Hey, Docteur disco !

D’un pas léger, Nadira sortit de son bureau, écouteur vissé aux oreilles, un morceau de pop rock japonais diffusé a tue-tête. Tout en lisant un rapport, elle se laissa aller malgré elle à marmonner quelques paroles…

sakura no hanabiratachi ga saku koro
dokoka de kibou no kane ga narihibiku
watashitachi ni asu no jiyuu to
yuuki wo kureru wa

Xinan boudait toujours, depuis le retour de la mission de JP1 et de vieille habitude, perdue dans la symbiose avec ce vieux bougon revenait à toute vitesse. S’il ne s’était pas réveillé ce weekend, elle comptait bien faire une fete de tous les diable… peut être même retourner à Vegas…

Elle ne faisait tellement pas attention qu’elle faillit percuter un patient matinal qui attendait sur un lit…

« - Oh bonjour Zander, dit-elle en enlevant ses écouteurs. Tu es en avance. »

Elle fronça les sourcils en constatant que le pilote n’avait pas l’air dans son assiette. Un infirmier se rapprochait avec un plateau roulant sans doute pour lui changer son pansement. Nadira lui fit signe qu’elle s’en occuperait elle-même
« - Mauvaise nuit ? demanda-t-elle Avec ce qu’on a traversé, ce n’est pas si étonnant »

Elle tira le rideau du box pour leur donner un peu d’intimité et lui fit signe d’enlever sa chemise pour inspecter son bras blessé

« - Ca cicatrice bien, constata-t-elle Je te met un pansement plus petit et t’en auras pas besoin d’ici un jour ou deux. Tu te sens comment ? »

Elle en avait une petite idée, mais il fallait bien amorcer la conversation.

Zander sursauta en entendant Nadira et retint un soupir d'agacement en réalisant qu'il avait failli s'endormir. Il se rassit sur le lit.

« Bonjour. Ah oui, j'étais debout et je n'avais rien de mieux à faire, alors je me suis dit que je pouvais venir. » répondit-il.

Il grimaça à sa remarque. C'était un euphémisme. Si seulement ce n'était que la mission qui provoquait ses insomnies, ce serait tellement plus simple. Mais il soupçonnait fort que ce ne soit pas le cas.

« Mauvaise nuit... Oui, on peut dire ça. » fit-il.

Il enleva sa chemise et laissa Nadira s'occuper du pansement en silence. Il se contenta d'hocher la tête d'un air absent quand elle l'informa de l'état de sa blessure.

Il savait que sa question suivante était purement rhétorique. Il ne pouvait pas répondre bien vu que sa tête affichait clairement le contraire. Il caressa pourtant pendant quelques secondes l'idée de ne pas répondre ou justement de dire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, en dépit du contraire. Il soupira. À part se mettre Nadira à dos, il ne tirerait pas grand-chose à se braquer et cela ne l'aiderait pas non plus.

« Pas terrible à vrai dire, mais je crois que ça se voit, non ? Cela fait plusieurs jours que je dors mal. Je passe la moitié de ma nuit à ne pas dormir et à tourner en rond. Et quand je dors, je suis réveillé au bout de quelques heures par des cauchemars, genre Nadja qui se fait guillotiner. Ça ne favorise pas vraiment une bonne nuit de sommeil. »

Il remit sa chemise et se rallongea sur le lit en réprimant un bâillement.

« J'ai perdu l'appétit aussi et j'ai du mal à manger. J'ai même été malade cette nuit après être allé au réfectoire pour me restaurer, mais je ne sais pas s'il y a un lien entre les deux, car c'est la première fois que ça arrivait. »

Il se passa une main sur le visage avant de regarder le plafond.

« Je sais pas pourquoi, j'ai tendance à avoir du mal à me concentrer aussi... » dit-il d'une voix lasse.

Zander n’était pas très en forme mais il ne se fit pas trop prier pour répondre a ses questions. IL lui parla de ses mauvais rêves ce que Nadira comprenait plutôt bien.

« - Entre nous, je n’ai pas totalement digéré non plus cette histoire de guillotine, confia-t-elle en se passant machinalement la main sur le cou. »

Elle sentait encore parfois les gouttes de sang frais couler  le long de sa nuque. Mais il y avait autre chose dans les rêves du pilote et elle sourit un peu en l’écoutant.

« - Pour un peu, on croirait que tu te laisse dépérir en l’attendant. Mais je suppose que ton bracelet y est pour beaucoup. »

Ce qui l’embêtait un peu plus. Elle prit le temps de prendre la tension du pilote et d’écouter son cœur longuement. Rien d’inquiétant même si tout ça était un peu élevé.

« - Tu permets ? »

Avec son autorisation, elle effleura le métal et se concentra dessus. Même avec Xinan aux abonnés absent, elle pouvait sentir la vibration énergétique de l’artefact et son lien, distendu avec son jumeau.

« - Je ne peux pas t’assurer qu’elle va bien, mais en tout cas, elle est en vie. Le lien entre vous est actif. Très actif même. Il est tout a fait possible qu’elle ressente les mêmes symptômes que toi à l’heure qu’il est. »

Elle se demanda si à terme ils pourraient contrôler ces sensations et peut être même communiquer… Voila qui pourrait être des expérience intéressante à mener.

Zander grimaça en entendant l'hypothèse de Nadira, mais qui confirmait ses soupçons.

« Je te rassure tout de suite, je ne me laisse pas dépérir. Je n'en suis pas à ce point-là. Je ne crois pas que Nadja apprécierait de me retrouver transformé en zombie décharné, tout ça pour ses beaux yeux. Non, c'est ce foutu truc me fait dépérir. Je n'ai rien demandé, moi. » dit-il soudain agacé en désignant le bracelet.

« Crois-moi, je préfèrerais pouvoir bien dormir et manger correctement. À long terme, cela pourrait être dangereux pour ma santé et je pourrais même représenter un danger en mission si nous devions repartir demain… J'aurais même pu en devenir au cours de la mission précédente. » ajouta-t-il, un brin exaspéré.

Il savait que Nadira n'y était pour rien et s'en prendre à elle ne rimait à rien, mais tout cela le frustrait et la fatigue accumulée le rendait un peu plus susceptible que d'habitude. Il devait se reprendre, car s'énerver ne le mènerait à rien.

Il la laissa l'examiner, mais il se doutait que le bilan n'était pas forcément très brillant. Il en profita pour faire quelques exercices de respiration pour se calmer un peu.

Il hocha la tête pour l'autoriser à toucher le bracelet quand elle lui demanda et il écouta ensuite son verdict. Ce qu'elle disait était rassurant, mais pas complètement.

« Je n'espère pas qu'elle souffre des mêmes symptômes que moi. Cela voudrait dire qu'elle n'est pas en mesure de faire son travail au meilleure de sa forme, si elle le peut tout simplement, et je ne crois pas qu'elle apprécie. »

Il soupira. Mais au moins elle était en vie et cela allégea une partie de son angoisse latente qu'il ressentait.

« Ces bracelets vont me rendre dingues... Est-ce que ça veut dire que je vais devoir supporter tout ça jusqu'à ce qu'elle revienne ? Je suis pas sûr de pouvoir honnêtement, c'est angoissant et épuisant. » fit-il doucement, résigné.

Cette perspective ne le réjouissait pas du tout, mais il savait qu'il n'aurait de toute façon pas le choix.

Nadira écouta Zander pester contre le bracelet en hochant la tête. Oui il aurait pu être un danger pour la mission mais s’en était plutôt bien sorti au final.

« - Ca je doute qu’elle apprécie de retrouver un squelette impotent à son retour, le taquina-t-elle. Et si je devais constater que ces effets t’empêchent d‘accomplir une mission, je n’aurai aucun problème à te laisser ici. Cela dit, j’ai pu constater une chose ces derniers jours. Tu gardes la tête à peu près froide dans l’action. J’en suis arrivé à me demander si les effets ne s’interrompaient pas sous certains stimuli, comme une décharge forte d’adrénaline par exemple. »

Ca aussi, elle aurait bien aimé le tester mais il n’apprécierait sans doute pas.

Elle l’écouta s’inquiéter pour la militaire et du convenir qu’il avait raison. Une Nadja qui fondait un fusible dans l’environnement confiné d’un vaisseau spatial n’était pas quelque chose à prendre à la légère. Elle avait toujours semblé mieux résister que Zander aux effets de leur bracelet mais ca ne voulait pas dire grand-chose. Et l’égyptienne se méfiait plus d’un barrage qui cède brutalement que d’une crue montant progressivement.

« - Je vais essayer de contacter le docteur Teoh. Il vaut mieux qu’elle soit au courant. Toi qui la connais bien, comment ta femme prendrait-elle le fait d’être mise à l’écart en cas de soucis ?"

Au moins était-il conscient de son état et de ses limites. Nadira l’écouta s’autodiagnostiquer et ne put s’empêcher de lancer un sourire espiègle à la fin de son analyse.

« - Ne t’en fais pas, je te donnerai un remontant pour son arrivée. »

Elle ne se serait jamais permit ce genre de remarque avec un autre patient, mais elle le connaissait suffisamment bien pour savoir qu’il ne s’en formaliserait pas. Après tout, sans Xinan, ça aurait pu être elle à la place de cette grande gigue.

* Sans Xinan, tu mangerais le pissenlit par la racine, Nad, alors apprécie un peu ce que tu as. »

Il lui confirma l’effet « positif » de l’adrénaline sur son addiction mais effectivement, il ne pouvait pas rester dans un tel état indéfiniment.

« - Pas simple d’avoir une compagne au front, je suppose. Bracelet ou pas, tu te feras toujours du souci pour elle à chaque fois qu’elle sera en mission. Je ne sais pas où vous en êtes tous les deux mais il vous reste au moins six mois à passer ensemble. Il va falloir que tu trouves le moyen de gérer ça. Il y a pas mal de couple ici ou à Colorado Springs, tu devrais leur en toucher un mot. »

La réponse qu’il donna sur l’état d’esprit du Chef Cook lui sembla logique. Elle obéirait, de mauvaise grâce, mais elle le ferait. Vivre avec cette fille devait décidément être une expérience étrange…

Elle allait reprendre quand Xinan lui envoya une image très imaginative et franchement érotique du sergent qui la fit sursauter.

*- Non mais ça ne va pas, vieux pervers ! J’aurai très bien pu être sa grand-mère !*

Zander sourit pour la première fois de sa visite à la réplique de Nadira.

« Je ne crois pas que j'aurai besoin de quoi que ce soit dans ce genre-là, peu importe mon état quand elle rentrera. » répondit-il du tac au tac.

Puis il secoua la tête et soupira de frustration. À ses yeux, Nadira tirait de mauvaises conclusions. Il n'était pas dans ses habitudes de s'en faire pour quelqu'un d'autre ni de penser que cela pouvait l'affecter de manière démesurée et il ne lui avait pas vraiment traversé l'esprit de demander à d'autres dans la même situation comment ils faisaient pour gérer la situation. Et même s'il avait voulu poser la question, il ne voyait ni à qui s'adresser ni comment aborder le sujet, comme elle le suggérait.

« Je ne m'inquiète pas vraiment pour elle. Enfin, si, un peu quand même. Mais elle est parfaitement capable de se défendre et de s'occuper d'elle toute seule, bien plus que moi, en tout cas. Puis sa mission ne semblait pas particulièrement dangereuse. J'imagine que cela aurait été différent si elle était partie sur une zone de combat. » admit-il en haussant les épaules. « Mais elle me manque... » ajouta-t-il tout bas.

Néanmoins, ce qu'il ressentait lui semblait vraiment disproportionné. Il était fermement convaincu que les bracelets n'avaient pas que des répercussions physiques, mais qu'ils affectaient aussi ses émotions en les amplifiant et ce, depuis le départ. Il n'avait jamais été particulièrement émotif, mais depuis qu'il avait cette chose autour du poignet, il avait la nette impression d'être régulièrement à fleur de peau. Il redoutait de finir par craquer à nouveau passé un certain stade de fatigue accumulée.

« Mais cette angoisse, c'est autre chose. Ça ne devrait pas être aussi intense dès que je ne fais rien ou je pense à elle, pas après si peu de temps  de séparation en tout cas. Je ne suis pas du genre à me rendre malade d'inquiétude. » fit-il observer.

Enfin, il ne le pensait pas en tout cas et cela lui semblait anormal. Il ne pouvait qu'espérer que tout cela s'atténuerait au fil du temps en même temps que les effets du bracelet.

« Sinon, les dix mois restants vont être intéressants à chaque fois que nous serons séparés parce qu'elle sera en mission. Mais rien à faire pour lutter contre ça j'imagine ? Je dois juste prendre sur moi en attendant qu'elle revienne ? »

Nadira éclata de rire en l’entendant lui répondre. Même épuisé et malade, il lui restait de l’humour, c’était plutôt bon signe. Et l’attirance qu’il ressentait pour la militaire ne lui semblait pas induite uniquement par le bracelet. C’était inespéré mais heureux.

Il lui expliqua ensuite qu’il n’était pas inquiet pour son épouse, combattante experte. Il n’avait pas forcement tort, évidement, mais elle n’y croyait qu’à moitié. Enfin au moins était-il assez lucide pour avouer qu’elle lui manquait.

« - C’est une bonne chose, je trouve. Apres un mariage aussi… hasardeux… vous auriez pu vous écharper à longueur de journée. Qu’elle te manque à sa première absence, c’est vraiment bien. »

La suite lui fit froncer les sourcils. Etait-il possible qu’il ressente un feedback en provenance de Nadja ? Cela ramenait à la théorie qu’elle avait évoquée précédemment sur les échanges émotionnels. Mais ça n’était pas encourageant sur la mission de l’Achille.

« - Tu n’as pas moyen de savoir si cette angoisse provient des bracelets ? Ou de plus loin ? »

Pas sûr qu’l puisse faire la différence. La question qui suivit la fit soupirer.

« - Il faudrait que vous travaillez ensemble pour assouplir ce lien. Ou au moins le rendre plus supportable. Parce que sinon, oui ça va être compliqué à gérer. En attendant, tu vas prendre la journée pour te reposer, et je t’attends demain matin pour reprendre le boulot ici. Sauf si les choses se compliquent entre temps évidement. »

Si elle lui demandait de prendre plus de temps pour lui, il allait tourner en rond en rond sur son vaisseau. Autant qu’il travaille et échange avec ces collègues. Ca lui ferait du bien.

Zander hocha la tête. Leur relation n'était pas vraiment partie de la meilleure manière qui était, c'était certain. Et son comportement au Nouvel an avait failli y mettre un terme pour de bon. Mais cet incident lui avait permis de réaliser certaines choses et d'en d'aplanir d'autres et depuis, leur relation évoluait doucement et sûrement dans la bonne direction, mais tout ne se ferait sans doute pas sans accroc.

« J'imagine que oui, c'est une bonne chose. Je n'ose pas penser à comment nous gérerions la situation si nous ne nous entendions pas du tout. Ça ne serait agréable pour personne. »

Il soupira quand elle lui demanda s'il savait d'où venait cette angoisse.

« Non, je n'en sais rien. Les bracelets me jouent tellement de tours que je ne sais jamais très bien ce qui vient vraiment de moi ou ce qui est induit par les bracelets. »

Il aurait vraiment aimé être en mesure de faire la distinction, mais pour l'instant, il avait décidé de faire avec et de voir où cela le mènerait.

« Après, c'est la première fois que nous sommes séparés de la sorte et nous n'avions aucune idée d'à quoi nous attendre et de ce qui nous allait nous arriver. Puis je pense, enfin j'espère, que ce sera plus facile la prochaine fois, vu que les effets des bracelets sont censés aller en diminuant au fil du temps. Il devrait donc en aller de même de ce que nous ressentons quand nous sommes éloignés l'un de l'autre, non ? Et puis ça pourrait être pire, il me semble. »

Il soupira à nouveau quand elle lui donna sa journée. Au moins, elle ne l'avait pas mis à pied jusqu'au retour de Nadja, et c'était beaucoup mieux ainsi. Il n'était pas certain qu'il supporterait la situation s'il devait rester à ne rien faire pendant une durée indéterminée, à part tourner en rond et retourner tout ça dans sa tête. Non, il préférait être occupé.

« Me reposer ? C'est pas gagner, mais je vais essayer. » dit-il en se levant.

Il la salua et sortit de l'infirmerie pour regagner ses quartiers, se demandant ce qu'il allait bien pouvoir faire du reste de sa journée.