s'il est disponible, … et, … je préfèrerais y aller seule, … je suis désolée, …"

Finalement, elle la blessait peut-être quand même. Mais il y avait des choses dont elle avait besoin de parler et elle ne voulait pas qu'Aynira entende ça. Elle n'arrivait pas à se concentrer et savait qu'elle ne parviendrait pas à dormir si elle gardait tout pour elle. Elle s'approcha de la narisienne et lui déposa un bisou sur la joue.

"Excuse-moi, …"

Mais, comme à son habitude, Aynira ne se montra pas dérangée le moins du monde et lui assura qu'elle ne lui en voulait pas. Plume la remercia d'un baiser et quitta l'appartement pour frapper à celui d'à côté. Il était tard et le néo-zélandais était sans doute déjà couché. La jeune femme s'en voulut, c'était une mauvaise idée. Elle allait tourner les talons lorsque la porte s'ouvrit sur un homme bien plus grand qu'elle.

"Je suis désolé, il est tard, … j'aurais pas dû venir, … Pardon."

Noa était en train de lire un livre assis au fond de son canapé, les pieds sur la table basse lorsque l'on toqua à la porte. Il leva les yeux vers la pendule dans la cuisine ouverte à sa gauche et fronça les sourcils. Il n'attendait personne, surtout pas à cette heure là. Emy dormait depuis une bonne heure maintenant et Sarah lui avait dit qu'elle dormait sur l'Achilles car elle croulait sous le travail. Noa lui avait encore fait remarqué qu'il fallait qu'elle lève le pied, mais il n'y avait rien à faire... Il était vrai qu'avec la restriction drastique du budget, l'équipage de l'Achilles en avait pris un coup et les membres restants devaient travailler double pour faire tourner la boutique... Le jeune homme s'était donc accordé une soirée loin de son écran d'ordinateur pour retrouver avec délice l'univers poignant d'Asimov. Il avait même débouché une bouteille de vin et s'était servit un verre qu'il avait ouvrit sur la table basse.
Jusqu'à cet instant où l'on frappa à sa porte.
Était-ce Sarah qui avait finalement suivi son conseil en rentrant à la maison et qui avait oublié ses clés ? Ou alors David qui s'était encore fourré dans une sale histoire et qui venait lui emprunter de l'argent ?
Il espérait grandement que c'était la première option. Noa plaça son marque page, ferma son livre et le posa sur la table basse en se levant.

Lorsqu'il ouvrit la porte, il se rendit compte que c'était Plume. Cette dernière se déroba aussitôt et s'excusa en amorçant un départ, comme à son habitude.

" Non, il n'y a aucun soucis, Plume, entre. Ca me fait plaisir. " dit-il en s'écartant pour la laisser entrer.

" Oh" lâcha t-il en se rendant compte qu'il avait toujours ses lunettes sur le nez. Il ne les portait que pour lire même s'il aurait du les porter beaucoup plus, surtout devant les écrans. Mais il ne pouvait se résoudre à le faire, comme s'il voulait ainsi nier le fait qu'il vieillissait, et ses yeux avec. Il était vêtu d'un simple short et d'un teeshirt

" Est-ce que tout va bien ?" s'inquiéta t-il.

Plume avait à peine pris le temps de regarder Noa avant de bafouiller des excuses et tourner les talons mais le néo-zélandais l'arrêta et l'invita à entrer, assurant que sa visite lui faisait plaisir. Lorsqu'elle leva les yeux sur lui, elle fut surprise de le voir porter des lunettes mais ne s'offusqua pas de sa tenue. Bien que l'infection de Sarah par un goa'uld avait failli rompre à jamais leur relation naissante, Noa avait, par elle ne savait quel moyen, réussi à se faire de nouveau une place dans sa vie. Et la jeune femme en était contente. Elle se sentait suffisamment à l'aise avec lui pour parler de choses importantes et ce n'était pas souvent le cas.

"J'en porte aussi quand j'étudie. Au bout d'un moment, j'ai les yeux qui fatiguent et je vois flou si je ne le fais pas, …"

Elle haussa les épaules. Ce n'était pas particulièrement agréable de porter des lunettes mais Aynira avait l'air de trouver que ça lui allait bien. Elle ne répondit pas à la question de son voisin. Elle ne savait jamais quoi dire. Elle n'était pas sûre de savoir ce que cela signifiait "aller bien" et elle ne voulait pas mentir.

"Je te dérange ? Emy doit dormir. Tu voulais peut-être dormir aussi, …"

Mais il réitéra son invitation pour la faire entrer et elle s'exécuta.

"En fait, … j'arrive pas à dormir, … Enfin, j'ai pas encore essayé, on ne s'est pas encore couchées mais, … je sais que j'y arriverai pas, …"

Elle avait baissé les yeux, comme prise en faute. Plume adoptait souvent cette attitude lorsqu'elle était mal à l'aise ou se sentait fautive.

"Bressignac s'en va."

Elle avait lâché l'information sans préambule. Enfin, l'une des informations qui lui tournaient dans la tête depuis quelques temps et qui l'empêchaient de dormir.

"Sur Atlantis."

Noa hocha la tête avec un petit sourire lorsque Plume lui dit porter également des lunettes pour lire. Il croisa les bras sur sa poitrine et d'adossa à sa porte en l'écoutant. elle ne semblait pas décidé à rentrer et tournait toujours autour du pot. Puis elle s'excusa encore.

" Oui Emy dort, et non, tu ne me dérange pas du tout. J'étais en train de lire. Mais viens, entre s'il te plait. " Cette fois-ci il leva un bras comme pour la prendre par les épaules et l'inviter à rentrer, mais sans la toucher. Car il savait qu'il valait mieux éviter le contact physique avec la jeune femme.

Une fois qu'elle se décida à entrer, Noa ferma la porte derrière elle et se dirigea vers le salon.

" Assied toi !" l'invita t-il en lui désignant le canapé.
Mais Plume ne bougea pas et se mis à lui expliquer qu'elle n'arrivait pas à dormir. Encore une fois elle semblait tourner autour de ce qui la tracassait vraiment. Mais il était patient.
Pourtant la suite ne tarda pas à venir...
Ainsi c'était ça. Bressignac s'en allait. Son psychologue. Le néo-zélandais avait également suivit quelques séances avec lui suite à sa dépression. Il avait beaucoup d'estime pour l'homme. Plume avait surement trouvé un équilibre dans sa vie avec ces séances. Ce départ semblait la perturber beaucoup.

" Je vois... c'est donc ça... " murmura Noa en regardant Plume qui avait baissé la tête, comme si il y avait une sorte de honte à avouer ce qui lui pesait sur le cœur.

Le jeune homme se dirigea alors vers sa cuisine.
" Je me suis ouvert une bouteille de vin, quest-ce que tu prendra pour m'accompagner, du jus d'orange ? Un chocolat chaud ? Une tisane ?" demanda t-il depuis la cuisine ouverte. Il avait noté que Plume ne semblait jamais boire d'alcool, alors il avait pris l'habitude de lui proposer autre chose à chaque fois.
Noa attrapa un mug, et se tourna vers la jeune femme, attendant son choix.

Pas question de discuter tant qu'il ne seraient confortablement installé avec une bonne boisson entre les mains.

Noa ne commenta pas ses propos et se contenta de lui proposer d'abord un jus d'orange ou une autre boisson. Elle le suivit docilement dans la cuisine.

"Je veux bien un chocolat chaud s'il te plaît."

Elle se souvenait que c'était lui qui lui avait fait découvrir cette boisson et lui avait offert sa première boîte de cacao en poudre. La jeune femme s'assit sur l'un des tabouret de la cuisine et posa les yeux sur le plateau d'échec. Une partie y était entamée. Plume savait que Noa et sa fille, Emy, avaient toujours une partie en cours. Elle l'observa intensément le temps que son hôte prépare sa boisson. Lorsqu'il revint, elle leva enfin les yeux vers lui avant de désigner le plateau de jeu du regard.

"Merci. On dirait qu'elle est en train de gagner, …"

L'alienne referma ses deux mains sur le mug, laissant la chaleur du chocolat la gagner et lui apporter un peu de courage. Les yeux rivé sur la couleur brune du breuvage, elle reprit lentement.

"Il ne sera pas là le mois prochain, … quand, …"

Elle laissa sa phrase en suspend et inspira profondément.

"Quand elle rentrera chez elle."

Les fois précédentes c'étaient mal déroulées. Très mal. Elle n'avait blessé personne et avait réussi à se faire discrète mais elle avait eu beaucoup de difficultés à gérer et s'était elle-même blessée. Seul Bressignac avait réussi à la canaliser suffisamment pour qu'elle garde un semblant de contrôle sur elle-même. Et voilà qu'il partait. Certes, ils avaient beaucoup travaillé depuis et il la pensait prête mais Plume avait une autre opinion.

"Je ne sais pas si je peux gérer, …"

Elle ne quittait pas des yeux le contenu de son mug.

"En fait, je suis plutôt sûre que je ne peux pas, …"

Et cela la terrorisait.

Plume l'avait suivit dans la cuisine et choisi finalement un chocolat chaud, comme la plupart du temps. Noa ouvrit le frigo, sortit une brique de lait et la versa dans une casserole sur le feu. Noa boycottait le micro-onde pour la préparation du chocolat chaud, cela le rendait passablement dégueulasse à son goût. Alors qu'il posa la tasse de chocolat chaud devant Plume, cette dernière jeta un oeil à la partie d’échec en cours. Noa sourit lorsqu'elle constata qu'Emy était en train de gagner.
" Tu trouves ?... On verra bien...Mais j'avoue volontiers qu'elle commence à devenir un adverse redoutable comme toi ! " dit-il avec un large sourire.

Plume se pencha sur son mug et laissa un instant de flottement avant d’enchaîner. Le visage de Noa devînt plus sombre. Le départ de Bressignac allait coincider avecle départ d'Aynira. Il y a quelques temps déjà, lorsque Plume avait commencé à se confier à lui, elle lui avait dit que Aynira avait une autre compagne sur sa planète natale. La nouvelle n'avait pas laissé Noa indifférent. Il n'avait rien contre l'amour libre si chacune des parties était consentante. Or dans le cas de Aynira et Plume, il était évident que cette relation blessait Plume. Et cette blessure ne faisait qu'accentuer la fragilité psychologique et sociale de la jeune femme. Il savait que ce n'était pas ses affaires et qu'il ne pouvait pas s’immiscer dans une relation ainsi, mais il ne pu s'empêcher de se promettre d'avoir une conversation avec Aynira un jour.

" Je vois ..." répéta t-il.
Il marqua un petit temps de pause puis posa ses deux coudes sur la table haute qui les séparaient.

" Ecoute. D'abord, je sais que les séances avec Bressignac sont importante pour toi. Tu as l'air de lui faire confiance et je sais que ce n'est pas quelque chose de facile pour toi. Mais si Bressignac part sur Atlantis, je suis certain qu'il sera remplacé. Et ce dont tu peux être sûrr c'est que le SDT va embaucher le meilleur. Je sais que c'est difficile de tout recommencer avec quelqu'un de nouveau, mais si tu y est arrivé avec Bressignac, tu y arrivera avec son remplaçant."

Noa marqua une pause, avant d'enchaîner.
" Et puis je serai là moi. Je ne suis pas psychologue, mais je suis ton ami et je serai toujours là pour toi. "

Noa ne pu s'empêcher de se trouver légèrement ridicule. On aurait dit un dialogue tiré d'un scénario hollywoodien raté. Mais pourtant c'est ce qu'il pensait, alors tant pis pour le ridicule.

Il marqua de nouveau une pause, hésitant. Il ne savait pas s'il fallait qu'il s'aventure sur ce terrain là. .. mais il ne pu résister.

" Je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais ce que tu ressens lorsque Aynira part... chez elle... n'est pas anodin ni anormal. A ta place je me sentirai blessé et certainement que je deviendrai fou."
Pendant une seconde il s'imagina Sarah dans les bras d'un autre et cette image était suffisante pour lui donner des crampes d'estomac.

" Pourtant je ne suis pas quelqu'un de particulièrement jaloux ou possessif. Mais je pense juste qu'il est normal de ne pas apprécier lorsque la personne que l'on aime soit intimement lié à quelqu'un d'autre. Rien ne t'oblige à l'accepter, ... enfin, je pense..." rajouta t-il.

Puis Noa se dirigea vers son salon pour récupérer son verre et poursuivre la conversation de manière plus confortable.
Il se pencha pour attraper la bouteille de vin et se servit un verre avant de se diriger vers l'immense bibliothèque qui recouvrait un des murs du salon et de prendre une petite boite en bois. Il vînt de rasseoir dans le fauteuil adjacent au canapé et ouvrit la boite en bois pour révéler un jeu d'échec.
Il mit en place les pions et attendit que Plume vienne s'asseoir et commencer la partie.

Noa lui parla d'un nouveau psy. Un avec qui elle devrait tout recommencer à zéro. Plume fronça les sourcils.

"Il m'a dit qu'il ne partait que quelques semaines. Il m'a menti ?"

Les dents serrées, la jeune femme avait le regard dur. Elle n'aimait pas les mensonges. Encore un qui la trahissait sans sourciller ? Elle ne recommencerait pas. Non. Si Bressignac partait définitivement, elle ferait sans et tant pis pour ce que dirait le SDT. Elle en avait marre de devoir subir tout ça. Ne pouvait-on pas la laisser oublier ? C'est alors que Noa affirma que, lui, ne partirait pas. Elle leva vers lui un regard des plus sérieux et reprit la parole d'une petite voix.

"Tu le promets ?"

Confiance était un mot qu'elle s'autorisait à utiliser. Elle ne faisait confiance à personne. Pas entièrement. Elle ne pouvait pas. Ne devait pas. N'y arrivait pas. Mais elle pouvait espérer. Si le néo-zélandais resterait disponible, comme il le disait, ce serait peut-être un peu plus facile.

"Je ne veux pas créer de problème."

Parce que, dans ces cas-là, elle pouvait se montrer violente et, même si Noa était plutôt costaud, il n'avait ni la vitesse, ni les réflexes pour l'arrêter en cas de besoin. Et puis, il y avait Emy. Elle ne pouvait pas prendre le risque de blesser ou de choquer l'enfant. Elle ne se le pardonnerait pas.

Plume contemplait de nouveau son chocolat lorsque Noa recommença à parler. Il affirmait que ce qu'elle ressentait était normal mais c'est la fin de sa phrase qui fit grimacer la jeune femme.

"Tu me trouvez folle, …"

Elle ne pouvait pas l'en blâmer. C'était sans doute ce qu'elle était. Certainement même. Qui d'autre que les fous voyaient et entendaient des personnes qui n'étaient pas présentes ? Il poursuivit et suggéra qu'elle avait son mot à dire. Mais c'était faux. Pas si elle voulait garder Aynira.

"Je n'ai pas le choix, … Je ne veux pas la blesser, …"

Parce que c'est ce qui arriverait si elle lui demandait de ne plus voir Alyara. Et, assurément, la narisienne choisirait sa compatriote.

"Ni la perdre, …"

Le barbu se leva alors et se dirigea au salon. Plume le regarda s'éloigner en baissant de nouveau les yeux. Elle l'avait blessé et il ne voulait plus la voir. C'était plutôt clair. Et qu'en était-il de sa promesse maintenant ? La jeune femme soupira en fermant les yeux. Elle était chez lui après tout, il pouvait bien faire ce qu'il voulait. Elle se leva, délaissant le chocolat chaud et prit la direction du salon.

"Désolée de t'avoir dérangé, …"

Mais, alors qu'elle allait partir, son regard se posa sur le plateau d'échecs qu'il avait sorti et qu'il commençait à installer. Elle resta interdite un moment. Il ne voulait pas qu'elle parte mais qu'ils s'installent au salon pour jour. Plume croisa son regard, lui demandant silencieusement si elle avait bien compris et un geste de Noa, accompagné d'un sourire, lui fit signe d'approcher. Elle alla donc récupérer le mug auquel elle n'avait pas touché et le rejoignit pour démarrer une partie.

Noa haussa les épaules comprenant son erreur.
" Écoutes, j'en sais rien, c'est toi qui viens de me dire qu'il partait sur Atlantis, j'en ai déduit qu'il partait en poste là-bas."

La suite, Plume eu l'air de le prendre très au sérieux. Elle lui demanda de promettre. Noa la regarda droit dans les yeux et espéra qu'elle puisse y lire toute sa sincérité:

" Je te le promets Plume." dit-il à mi-voix.

Noa continua sur une pente plutôt glissante, en entamant la conversation sur la double relation d'Aynira. Il se rendit compte trop tard de sa maladresse.
" Non, bien sur que non je ne te trouve pas folle. C'est une expression qui veut dire que j'aurais l'impression de perdre le contrôle et j'aurais tendance à vouloir tout détruire autour de moi par tristesse et désespoir. " expliqua t-il.

Plume lui dire qu'elle ne souhaitait pas perdre Aynira. Noa eu un petit sourire triste.

" Je sais... "

Noa se dirigea alors vers son salon pour se servir un verre de vin et mettre en place une partie d’échec. Perdu dans ses pensées, sur cette relation étrange Aynira-Plume-Autre, il compris presque trop tard que son geste avait encore une fois été mal interprété lorsque Plume prit la direction de la sortie en s'excusant encore.
Mais finalement il n'eut rien besoin de dire, les yeux de la jeune femme tombèrent sur le jeu d’échec et Noa lui sourit. Il asséna une tape franche sur l'assise du canapé non loin de lui comme pour lui dire "viens poser tes fesses et arrête tes conneries !".
Plume partit chercher son chocolat chaud et revînt.
Noa attendit en silence que Plume ai commencé à jouer avant de reprendre la parole.

" Tu peux emménager ici si tu veux... enfin je veux dire... pendant le voyage d'Ayni... on a une chambre d'amis qui me sert de bureau mais la plupart du temps je bosse ici au salon, ou à la cuisine...tu auras ton espace à toi mais tu seras quand même avec nous. " dit-il.

Plume fut rassurée en entendant Noa lui dire qu'il n'avait que présumé du remplacement de Bressignac. Le suisse ne lui avait donc pas menti. Une excellente chose. Puis, le néo-zélandais la fixa sérieusement et lui promit qu'il serait là pour elle en cas de besoin. Il semblait sincère et la jeune femme hocha doucement la tête et prit la parole en parlant tellement bas que c'en était à peine audible.

"Merci."

Elle n'avait pas l'habitude de ce genre de comportement à son égard et se demandait toujours à quel point c'était sincère mais, seul l'avenir pouvait le lui dire. Mais déjà, le doute s'installa lorsqu'il avoua à demi mot qu'elle était folle. Plume baissa les yeux en encaissant la remarque avant que Noa, ne se rendant compte de ce qu'il venait de dire, revint sur ses propos. Il s'était visiblement mal exprimé mais, au fond, il avait raison. La jeune femme savait qu'elle n'était pas des plus saine d'esprit mais c'était toujours une chose difficile à accepter. Elle faillit partir lorsque le propriétaire s'éloigna d'elle sans un mot mais comprit à temps qu'il s'agissait en fait d'une invitation et non d'un rejet. Noa voulait jouer aux échecs alors Plume le rejoint rapidement après avoir récupérer son mug.

Alors qu'elle se concentrait sur le début de la partie, Noa lui fit une proposition à laquelle elle ne s'attendait pas. Plume releva vers lui des yeux perplexes. Etait-il sérieux ? Il en avait l'air en tout cas. Pendant un instant, la jeune femme étudia cette possibilité avant de la rejeter en bloc.

"C'est gentil mais je ne peux pas."

Cela partait d'une bonne intention mais Plume se connaissait trop bien pour prendre un tel risque.

"Je suis agitée, je dors mal, je suis, … agressive, … Je ne veux pas t'imposer ça. Et encore moins à Emy. Cois-moi, tu ne me veux pas autour d'elle dans ces moment-là, …"

C'était la raison pour laquelle elle s'isolait le plus possible à chaque fois qu'Aynira rentrait chez elle. Pour s'assurer de ne blesser personne, … personne à part elle-même.

"Peut-être, … au téléphone, …"

A quoi s'était-elle attendu au juste ? Elle ne pouvait voir personne sans danger mais peut-être que, si elle discutait avec lui lors des absences d'Aynira, sans risquer de le blesser, cela l'aiderait.

Plume baissa de nouveau son regard sur le plateau de jeu et déplaça un premier pion. Elle n'avait pas les idées très claires mais peut-être que le jeu allait lui donner l'apaisement suffisant pour parvenir à dormir.

Alors que le néo-zélandais avançait une pièce à son tour, Plume ne put retenir une question qui lui tournait dans la tête en boucle depuis quelques jours.

"Est-ce que tu me vois comme une adolescente ?"

Noa ne fut pas étonné que Plume refuse sa proposition mais sa raison l'inquiéta. Elle devenait ... agressive ? Noa fronça les sourcils face à une certaine incompréhension. Est-ce que dans ces moments là elle pouvait s'en prendre aux autres ? A elle-même ? Bien entendu, il l'avait déjà vu complètement hors d'elle, en mission, et lors de l'épisode Ruax...mais ça lui semblait toujours quelque chose d'accidentel dans un cadre vraiment exceptionnel.
Elle lui dit qu'elle préférerai l'avoir au téléphone, peut-être.

" Je t’appellerai, et si ce n'est pas toi qui vient, c'est moi qui viendrai te voir. C'est non négociable !" lâcha t-il.

Plume se mit à jouer et Noa déplaça sa pièce lorsque son tour vînt. La question de Plume le prit complètement au dépourvu.
Il attrapa son verre de vin et bu une grande gorgée avant de répondre.

" Euh... C'est vrai que tu es jeune, tu as quoi, 24 ans je crois ? A quelques années près je pourrais presque être ton père " dit-il en riant un petit peu. Puis il repris plus sérieusement.
" Mais ce que tu as vécu dans ton enfance, ... " Son visage devînt sombre. "... peu de gens ont ton vécu... mais, pourquoi tu me demandes ça ? " finit-il par demander en levant les yeux vers elle, conscient d'avoir surement répondu à côté de la plaque.

Noa accepta les conversations téléphoniques mais ajouta que, si elle refusait d'aller le voir, alors lui viendrait. Alors que Plume ouvrait la bouche pour protester, il arrêta toute tentative de refus en affirmant que c'était non négociable. La jeune femme le fixa un moment, la bouche légèrement ouverte et les sourcils froncés mais finit par baisser les yeux sur le plateau de jeu sans un mot et déplaça un pion. Elle abandonna pour l'instant le sujet des visites. De toute façon, Noa ne pouvait pas l'obliger à lui ouvrir la porte. A la place, elle lui posa une question dont elle n'arrivait pas à se défaire depuis quelques temps. La question sembla le mettre mal à l'aise puisqu'il avala une grande gorgée de vin avant d'entamer un semblant de réponse.

Ce fut au tour de Plume de se sentir mal à l'aise. Il évoqua son âge, disant qu'elle était très jeune et qu'il pourrait presque être son père. Mais la jeune femme savait qu'Aynira était plus âgée encore que le néo-zélandais et, même si son espérance de vie et son rythme chronobiologique étaient différents de celui des terriens, il n'en restait pas moins vrai qu'elle avait plus que l'âge d'être sa mère. Pas étonnant qu'elle la trouve aussi puérile.

C'est alors qu'il parla de son enfance à elle. Une enfance qu'elle n'aimait pas évoquer. Noa affirma que peu avait vécu la même chose qu'elle. Plume espéra que ce n'était le cas de personne mais elle se doutait que, quelque part dans l'univers, il devait y en avoir d'autres comme elle. Une bien sombre pensée.

"C'est ce que pense Aynira. C'est comme ça qu'elle me voit, …"

Inspirant profondément, la jeune femme tenta de se concentrer sur le jeu et déplaça un pion, de façon bien trop hasardeuse à son goût.

"Je peux pas lui en vouloir, …"

Mais cela ne l'obligeait pas à apprécier.

Plume expliqua que c'était ainsi qu'Aynira la voyait, et elle ne semblait pas vraiment apprécier. Etre traité d'ado sur Terre avait-il la même signification que pour Plume ou pour Aynira ? A en juger par la réaction de Plume, cela semblait être le cas.

" Pourquoi ça te dérange qu'elle te voit ainsi ? Et pourquoi dis-tu que tu ne peux pas lui en vouloir ? Est-ce qu'il y aurait des choses qui peuvent justifier le fait qu'elle te voit comme une ado ?" demanda t-il.

Il marqua une pause avant de continuer. Il avait en tête quelque chose, mais il ne savait pas comment elle allait réagir.

" Je peux être franc et ... un peu direct ?" demanda t-il bien qu'il connaissait déjà la réponse. " A bien y réfléchir, il y a en effet quelques points commun entre une ado et toi. Les sautes d'humeurs, le renfermement sur soi,... Pour tes interlocuteurs; le fait de devoir prendre des pincettes pour éviter que tu prennes la mouche. Bien entendu, la raison en est différente. Là, où l'ado a du mal à gérer ses hormones, toi, tu as du mal à gérer les horreurs de ton passé. La comparaison s'arrêtait donc aux pures apparences. "

Noa baissa la tête et continua le jeu.

Plume leva la tête à la question de Noa. Est-ce qu'il plaisantait ? Elle faillit répondre en s'énervant mais prit le temps d'inspirer profondément. Elle avait sans doute mal compris, ou mal interprété et, c'était elle qui était venu le voir. Après avoir expiré lentement, ellle se décida à répondre d'une façon plus posée que son élan de départ.

""Tu as dit tout à l'heure que tu pourrais être mon père. Aynira est plus âgée que toi. Et elle me voit comme une ado. En quoi ça pourrait être une bonne chose ? Qu'est-ce qu'elle ferait avec une ado ? Et puis, … je n'ai pas envie que ce soit ce qu'elle voit, quand elle me regarde, …"

Elle baissa les yeux et prit une gorgée de chocolat chaud pour se calmer.

"Je suis qu'une pauvre enfant à sauver, …"

Et elle ne voulait pas être réduit à un élan de bonté de la narisienne, un simple besoin de protection dû à son caractère altruiste.

"Je voudrais juste, … être plus, … plus qu'une âme perdue, pour elle, … Je voudrais être pour elle, ce qu'elle représente pour moi, …"

Plume glissa nerveusement une main sur sa nuque et ses doigts effleurèrent sa cicatrice.

"Mais je sais bien que c'est peine perdue, …"

Et Noa le confirma. Tout dans le comportement de la jeune femme reflétait celui des adolescents. Elle en avait conscience mais détestait ça.

Noa eu l'impression que Plume allait s'énerver, mais finalement elle inspira profondément et lui répondit calmement. Bien sûr, il avait été tellement bête. Il avait oublié l'âge de Aynira. Lorsqu'il l'avait découvert en tombant un jour sur son dossier personnel, il s'était sentit terriblement mal à l'aise. Elle avait presque le double de l'âge de Plume. Et il avait beau se dire que l'âge était tout relatif, que la physiologie des Narissiens était probablement bien différente de la leur, et que de toute façon l'âge ne comptait pas lorsqu'on tombait amoureux... il ne pouvait s'empêcher de se sentir mal à l'aise. Peut-être était-ce aussi dû au fait que Aynira ressemblait physiquement à une jeune femme de 25 ans. Physiquement, aucun écart d'âge ne semblait séparer le couple, d'où son erreur et sa méprise actuelle.

" Désolé, j'ai oublié son âge réel...je comprend mieux..."

Plume continua et se considéra comme une gosse à sauver pour Noa.

" Arrête Plume. Je ne pense pas que Aynira soit avec toi par altruisme ou par pitié. Personne ne peut faire ça. Si elle est avec toi c'est qu'elle t'aime pour ce que tu es. Ne cherche pas plus loin, c'est tout. " dit-il sur un ton sans équivoque.
Il avait beau ne pas apprécier la double relation que menait Aynira, il était convaincu qu'elle aimait Plume sincèrement.

Noa bu une nouvelle gorgée de vin et sentit l'alcool commencer à lui chauffer les veines. Il sourit à Plume, déplaça son cavalier et rebondit sur la dernière phrase de la jeune femme.

" Rien n'est jamais perdu. Tout le monde peut changer. Si c'est vraiment ce que tu veux, tu y arriveras. Regarde déjà les progrès que tu as fait jusqu'à maintenant. Cette fois, quand Aynira partira sur sa planète natale, montre lui que tu peux gérer ça différemment. Tu n'es pas obligé d'apprécier ce qu'elle fait, mais ça ne veut pas dire que tu dois forcément tout détruire autour de toi. Ton univers ne doit pas se résumer à elle seule. Tu as des amis qui tiennent à toi, tu t'es invertie dans des études, tu as des centres d'intérêts. Concentre toi sur tout ça. Viens passer du temps avec moi et ma famille, étudie si ça te fait plaisir, va au cinéma..."
Comme toujours Noa sentait comme irrépréhensible envie de s'emparer de tout le mal qui rongeait la jeune femme et de le jeter au loin. Qu'est ce qu'il aimerait la voir l'esprit léger, agir comme une jeune de son âge, apprécier la vie, le contact social, etc..
" Tu es déjà aller au cinéma ?" se demanda t-il tout à coup.
" Ça devrait te plaire, c'est une expérience sociale,.. sans l'être vraiment. On va voir un film avec des gens qu'on ne connait pas. On ne leur parle pas, mais on passe 2 heures à regarder une histoire de fiction tous ensemble."

Le ton de Noa était ferme lorsqu'il affirma que Plume se trompait. Pour lui, il était impensable qu'Aynira soit avec elle par pitié ou par altruisme. Il était convaincue que la narisienne l'aimait pour ce qu'elle était. C'était une pensée tentante mais la jeune femme avait toujours du mal à le croire. Elle n'avait rien de plaisant, selon elle. Comment pouvait-on l'aimer réellement ? Mais ce n'était pas au barbu de répondre à cette question. Bressignac s'arrachait déjà les cheveux avec elle à ce sujet.

A entendre le néo-zélandais, tout était très facile. Il suffisait d'étudier ou de passer un bon moment pour supporter l'absence d'Aynira et, surtout, sa raison. Mais il ne savait pas tout. Comment aurait-il pu ? Il lui proposa de venir passer du temps avec lui ou d'aller au cinéma. La jeune femme grimaça.

"J'y suis déjà allée avec Aynira. Une fois. Ca n'a pas été très concluant, …"

Elle avait mal supporter d'être enfermé dans un endroit sombre, entourée de personnes qu'elle ne connaissait pas. Plume avait passé la moitié du film à tenter de faire taire son angoisse et avait dû sortir avant la fin, n'y tenant plus. Heureusement que la narisienne avait été là pour l'aider à se calmer. Non, ce n'était pas une bonne idée que d'aller au cinéma. Encore moins seule.

La jeune femme tenta de se concentrer de nouveau sur le plateau de jeu, sans grand succès. Elle finit par déplacer lentement un fou.

"Ca pourrait être moi, …" murmura-t-elle les yeux fixés sur la pièce.

Finalement, elle soupira et reprit un peu plus fort.

"Je voudrais que ce soit si simple, … Etudier, jouer de la musique, … je fais déjà tout ça quand elle s'en va. Mais ça ne suffit pas, … Je n'arrive pas à penser à autre chose, … Méthis ne me le permet pas, …"

Plume ferma les yeux. Noa était tellement gentil avec elle. Il méritait de savoir à qui il avait à faire. A qui il proposait de s'approcher de sa fille.

"J'entends, … et je vois, … des choses qui n'existent pas, … Je suis folle."

Voilà, c'était dit. Elle ne pouvait maintenant qu'espérer qu'il ne la mette pas à la porte tout de suite.

Plume dit avoir essayé le cinéma, mais que ce ne fut pas concluant. Puis elle resta étrangement silencieuse et fixa longtemps un fou. Elle dit se reconnaitre dans la pièce. Noa la considéra longuement avant de lui répondre. Et Plume enchaina aussitôt. Elle lui avoua que Méthis la hantait toujours et qu'elle se croyait folle. Elle avait même fermé les yeux, pour lui faire cet aveu. Noa savait que ce n'avait pas été facile pour elle.
Le néo-zélandais baissa alors les yeux sur le jeu et attrapa un de ses fous pour le lever devant ses yeux.
" Tu sais pourquoi cette pièce s'appelle un fou ? " demanda Noa en regardant fixement la pièce de bois finement ciselée.
" A l'origine, le nom de cette pièce avait pour racine "foule" qui en vieux persan signifie « éléphant ». Elle représentait l'éléphanterie, puissant corps de l'armée indienne. La ressemblance du mot avec le mot "fool" en anglais a conduit à l’appeler « fou »."
Noa marqua une pause puis regarda Plume.
" Donc si aujourd'hui on l'appelle "fou" c'est juste un malentendu..."

Le jeune homme reposa sa pièce sur l'échiquier.
" Ce n'est pas tout... Le fou fonctionne toujours en binôme. Les deux pièces se complètent; une couleur chacune. Elles se protègent mutuellement. Elles ont besoin l'une de l'autre. Un fou seul, c'est une bonne pièce, une pièce puissante. Mais avoir la paire de fou par contre, est un avantage incontestable et permet souvent de gagner la partie."

Noa regarda Plume et lui sourit.
" Alors, explique-moi ce malentendu que je puisse comprendre. Je t'écoute."

Tout d'abord, Plume ne comprit pas. Est-ce que Noa l'avait entendu ? Est-ce qu'il avait perdu l'esprit, lui aussi ? Ou alors c'était l'alcool. Ou l'heure tardive. Ou bien un mauvais mélange de tout cela. Mais plus il parlait et plus son propos faisait sens dans l'esprit de la jeune femme. Elle leva vers lui un regard étrange. Il l'avait entendue mais ne l'avait pas jeté dehors. Mieux encore, il se servait d'une métaphore pour lui faire comprendre elle ne savait quoi.

A la fin de ses explications, il regarda Plume et lui sourit en lui demandant de lui expliquer. C'était ça alors. Il n'avait pas compris. La jeune femme, le regard perdu, ne sachant quoi penser, inspira profondément à plusieurs reprises. Finalement, elle baissa de nouveau le regard et ouvrit la bouche.

"Quand elle s'en va, … quand elle rentre chez elle, …"

Plume grimaça légèrement.

"Je travaille. Je me dit que, peut-être, si je me tiens occupée, je n'aurais pas le temps de penser à où elle est, … à ce qu'elle fait, … pas le temps de me demander si elle va choisir de revenir cette fois encore, …"

L'évocation seule de ce moment l'angoissait déjà alors qu'elle savait la narisienne dans la maison d'à côté, probablement à l'attendre.

"Mais Méthis ne me laisse pas oublier la situation, … Je l'entends, … dans ma tête, … comme si elle était là. Parfois, je la vois aussi, … je sais bien que ce n'est pas possible mais, … elle est pourtant là, … Elle me répète à quel point je suis faible, … et inutile, …"

Plume ferma les yeux et serra inconsciemment le poing. Sa respiration se fit plus anarchique mais, lorsqu'elle s'en rendit compte, elle se força à ouvrir la main et à reprendre le contrôle de son souffle, à grand peine. Lorsqu'elle y parvint à peu près, elle ouvrit de nouveau les yeux mais évita de croiser le regard de Noa.

"Elle est déjà dans mes rêves, … mes cauchemars, … et elle me hante aussi éveillée, … je sais que c'est pas normal. Personne ne veut le dire mais je sais que je suis folle."

C'est alors qu'elle leva sur lui un regard empli de détresse.

"Je ne veux pas qu'on m'enferme !"

Elle ne le supporterait pas. Cette seule l'idée la terrorisait.

Noa écouta Plume lui expliquer un peu mieux. Il prit alors conscience de l'ampleur des souffrances de Plume. Non seulement elle avait souffert toute son adolescence de la possession de Methis, mais à présent le goauld ne la laissait toujours pas en paix. Noa fit un effort considérable pour ne pas laisser transparaitre la tristesse qui l'assaillit en pensait à ce que Plume endurait. Et puis l'inquiétude prit rapidement le dessus. Si vraiment Plume entendait et voyait Methis comme elle le lui disait, il y avait de bonnes raisons de s'inquiéter.

" Personne ne t'enfermera Plume, soit en certaine. " répondit-il d'une voix douce.
Le jeune homme continua la partie comme s'ils étaient en train d'aborder un sujet banal.

" Depuis quand vois-tu et entend-tu Methis ? Depuis que tu as été libéré de son emprise ? Est-ce que globalement tu pourrais dire que ça va en s'arrangeant ? " demanda-il, réellement intéressé.
Puis il sourit.
" Excuse-moi avec mes questions, je ne veux pas te mettre mal à l'aise. Tu n'es pas obligé de répondre. Mais puisque tu as abordé le sujet, j'aimerai en savoir plus...car je vois bien que ça ne va pas. Et j'aimerai que tu puisses aller bien. "

Noa tenta de rassurer Plume en affirmant que personne n'allait l'enfermer mais c'était sans compter sa méfiance maladive. Rien ne pouvait réellement rassurer la jeune femme mais la parole du  responsable de la sécurité avait tout de même un peu de poids. Du moins, elle l'espérait. Il poursuivit ensuite la partie d'échec comme si de rien n'était en la questionnant.

Est-ce que ça s'arrangeait ? Clairement pas. Plume avait plutôt l'impression que ça s'aggravait, … quoi que, … 

"Sa voix est dans ma tête depuis l'implantation. Tout comme les cauchemars, …"

La jeune femme essayait de garder une voix calme et posée et de conserver une respiration régulière mais ce n'était pas des plus faciles.

"Mais ce n'est plus en permanence, … Aynira, … je ne sais pas comment, … les repousse. Je ne dors bien qu'avec elle."

Ce qui expliquait sa fatigue croissante lorsque la narisienne s'absentait. Plume laissa passer un long moment avant de reprendre, fixant son attention sur le jeu.

"Je ne la voyais pas avant, … indépendamment de moi, je veux dire, …"

La jeune femme avait masqué toutes les surfaces réfléchissantes de ses quartiers et prenait grand soin d'éviter toutes les autres. Elle ne regardait jamais de photo d'elle non plus. Se voir, c'était voir Méthis, et elle ne le supportait pas.

"C'est arrivé lorsqu'elle est partie la dernière fois, …"

L'esprit de la jeune femme n'arrivait pas à se concentrer sur le jeu, elle mobilisait une grande partie de son énergie à rester calme, alors elle bougea un cavalier, un peu au hasard. Aller bien, voilà une expression dont elle ignorait le sens véritable. Plume n'osait même pas espérer le comprendre un jour.

Noa joua de nouveau et leva le regard sur Plume. Cette dernière avait besoin d'être rassurée avant tout. L'angoisse faisait partie d'elle et la rongeait.
" Ecoute, je ne suis pas psychologue et je n'ai aucune connaissance réelle en neurologique mais ce que je sais, c'est que notre cerveau peut nous jouer des tours. Tu as déjà regardé des illusions d'optiques ? " demanda Noa.
Sans attendre de réponse, il attrapa son téléphone dans sa poche et fit une recherche rapide. Il choisit un site qui répertoriait 20 illusions particulièrement stupéfiantes et tendit l'objet à la jeune femme. Il lui laissa le temps de les parcourir et il se cala au fond du canapé en buvant une gorgée de vin.

" Bien entendu, ce que tu sembles voir est d'une toute autre envergure. Mais je veux seulement dire qu'on est loin de tout connaitre du cerveau humain…" ajouta t-il après quelques instants.
Il reposa son verre et regarda attentivement le prochain mouvement de Plume.
" Et... en as-tu parlé avec un médecin ? as-tu fais quelques examens médicaux ? " s'inquiéta t-il ensuite en bougeant un de ses cavaliers.

Il n'y connaissait rien, mais avoir des hallucinations visuelles n'était surement pas à prendre à la légère.