Plume ne mit pas longtemps à gagner les quartiers d'Aynira. Celle-ci n'était pas là puisqu'elle était partie quelques heures plus tôt pour une mission avec le reste de JP-2. Mais cela n'arrêta pas la jeune femme qui avait l'accès aux quartiers de la narisienne. Si sa mémoire était bonne, ce qu'elle cherchait était dans le tiroir du bureau. Aussi s'y dirigea-t-elle directement. Elle dut fouiller un peu pour en extraire une petite boîte grise qu'elle ouvrit doucement. A l'intérieur, trois comprimés transparents. La fameuse pilule narisienne qui devait lui donner une pleine maîtrise de ses capacités cognitives. C'était à double tranchant. Si elle gagnerait, d'après Aynira, la capacité de bloquer les souvenirs qu'elle souhaitait et contrôler chacun de ses signaux physiologique, elle aurait également une conscience accrue de tout ce qui l'entourait et de tout ce qu'elle avait vécu. Dans son cas, cette perception s'étendrait également à la vie du goa'uld qui avait pris possession d'elle durant trois ans. Cette perspective l'avait toujours retenue, tout comme l'effet de facilité que cela semblait représenter. Plume avait été élevé dans le mérite et l'effort. Une solution qui réglait tout ses problèmes d'un seul coup sans effort lui paraissait des plus suspects mais, alors que le cannabis se répandait dans son organisme, cela ne la dérangeait plus autant.
Il ne se passait rien. Quoiqu'on ait pu lui dire sur cette pilule ça ne devait pas fonctionner sur les non narisiens. Il s'écoula quelques secondes avant que son cerveau ne soit soudainement assailli par des informations. Le vrombissement subtil du générateur de la station qui résonnait à travers les parois, les traces d'usures des murs, le froissements de son tissu et les défauts de son tissage furent autant d'éléments dont elle prit soudainement conscience. Les étiquetages de chaque flacons, la moindre note et la moindre information disponible s'entassèrent dans son cerveau déstabilisé par l'expérience. Sans doute embrumé par l'opiacé qu'elle avait pris son cerveau traitait dans le désordre chaque information et sans doute plus lentement qu'il n'aurait dû le faire avec le produit. La lumière cru des quartiers d'Aynira se tordit pour devenir une mosaïque colorée dansante. Des souvenirs agréables commencèrent à refaire surface dans son esprits. Elle commença à se souvenir de choses et de visages qu'elle pensait oublier. Tout son passé positif et ses expériences remontèrent à la surface de manière incontrôlée.
Des questions métaphysiques sur des détails insignifiants commencèrent à germer dans l'esprit de la jeune femme. Est-ce qu'elle garderait ses pensées pour elle ou les partagerait avec le reste de la station pour leur apporter sagesse et lumière ?
Plume ne put s'empêcher d'être quelque peu déçue. Elle s'attendait à un changement radical, d'après ce que lui avait dit Aynira, mais rien ne se produisit. Elle allait sortir des quartiers de la narisienne lorsqu'un son étrange lui fit tourner la tête. D'où pouvait venir ce vrombissement étrange ? Y avait-il un objet ici qui n'avait pas été éteint ? Mais le bruit semblait venir des murs. En s'en approchant, la jeune femme se rendit compte de l'état de propreté toute relative des cloisons. Elles avaient l'air bien plus usées et sales que d'habitude. Puis, ce tout un tas de chose lui vint en tête en même temps. Le tissus de son t-shirt frottant contre celui de sa veste, le bruit que faisait le caoutchouc de ses chaussures lorsqu'elle courbait légèrement le pied pour avancer, les bruits, puissants, de son coeur battant dans sa poitrine et les échos des conversations extérieures. Sa vision également se troubla. Elle voyait des tâches colorées partout, comme des millions de fractales flottant autour d'elle.
Tout se superposa à son esprit de façon anarchique et se mélangea avec ses souvenir de la veille, de la semaine passée et même de toutes ces années de vie. Elle se revit, souriante, courant derrière un insecte volant dans ce qui ressemblait à un jardin coloré. Elle avait alors deux ans, trois mois et douze jours et se trouvait dans le terrain derrière la maison de ses parents. Ses parents. Elle revoyait leurs visage ce jour-là, se souvenait du son de leur voix. Qu'ils étaient beaux. Mais, il y avait quelqu'un d'autre. Des cris. Non, des pleurs. Lysaer, son petit frère. C'était son anniversaire. Il venait d'avoir un an et réclamait son biberon. Plume sourit lorsqu'elle finit par attraper l'insectes aux six ailes colorées et qu'elle apporta ses mains jointes devant son frère qui s'arrêta instantanément de pleurer. Lorsqu'elle ouvrit les mains et que l'insecte s'envola, virevoltant devant Lysaer, l'enfant se mit alors à rire et tout le monde rit avec lui.
Un souvenir en entraîna un autre, puis un autre, jusqu'à ce que tous ces moments qu'elle avait partagé avec son petit frère se superposent sans aucun sens et qu'ell ene puisse plus différencier les uns des autres. Elle ne se demanda pas ce qu'il était devenu de Lysaer ni si sa naissance avait un lien avec son abandon à elle. Elle ne se demanda pas si cela avait été dur pour ses parents de la vendre ou s'ils l'avaient même regretté. Son esprit se focalisa sur les souvenirs agréables jusqu'à ce qu'à ce que son esprit passe à autre chose. Des détails de son environnement attirèrent son attention. Des vêtements mal rangés, des CD, des objets narisiens et d'autres offerts par Plume traînaient un peu partout. Il y avait, à chaque endroit de la pièce, l'empreinte d'Aynira. Elle vivait ici, c'était indéniable. Mais Plume savait qu'elle vivait aussi dans son appartement de Colorado Springs, et sur Narisa, sa planète natale. Alors où était réellement la maison de la narisienne ? Qu'est-ce qui déterminer le "chez soi" dont tout le monde parlait ? L'endroit où l'on avait grandi ? Celui où l'on était né ? Celui que l'on occupait à l'instant t ?
Ce fut avec ses questions pleins la tête que Plume ouvrit la porte des quartiers d'Aynira et se retrouva dans le couloir. Elle erra au gré des couloirs, cherchant quelqu'un qui pourrait répondre à sa question. Elle arrêta un premier soldat qui passait non loin d'elle.
"Qu'est-ce qui définit notre foyer ?"
Le militaire la regarda d'un air étrange et poursuivit son chemin sans un mot. Loin de se décourager, Plume continua d'arpenter les couloirs de la station pour questionner ceux qu'elle rencontrait.
Le flot d'informations, de détails et de réflexions qui envahissait l'esprit de la jeune femme ne cessait de croître. Son cerveau semblait parvenir à l'accepter sans qu'il ne surchauffe ou qu'elle ne tombe immédiatement dans le coma. Les souvenirs a priori perdus de la jeune femme lui revinrent avec une extrême clarté.
Face à ses interrogations le premier militaire qu'elle avait croisé lui avait à peine adressé un regard avant de poursuivre son chemin. L'homme grisonnant avait rejoint un autre groupe de soldat en se demandant sincèrement ce qu'il était advenu du programme exemplaire du SDT. Il disparut au coin de couloir en se demandant quand cette station était devenue une salle de shoot pour junkies spatiaux.
Deux silhouettes se profilèrent dans le couloir où se trouvait Plume. Il s'agissait d'un homme et d'une femme dans la cinquantaine, académiciens à en juger par leurs manières, l'état de leurs mains et surtout d'après les badges qu'ils portaient. Sur celui de l'homme, à la couleur de peau olive et légèrement dégarni, il était inscrit Professeur Eddy Malou. Le professeur Malou portait une blouse bleue, légèrement usée et démodée, elle couvrait un costume bon marché et surmonté d'un nœud papillon aux étranges motifs. Son regard semblait s'amuser de tout. Le badge de la femme trahissait ses origines allemandes, Emma Karzer dépassait son collègue d'une tête et son âge respectable ne semblait avoir en rien affecté sa silhouette. Elle portait un tailleur de marque et semblait dans l'ensemble plus soignée. Ils semblaient tous deux en grande discussion :
" Mais oui c'est clair. Tout ceci est issu de la concentration, de la ver-ti-ca-li... "Il marqua un temps de pause dans sa phrase en s'approchant de Plume. Les deux scientifiques échangèrent un regard." Madame, est-ce que tout va bien ? " Le professeur Karzer observait la jeune femme d'un air plus sévère. Elle fronçais les sourcils en détaillant son expression. Après quelques secondes elle sortit une petite lampe de sa poche de veste et éclaira le visage de Plume.
" Fascinant ! J'ai d'abord cru que cette jeune femme était sous l'effet de stupéfiants mais la réaction de ses Iris est beaucoup trop rapide pour ça. Beaucoup trop rapide pour quelqu'un de pleinement éveillé même. Et elle ne démontre aucun signe de nervosité. " " Ce que je trouve fascinant c'est la question qu'elle se pose ! " " Ho Eddy s'il te plaît... " " Mais qu'est-ce qu'un foyer ? Comprenez vous le foyer c'est le feu, c'est la chaleur, cette chaleur qui vous enveloppe et qui vous réconforte, qui vous apaise et qui vous soigne l'esprit et le corps. Après tout c'est au foyer que l'on se réchauffe et que l'on se repose. Mais le foyer c'est également la consommation, la consommation oui du bois et des insectes qui sont inexorablement et horizontalement attirés par cette lumière. La lumière qui nous éclaire et qui nous permet d'avancer dans la vie, car sans lumière on ne voit rien et alors on trébuche et on se cogne et on se fait mal. Le foyer c'est donc la consommation des bien et de la vie, mais la nécessité de l'avoir pour avancer et se reposer. " " J'espère que vous êtes contente de vous et de votre question ? Il va y en avoir pour des heures. " " Mais le foyer ! Pensé dans une autre dimension, pensé verticalement c'est une maison avec plusieurs étages bien sûr..."
Il fut coupé dans son élan par l'alarme soudaine signalant le déclenchement de la Porte des Etoiles. Plume put distinctement en percevoir chacune des notes plutôt qu'un cri strident. Les deux annonces suivirent, si la première fut très professionnelle la seconde annonce trahissait toute l'anxiété dans sa voix. C'était du moins perceptible pour quelqu'un avec les sens aussi développé que Plume à cet instant.
Lorsque deux scientifiques passèrent à sa portée, Plume s'apprêta à leur poser la même question qu'au militaire mais fut coupée dans son élan par une femme qui sortit une petite lampe. Elle se laissa ausculter sans bouger tout en posant sa question.
"Et bien en fait, si, mais on dirait que leur effet n'est pas le même sur moi que sur vous autres, terriens."
La jeune femme n'eut pas le temps d'en dire plus et écouta attentivement la réponse de l'homme. Enfin quelqu'un qui prenait le temps de lui répondre et le faisait sérieusement.
"Alors ce n'est pas forcément un endroit physique ? Et si on vit dans plusieurs endroits, comment définir celui que l'on appelle "chez soi" ?"
La question l'intéressait réellement et, à mesure que l'homme poursuivait son discours, ses mots firent sens dans son esprit et résonnèrent avec un million d'autres choses, créant des connexions en temps réel. La chaleur réconfortante, la lumière, l'apaisement. Elle-même n'avait connu cela qu'une seule fois. Elle était en mesure de définir son foyer maintenant. Mais qu'en était-il de sa question initiale ? Quel était celui d'Aynira ?
Une mélodie étrange coupa une nouvelle fois ces réflexions. Elle les laissa donc en arrière plan dans un coin de son esprit et se focalisa sur le message provenant des hauts parleurs et plus particulièrement sur les intonations de la voix qui s'exprimait. Celle de Gary.
"Quelque chose ne va pas. Je vais aller voir. Merci pour vos réponses. J'espère que l'on pourra poursuivre cette discussion plus tard."
Sur ce, Plume tourna les talons et emprunta les escaliers pour rejoindre le premier pont.