Allo maman...

Ce matin-là, Mei faisait passer la visite médicale réglementaire aux nouveaux membres du personnels. Elle venait de terminer le troisième, un nouveau préposé aux cuisines, quand elle aperçut Nadja qui lui fit signe. Sa tête lui tira un sourire. La nuit avait dû être agitée.

« Bonjour. Bien sûr. Nuit difficile ? Et je n'ai pas besoin de connaître tous les détails, je te remercie. » lui dit-elle et en lui faisant signe de s'asseoir.

Elle écouta ce qu'elle voulait et fronça les sourcils. Elle comprit de quoi il retournait et la demande était tout à fait logique au vu des circonstances. Mais l'implant, en revanche, était une nouveauté. Elle consulta son dossier et effectivement, il n'y avait rien dessus ou sur un quelconque moyen de contraception.

« Tu parles de quel implant au juste ? Je ne me souviens pas qu'on t'en est posé un pour ce genre de choses… À moins que tu ne te sois adressée à quelqu'un d'autre qui aurait oublié de l'inscrire dans ton dossier. Si c'est le cas, le coupable va m'entendre... » l'informa-t-elle.

Et puis elle allait devoir lui parler de ses derniers mots de la veille également, même si cela relevait plus du domaine personnel que professionnel et que cela n'avait pas forcément d'intérêt médical. Et rien ne disait que Nadja allait lui répondre de toute façon.

« - Ca se voit tant que ça ? Commença Nadja en rougissant jusqu’aux oreilles. »

Elle s’installa sur la chaise et secoua la tête en souriant.

« - Non, je ne suis pas la pour te raconter les choses par leur menu. Pas mon truc. Disons simplement que j’ai passé une bonne nuit et que j’ai bien l’intention de recommencer. Du coup, faut que je sois un minimum prudente.

La surprise de Mei lorsque elle évoqua son implant lui fit hausser un sourcil.

« - Bah mon implant médical. Celui qu’on t’implante quelques jours après ta naissance et... »

Elle s’arrêta alors que la compréhension se faisait doucement dans son esprit. Mais pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? C’était pourtant totalement si on y réfléchissait deux secondes.

« - Ca existe pas encore, hein ? Merde, j’aurai du y penser toute seule. Ça a du être généralisé pendant la diaspora, pour que n’importe quel médecin puisse connaître immédiatement les antécédent de son patient. Mais vous en avez pas encore besoin, pas vrai ? »

Elle se leva et se tourna tout en remontant légèrement son uniforme. En y regardant de plus près, Mei pouvait voir un léger renflement sur son coté gauche un peu en dessous d’un rein.

« - Et c’est aussi lui qui verrouille notre fertilité. Mais il faut le faire recharger tous les dix-huit mois en moyenne. Et je dois pas en être loin. »

Mei lui fit un grand sourire.

« Ça se voit très légèrement, oui. » lui répondit-elle.

Elle attendit que Nadja ait fini de lui expliquer de quel implant elle parlait. Puis elle observa l'endroit que lui désignait Nadja et passa son dessus. C'était donc ça qui apparaissait sur les radios...

« Non, ça n'existe pas encore. Cependant, ça serait drôlement pratique pour nous autres médecins, je l'avoue. Donc, si je comprends bien, l'intégralité de ton dossier médical est stocké sur cet implant ? Si c'est le cas, il va falloir trouver un moyen d'y accéder pour que nous puissions récupérer les informations qui s'y trouvent. Même si tu ne viens pas de la même époque, il y a des informations qui pourraient nous être très précieuses concernant tes anciennes blessures et maladies, mais aussi les drogues qui t'étaient injectées. » expliqua-t-elle.

Sans compter que suivant ce qu'il y avait exactement dessus, ils seraient peut-être en mesure d'arriver à les reproduire. Le Dr Garett serait probablement aux anges de pouvoir mettre la main sur ce genre d'informations et de se pencher sur la question.

« Pour en revenir à ton problème, il va falloir songer à une autre solution plus dans l'air du temps. Nous avons une technologie similaire d'implant contraceptif. Est-ce que tu as une idée des produits qu'ils utilisent et les dosages ? Ce serait plus simple de le savoir, car nous pourrions essayer d'en adapter un spécifiquement pour toi. Sinon, je vais t'expliquer les autres options et il faudra probablement quelques essais pour trouver ce qui te correspond le mieux. »

Elle lui fit donc un topo complet sur les méthodes du moment, avec les avantages, les inconvénients et les effets secondaires. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas expliquer ce genre de choses et elle ne s'imaginait pas avoir à le refaire ici. Quand elle en eut terminé, elle se leva et alla chercher une boîte dans un des placards.

« Et ceci, c'est pour ton mari. Parce que lui aussi peut faire en sorte de limiter les risques. J'espère qu'il a été briefé là-dessus, sinon je suis certaine que le Dr Garett se fera une joie de lui expliquer. Ou sinon, il peut toujours regarder sur Internet. Si vous utilisez une double protection, les risques sont pour ainsi dire quasi nuls. Mais c'est à vous de voir. » termina-t-elle en lui donnant la boîte.

« Si tu es sûre qu'il te reste un peu de temps, je peux te laisser réfléchir un jour ou deux pour prendre une décision. Il faudra aussi que nous discutions avec un spécialiste informatique pour voir s'il peut accéder à ton implant. Est-ce que tu as des questions ? »

A sa grande surprise, son implant n’avait pas d’équivalent ici. Mais c’était logique et elle se maudissait de ne pas y avoir pensé plus tôt.

« - Je me sens idiote de pas t’en avoir parlé avant. C’était tellement évident pour moi… Mais oui ça serait bien d’en trouver la clé. J’ai pas la moindre idée de la complexité de la chose hein. Je suppose qu’il y en a un minimum pour éviter que ces informations ne tombent entre de mauvaises mains. Mais bon d’un autre coté, ça doit pas être trop compliqué non plus pour être faciliter le boulot des doc en cas d’urgence. »

La question suivante la fit sourire.

« - Pas la moindre idée. Je sais juste que ça marche et que nous en avons tous un. Homme et femme je veux dire. »

Elle lui fit ensuite la leçon sur comment les choses se faisaient a cette époque et ça lui donna le vertige. Que ça pouvait être compliqué ! C’était bien des terriens d’inventer vingt cinq solutions pour arriver à la même chose. Elle empocha la boite en ayant une assez bonne idée d’à quoi sa pouvait servir et curieuse de la réaction de Zander quand il verrait cela.

« - Oui j’aimerai autant qu’on essaye de le décrypter ? Tu trouveras peut être le moyen de le recharger. Sinon, on envisagera une de ses solution archa… de ton époque. »

Et ca n’était pas son premier choix, ça se voyait clairement.

Mei secoua la tête. Elle n'était pas surprise que Nadja n'ait pas pensé à ça. Si c'était une technologie courante à son époque, elle ne savait pas forcément depuis quand ou s'imaginer que cela ne puisse pas exister.

« Ce n'est pas grave. Je vais chercher les meilleurs spécialistes en informatique et piratage, qu'ils soient ici ou sur le JPS et je leur demanderai de se pencher sur le problème. Ceci dit, cela pourrait prendre du temps avant qu'ils y arrivent et je ne suis pas certaine de comment ils vont procéder. Ils pourraient avoir besoin que tu restes avec eux pour qu'ils puissent faire leur test. Ou alors, il faudra leur remettre l'implant lui-même si cela prend trop de temps. » dit-elle.

Elle secoua la tête à la réponse suivante.

« Je m'en doutais. Je posais la question au cas où. Quand tu dis même les hommes en ont un, tu parles de l'implant de manière générale ou a-t-il aussi une fonction contraceptive pour eux ? À l'heure actuelle, un truc pareil n'existe pas encore, même si une pilule pour homme devrait bientôt débarquée sur le marché… Cela devrait changer beaucoup de choses. » lui expliqua-t-elle.

Elle vit clairement que les options qu'elle lui proposait ne l'enchantait pas vraiment, mais elle n'avait rien d'autre à lui proposer.

« Archaïque, archaïque… Tu te rends compte que c'est aussi ton époque maintenant, pas vrai ? Il faut vivre avec son temps. Mais promis, je vais faire tout mon possible pour passer par ta technologie futuriste. Et réfléchis aux autres options en attendant. Et discutes-en avec M. Hayes. Il est aussi concerné. À moins qu'il ne s'intéresse pas à la question. »

Elle imaginait bien qu'ils n'avaient pas encore aborder ce sujet-là, ayant d'autres chats à fouetter pour le moment, mais ils allaient devoir le faire à un moment ou à un autre. Maintenant qu'elles en avaient terminé avec l'essentiel, elle décida d'aborder l'autre point qui l'intéressé. Elle avait semblait secoué la veille, mais elle ne savait pas si c'était uniquement à cause de cette histoire de bracelets ou si ce mariage mal terminé y avait joué un rôle ou pas. Elle savait simplement d'expérience que souvent, parler des choses douloureuses étaient bénéfiques, même si ce n'était pas toujours facile. Dans tous les cas, elle ne perdait rien à lui poser la question.

« Hier tu m'as dit que tu avais été mariée. Est-ce que tu peux me parler de ça ? Tu n'y es pas obligée, bien sûr. Et on peut faire ça ailleurs qu'ici, dans mon bureau par exemple, si tu préfères. » lui proposa-t-elle. Au moins, là-bas, personne d'autre ne pourrait entendre ce qu'elle avait à dire.

« - Avec le paquet de tête d’ampoule qui y a ici, je doute que ca prenne très longtemps. Dis leur que je serai à leur disposition. Mais j’aimerai autant que l’implant reste la ou il est. Et oui, c’était pour homme et femme. Comme tu disais tout à l’heure, une double protection, c’est encore mieux. Maintenant si ça existe pas ici en ce moment et que tu veux commercialiser le truc, je prend trente pourcent.»

Son sourire s’évanouit quand Mei revint sur sa déclaration d’hier. Elle n’avait pas vraiment envie d’en parler. D’un autre coté, le médecin était la personne qui lui était la plus proche depuis son arrivée et la mettre au courant était peut être ne bonne idée. A la réflexion, elle préférait en parler à l’asiatique qu’au psy de bord en qui elle n’avait qu’une confiance limité.

« - J’espère que t’as du café alors. Et oui je préfère très largement ton bureau. »

Quelques minutes plus tard, elle se retrouvait dans un bureau que Nadja commençait à bien connaître, une tasse de café en main. L’ex marine cherchait comment commencer son histoire en regardant le fond de sa tasse.

« - Il s’appelait Jonathan, il… non, pour qu tu comprennes bien, faut que tu sache que les mecs et moi ça a jamais été la joie. J’ai eu mon lot d’aventures, mais ceux qui ont compté, y en a pas eu beaucoup. Un infirmier sur le Schwarzenegger, mon premier vaisseau. J’avais dix neuf ans, j’étais, dingue de lui et il est mort quand l’infirmerie à reçu un tir direct. Après, il y a eu... le capitaine d’un vaisseau expérimental ou je servais. J’ai finit par comprendre après plusieurs mois qu’il se servait de moi, que j’étais une sorte de trophée… un vrai sale type. Et puis il y a eu John. Au début j’étais sa prisonnière. J’avais échoué sur une colonie dont personne n’avait jamais entendu parler. C’est lui qui m’a interrogé, plutôt rudement. Mais avec le temps, nos relation ont évolué et on en est venue à s’estimer, puis à s’aimer. »

Elle s’interrompit un moment, guettant la réaction du médecin. Personne n’avait compris réellement leur relation, même ses parents ou ses amies. Difficile de comprendre comment on peut en venir à aimer un homme qui vous brisé plusieurs os.

« - Ça aurait pu durer. J’avais renoncé a tout. La guerre, ma famille mes amies… mais l’univers lui nous a rattrapé. Des esclavagistes ont fait un raid sur la colonie et il s’est porté volontaire pour partir avec eux, a la place d’un innocent. On s’est marié juste avant son départ. C’était le seul moyen d’assurer à notre enfant d’avoir une famille. »

L’eau avait coulé sous les ponts depuis cette histoire mais elle était toujours amère en l’évoquant.

« - J’ai été récupéré quelques jours plus tard. Je voulais me venger, le retrouver, le sauver. Mais les psy sont entré en scène. Ils m’ont expliqué que j’avais été, encore, victime d’un manipulateur. Ils m’ont fait douté… ce qui fait qu’aujourd’hui, je ne sais toujours pas si j’ai été abusée ou si ce que nous avions était réel. »

Mei rit à sa demande de pourcentage, mais l'idée de développer une telle molécule était bonne. Sauf que ce n'était pas son domaine et que la recherche ne la passionnait pas vraiment.

« Oui, j'aimerais aussi éviter d'avoir à le retirer, donc on va faire en sorte de ne pas en arriver là. »

Elle regarda Nadja réfléchir pour savoir si elle allait lui répondre ou non. Elle hocha la tête quand celle-ci finit par accepter, à condition d'aller dans son bureau et d'avoir une tasse de café.

Elles finirent par s'installer aussi confortablement que possible dans le bureau. Puis elle la laissa parler sans l'interrompre. La première chose qui lui vint à l'esprit était qu'elle n'avait effectivement pas eu de chance.

Pour l'infirmier, c'était triste, mais cela faisait malheureusement partie des risques à sortir avec un collègue en temps de guerre et lorsqu'on se trouvait sur le champs de bataille. Elle grimaça en entendant l'histoire du manipulateur. Il y en avait partout, mais le fait que ce soit un supérieur hiérarchique abusant d'une subordonnée aggravait les choses à ses yeux. Elle avait vu ce que ce genre d'homme pouvait faire et quels dégâts ils pouvaient causer. Ce type méritait de se faire balancer par le premier sas venu.

« Tu as eu un enfant ? » dit-elle sans pouvoir cacher sa surprise. « Qu'est-il devenu ? »

Ensuite, elle pensa instantanément au syndrome de Stockholm quand elle évoqua Jonathan, un grand classique dans ce genre de situation. Mais était-ce vraiment le cas ?

À ses yeux, ce qui lui semblait important, c'est ce que Nadja croyait. Et visiblement, les psys avaient fait un très bon travail de sape pour la faire douter de ce qu'elle avait éprouvé à ce moment-là. Peut-être l'avaient-ils d'ailleurs fait plus ou moins volontairement en pensant qu'une telle histoire n'était pas possible et que Jonathan avait forcément de mauvaises intentions à son égard... Si tel était le cas, c'était moche et pas vraiment ce qu'était censé faire un psy. En attendant, il lui semblait peu probable que les dégâts puissent être réparés. Et elle ne prétendrait même pas essayer de le faire.

« Combien de temps es-tu restée sur cette colonie ? Est-ce que Jonathan avait une raison de te manipuler de la sorte pour te garder sur cette colonie, parce qu'il avait des choses à cacher par exemple ? » lui demanda-t-elle.

Mei la laissa raconter son histoire sans l’interrompre, même si certain détail la faisait visiblement tiquer. Nadja se félicita de ne pas avoir nommer le capitaine en question. Ça n’était pas le moment de détériorer les relation qu’elle pouvait avoir avec son homologue de la station.

« - Oui, nous avons eu un petit garçon. J’étais enceinte jusqu’au cou quand il est parti, sinon je serai parti avec lui. Il est né à bord du vaisseau qui m’a récupéré et a été renvoyé immédiatement à la colonie. Je n’avais pas d’autorisation pour être mère, tu comprend ? Je ne pouvais pas le garder. La bas, au moins, il avait une famille. J’ai reçu des nouvelles, de loin en loin, mais je ne l’ai jamais revu. A quoi bon ? Ça lui aurait fait plus de mal que de bien. La seule nuit à laquelle nous avons eut droit, je l’ai passé à pleurer comme une madeleine. Tu parles d’une mère.»

Elle n’était même plus amère à ce sujet. C’était un autre de ces mauvais souvenirs, une cicatrice de plus.

« - J’y suis reste un peu plus d’un an. La période la plus longue de ma vie ou je n’ai pas eu à me battre. Je ne crois pas que John avait quoi que ce soit a cacher, mais il était seul, lui aussi. C’est d’ailleurs ce qui nous a rapproché. Il assurait la sécurité de la colonie et faisait un peu peur à tous le monde. Sauf a moi. Évidemment, je suppose que du sang neuf était bon à prendre dans une colonie qui vivait en autarcie depuis presque un siècle… j’en sais rien.»

Elle regarda dans le vide un moment avant de reprendre d’une voix un peu lasse.

« - Depuis, je me suis contenté de loosers de passages pour une nuit ou deux. Jusqu’à aujourd’hui, je veux dire... »

Mei dut faire appel à toute sa maîtrise pour rester neutre et ne pas montrer ce que lui inspirait son récit. Ce qu'elle disait à propos de son enfant la révoltait au plus haut point, autant que cette histoire d'autorisation pour avoir des enfants. Mais dans quelle société avait-elle vécu ? Cependant, elle devait se garder de juger. Elle ne connaissait pas les raisons qui avait poussé à l'application d'une telle politique. Elle décida que ce n'était pas vraiment le moment de parler de ça et qu'elle l'interrogerait plus tard pour en apprendre plus. Mais malgré tout, elle trouvait cela vraiment horrible.

« Et ça t'étonne que tu aies pleuré ? Tu venais de perdre ton mari et tu savais que tu allais perdre ton enfant. Pas franchement de quoi sauter de joie… »

Elle décida de ne pas pousser plus avant le sujet. Nadja ne pourrait plus revoir son enfant de toute façon, même si elle le voulait, donc peu importait les questions qu'elle pouvait avoir sur le sujet. Autant ne pas remuer le couteau dans la plaie, surtout qu'elle semblait avoir fait son deuil. Mais elle voulait préciser une chose importante.

« Et sache qu'ici, si jamais tu songes un jour à avoir un autre enfant, tu n'as besoin d'aucune autorisation d'une quelconque autorité. Tu es la seule à décider en la matière. Même le père de l'enfant ne peut te forcer à le garder ou non, si c'est ton choix. Bien sûr, mieux vaut pour tout le monde que la décision, quelle qu'elle soit, soit consensuelle... » lui dit-elle doucement.

Elle revint sur Jonathan avec une dernière question. Ensuite, elle arrêterait. Trop insister pouvait avoir des effets négatifs.

« Tu m'as dit que tu doutais de ce qui était arrivé entre toi et John, mais au fond de toi, et indépendamment de tout ce que les psys t'ont dit et mis dans la tête, crois-tu vraiment que l'homme que tu as aimé aurait pu te manipuler comme ça sans aucune raison ? »

Le fait de n'avoir que des relations sans lendemain et ne plus s'engager sur le long terme étaient logique après tout ce qu'elle avait vécu. Elle se protégeait pour ne plus souffrir. Ce mariage imprévu changeait les choses et il faudrait probablement la garder à l'œil. Les conséquences pourraient être dévastatrices si les choses tournaient mal entre les deux.

« Je sais que vous n'avez pas trop le choix pour le moment, mais quel est ton sentiment vis-à-vis de la situation avec M. Hayes ? Une fois que les effets du bracelet auront diminué, est-ce que tu as envie que cela fonctionne entre vous deux ? » lui demanda-t-elle.

Si elle partait déjà en ne le voulant pas du tout, c'était de mauvaise augure et n'annonçait rien de bon pour la suite. Dans le cas contraire, il fallait espérer que, même s'ils ne restaient pas ensemble à la fin de leur année probatoire, ils se quitteraient au moins en bon termes. Si pour une fois, une histoire se terminait de manière un peu plus positive pour elle, ce serait un grand pas.

Pas la peine d’être médium pour voir à quel point son histoire révoltait le médecin. Elle s’abstint néanmoins de tout commentaire, sinon de la compassion.

« - Je suppose que tu as raison.. on m’avais aussi expliqué que c’était une dépression suite à l’accouchement, que c’était normal et que je savais sinon ou étais mon devoir. Comme si j’avais eu le choix de toute façon. »

La suite lui rendit le sourire et elle nota ses informations dans un coin. Elle n’avait aucune intention d’avoir un enfant dans les prochains moi, c’était certain. La question qu’elle lui posa ensuite, elle se l’était posé bien des fois.

« - Non, je ne le crois pas. Je crois qu’il m’aimait vraiment, je veux le croire en fait. Parce que j’ai pas envie d’avoir été manipulée une seconde fois. Mais du coup, quand j’ai accepté qu’on lui mette tous sur le dos à mon retour, ça fait quoi de moi ? Je me suis laissé convaincre que je n’avais pas le choix, que c’était le seul moyen d’éviter le peloton d’exécution, que mon fils est une chance de vivre. Mais le choix je l’avais…  »

Elle tut le fait qu’elle avait ensuite pris d’assaut une planète ou se terrait l’un des plus grand criminels de son époque.

Elles en revinrent à la situation actuelle et Mei lui posa la question qu’elle redoutait le plus.

« - Il se lassera bien avant moi, lâcha-t-elle en regardant ses chaussures. C’est pas un looser lui. Quand on étais sur cette planète, un type nous a expliqué qu’il était rare que les touriste se fasse poser ce genre de bracelet. Il en existe une version pour touriste, sans effet. Je me demande a quel point c’est pas moi qui ait poussé pour avoir la version originale. Juste pour avoir un type bien, une fois dans ma vie. »

Mei secoua la tête. Elle avait bon dos la dépression post-partum...

« Dépression post-partum, hein ? C'était l'explication facile ça, pour ne pas que tu cherches plus loin. Les raisons que tu fasses une dépression ne se limitaient pas uniquement à l'accouchement, mais à tout ce qui était en train de t'arriver à ce moment-là. » dit-elle en secouant la tête.

Elle écouta la suite mais dû encore une fois se faire violence pour rester impassible. Il était évident qu'elle n'avait jamais pu obtenir de réponse pour dissiper ses doutes auprès de l'intéressé.

« C'est ça qui est important, ce que tu crois, toi, au fond de toi, surtout s'il ne t'a jamais donné la moindre raison de douter de ce qu'il ressentait pour toi. »

Imaginer qu'ils auraient exécuté mère et enfant… C'était impossible à concevoir pour elle. Comment une société pouvait-elle en arriver là ?

« Est-ce que tu risquais vraiment le peloton d'exécution avec ton enfant ? Peut-être que si les circonstances avaient été différentes, que tu n'avais pas été enceinte à ce moment-là, tu aurais pu choisir une autre option. Mais il n'y avait pas que ta vie qui était en jeu, il y avait aussi celle de ton enfant. Le choix qu'on t'a demandé de faire est l'un des pires qui soit. Et tu as choisi de sacrifier le père pour sauver le fils, et toi par la même occasion. Tu as agi en mère pour le protéger et qu'il vive, Nadja, tout en sachant que tu allais le perdre malgré tout. Si tu ne l'avais pas fait, vous seriez morts tous les deux, et pourquoi au juste ? »

Vu ce qu'elle entendait, il était vraisemblable que quelqu'un avait profité de sa vulnérabilité émotionnelle pour la manipuler, mais pas ceux qu'elle pensait. Peut-être cela partait-il d'une bonne intention pour lui sauver la vie et lui offrir une porte de sortie, mais en piétinant allègrement ses sentiments et en détruisant méthodiquement ce qu'elle avait construit pendant un an, sans vraiment se soucier des dégâts que cela causerait à long terme.

Mei fit les gros yeux en l'entendant parler de sa situation actuelle. Elle se dit que son amie avait besoin d'un bon coup de pied aux fesses, mais pas de la part du médecin qu'elle était.

« Et alors ? Être une looser te disqualifie d'office pour le droit au bonheur et les mecs bien ? Non, mais qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre… Et puis d'abord, pourquoi tu dis ça ? » lui demanda-t-elle.

Ce qui était sûr, ce qu'elle n'était pas très optimiste sur l'avenir de son mariage et ce n'était pas très bon.

« Et comment sais-tu qu'il va se lasser de toi ? Tu ignores comment cela va se terminer ou comment vous en êtes arrivés là, d'ailleurs. Il a accepté le bracelet aussi. Pour ce qu'on en sait, aucun de vous ne savait vraiment dans quoi vous vous embarquiez. Alors arrête de te triturer le cerveau pour ça. Et quand bien même ce serait quelque chose que tu voulais inconsciemment, eh bien, tu sais quoi ? Saisis cette chance, profite, vois où cela te mène et essaie de faire en sorte que ça marche si c'est ce que tu veux. Mais ne gâche pas tout dès le départ. Le résultat de cette histoire pourrait te surprendre. » lui dit-elle.

Le médecin était de plus en plus en colère contre ce qu’elle avait subi. Nadja n’avait eu aucune envie de revenir sur cette vielle histoire mal cicatrisée mais elle pouvait difficilement en vouloir à son amie d’être révoltée par ce qui lui était arrivé. Elle ne put s’empêcher de sourire, un peu tristement à ce qu’elle lui disait sur John. Elle s’était longtemps interdit de faire un tel travail, mais ça n’avait plus aucune importance aujourd’hui. Elle acquiesça à la question de la peine capitale et écouta la suite. Peu ou prou, elle avait déjà entendu les mêmes arguments à l’époque.

« - C’est à peu près comme ça que m’a été présenté à l’époque. Le premier officier du vaisseau qui m’avait récupéré était une veille amie. Je n’ai pensé qu’à mon fils à ce moment-là, et c’était bien sur la bonne décision. Mais j’ai encore du mal à me regarder dans un miroir quand j’y pense."

Elles sortirent ensuite complètement du dialogue médecin / patient pour passer au mode secouage de puce entre amies. Et Mei n’y allait pas de main morte.

« - Je ne suis qu’un trouffion, Mei, pas un officier, pas un spécialiste de je ne sais quelle technologie de pointe. Juste un trouffion corvéable à merci. Même ma présence ici est due à ça. L’important c’était l’armure et un peu de mon ADN pour prouver le tout. »

Elle avala convulsivement sa salive en entendant la suite. L’asiatique avait sans doute raison mais c’était plus facile à dire qu’a faire.

« - J’en sais rien évidemment… mais je vois vraiment pas ce qu’il pourrait me trouver. Au fond, je crois que je suis morte de trouille. De trop m’accrocher à lui et que ça se finisse encore mal. Oui je sais c’est idiot comme raisonnement mais je peux pas m’empêcher de penser à John et aux autres. J’ai envie que ça marche, crois-moi, même si je suis pas sure que contraire un homme à mes coté soit la meilleure des entrée en matière. »

Mei se demandait comment elle s'était retrouvé à devoir secouer les puces de son amie sur un sujet pareil. Elle n'était pas vraiment la mieux placée dans le domaine pour donner ce genre de leçon. Mais elle n'était pas certaine qu'il y ait quelqu'un d'autre qui puisse le faire.

« Encore une fois, et alors ? Parce que tu es troufion, tu devrais te limiter aux gens de la même catégorie ? Tu as le droit de viser plus haut, surtout si quelqu'un te plaît. Dans une relation, ça n'a aucune importance que tu sois un troufion et l'autre un amiral 5 étoiles. D'accord, les chances que tu sortes avec un amiral sont très réduites, mais ce n'est pas impossible. Il faut parfois oser et franchir les lignes établies et se décarcasser pour obtenir ce qu'on veut et ça, aussi bien au boulot qu'en amour. Si je ne l'avais pas fait, je serais toujours troufion médical de combat et pas chirurgienne et officier. » dit-elle.

Elle pouvait comprendre que Nadja ait la trouille. Leur relation ne s'était pas du tout déroulé et développé de manière conventionnelle et maintenant, ils devaient tout reprendre depuis le début, contraints et forcés. Il allait probablement leur falloir du temps pour trouver leurs marques et s'habituer l'un à l'autre.

« Tu ne sais pas ce qu'il pourrait te trouver ? Ça tombe bien, ce n'est pas à toi de décider, c'est à lui. Les voies de l'amour sont parfois impénétrables. Et puis vois le bon côté des choses, vous avez un an. Vous savez que ça va se terminer d'une manière ou d'une autre. Et puis pourquoi ça se terminerait forcément mal ? Vous pourriez tout aussi bien vous séparer d'un commun accord et rester en bons termes. Ce n'est pas forcément la fin la plus heureuse, mais ce n'est pas non plus la pire. Tout ne se termine pas forcément dans la douleur et dans le sang. Alors oui, vous n'avez pas nécessairement commencer de la meilleure manière qui soit, mais ça ne veut pas dire que cela va virer à la catastrophe pour autant. Cet incident sera peut-être juste le petit coup de pouce qu'il vous fallait pour que cette relation puisse s'épanouir. Parce que l'aurais-tu abordé de toi-même s'il t'avait tapé dans l'œil ? » lui demanda-t-elle, en en doutant fortement vu tout le discours qu'elle venait d'entendre et la façon dont Nadja se dévalorisait.

Prise sous le feu ennemi, Nadja se prit la tête dans les mains et se massa les tempes doucement. Elle aurait sans doute préféré se retrouver sur un champ de bataille avec la protection d’Emy et de quelques militaires solides plutôt que d’être ici à se faire botter le train en beauté sur ce qu’elle pouvait ou ne pas faire dans sa vie sentimentale.

Elle aurait pu lui rétorquer un certain nombre de chose mais doutait que cela ait le moindre effet. Une fois de plus, cette planète aux multiples possibilités la dépassait de très loin.

« - Halte au feu, c’est bon, j’ai pigé l’idée grogna-t-elle en levant la main. Et non, je l’aurai jamais abordé, évidemment. Pas en sachant ce que je sais de lui. Ce qu’il va devenir. Enfin ce qu’il aurait pu devenir si je n’avais pas débarqué et tout chamboulé avec ma finesse habituelle. »

Un rire un peu amer mais néanmoins franc lui échappa à ce sujet et elle reprit sur un ton un peu plus léger.

« - T’as pas tort. Et puis maintenant que j’ai la recette, rien ne m’empêchera de refaire pareil d’ici un an. Y a des mecs riches sur cette station ? Je vais peut-être me spécialiser dans les couples à durée déterminée. C’est moins risqué. »

Elle souriait ouvertement avec ces dernières paroles, assez détendue pour plaisanter à présent.

Mei regarda Nadja se prendre la tête entre les mains. En avait-elle un peu trop fait ? Visiblement un peu, vu que le sergent décida qu'il était temps de rendre les armes. Mais elle admit quand même qu'elle n'aurait jamais abordé Zander s'il n'y avait pas eu toute cette histoire. Elle préféra ne pas savoir quel aurait dû être le destin de ce dernier. Mais elle en déduisait qu'il devait jouer dans une autre catégorie beaucoup plus élevée que la sienne pour qu'elle dise qu'elle n'aurait jamais rien envisagé avec lui et qu'elle se dévalorise de la sorte.

Une petit voix lui souffla qu'elle risquait d'avoir à lui secouer les puces de temps à autre lorsqu'elle retomberait dans ce genre de discours. Une partie de cette attitude devait sûrement venir de l'armée et d'un conditionnement du type « chacun à sa place et impossible d'en sortir », mais il devait y avoir d'autres facteurs qu'elle chercherait peut-être à découvrir un autre jour. Pour l'instant, elle en avait un peu trop appris sur la société du marines et ce qu'elle avait découvert ne lui plaisait pas du tout.

Elle sourit à la réflexion de Nadja.

« Je ne sais pas pour les hommes riches. Mais y a de l'idée. Je suis sûre qu'il y aurait des volontaires pour ce genre d'arrangement. Mais commence déjà par t'occuper de celui que tu as pour cette année. Tu planifieras le suivant plus tard, si nécessaire. » lui fit-elle.

Elle se dit qu'il était temps de la laisser partir. Mais elle devait avoir trop de choses en tête avec ces différentes discussions pour qu'elle soit en mesure de se concentrer sur son travail.

« Allez, va donc retrouver ton pilote pour le reste de la journée. Si quelqu'un te pose des questions, tu n'auras qu'à dire que c'est la faute du bracelet et que tu as eu mon autorisation. » dit-elle.

Cette excuse ne marcherait probablement qu'une ou deux fois et uniquement dans les jours qui venaient, mais autant s'en servir tant que c'était possible et crédible. Elle trouverait bien une explication un peu plus détaillée pour justifier d'avoir libéré Nadja de ses obligations.