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1997 - Date terrienne (3 ans)



Elle avait tout juste trois ans lorsque ses parents l'avaient conduite dans cet établissement étrange. La première impression qu'elle eut, elle s'en souvenait parfaitement, contrairement aux visages de ses géniteurs. Immense. Ce lieu était vraiment immense.

C'est fou comme la mémoire pouvait être sélective. Elle avait beau chercher, essayer de toutes ses forces, elle ne parvenait pas à se souvenir du sourire de sa mère ni même du regard de son père. Par contre, elle voyait parfaitement leurs mains signer un document et récupérer une enveloppe épaisse avant de tourner les talons sans un mot, sans un regard pour la petite fille qui pleurait dans les bras de cette vieille carne qui sentait la naphtaline.

Elle était perdue. Les seuls repères qu'elle avait en ce monde venaient de la laisser dans un lieu inconnu, avec des gens inconnus et qui ne lui inspiraient pas la moindre confiance. Elle voulait ses parents. Elle voulait son lit. Elle voulait sa peluche avec son odeur si particulière et elle voulait ses jolies images sur les murs de sa chambre. Mais plus que tout, elle voulait qu'on la lâche et qu'on la laisse sortir.

Son regard fut attiré par de l'agitation à travers la fenêtre. Des enfants, tous plus vieux qu'elle sortaient en file indienne et se dirigeaient tous vers le même endroit. On aurait dit des automates. Où l'avait-on amenée ?


Dernière édition par Plume le Sam 12 Déc 2015 - 9:38, édité 1 fois

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2000 - Date terrienne (6 ans)



On leur répète souvent qu'ils sont ici car ils sont spéciaux. Il y en a d'autres, comme elle, une vingtaine. Certains plus vieux, d'autre moins. Calvin n'a que deux ans de plus qu'elle et il lui serre la main si fort qu'elle n'a plus peur de cette piqûre qu'elle doit avoir. Elle grimace en sentant l'aiguille pénétrer sa chair mais elle ne bouge pas.

Oui, elle connait ses tables de multiplications. Non ce n'est pas un H après le O mais un R. Oui, elle sait ce que veux dire « réversible » et « cruciforme ». Oui, le vert s'obtient en mélangeant du bleu et du jaune, mais seulement en peinture. Les ondes, elle, fonctionnent différemment. La jeune fille a une excellente vue et une mémoire remarquable. Comme tous ici. Mais elle est forte et courageuse. Qui peut en dire autant à six ans ?

Elle a de la chance aussi, Calvin l'a prise sous son aile dès son arrivée. Il faut dire que l'affection n'étouffe pas les adultes ici. Ils les traitent comme des machines tout juste bonnes à travailler, encore et encore. Alors ils se soutiennent les uns les autres. Calvin la laisse dormir avec lui quand elle a trop peur dans le noir et il l'accompagne à ses nouveaux cours, quand elle ne sait pas où aller. Souvent, il lui donne des conseils pour éviter les foudres des surveillants et des professeurs. Un jour, bientôt, ce sera à elle de faire pareil avec un nouveau mais pas le temps d'y penser maintenant, elle n'a que vingt minutes pour manger avant son prochain cours.


Dernière édition par Plume le Sam 12 Déc 2015 - 9:39, édité 1 fois

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2005 – Date terrienne (11 ans)





La jeune fille serre les dents en même temps que les poings.

Ce n'était qu'une farce, une sorte de bizutage pour pouvoir accompagner les plus grands dans leurs fugues régulières en dehors de l'établissement. Un simple test. Facile en plus. S'introduire dans le bureau du directeur et en ramener un document quelconque. Une preuve. Et après ça, à elle la belle vie ! Elle serait enfin considérer comme une grande et plus comme une petite fille.

Mais il avait fallu qu'elle tombe sur son nom. Elle avait froncé les sourcils et saisi le dossier. Comme ça. Par curiosité. Et puis, sans plus se préoccuper du retour imminent du propriétaire, elle l'avait lu. Quelle idiote !

« Vardeen ? Qu'est-ce que tu fais là ?! »

La jeune fille ne tourne même pas les yeux vers celui a qui appartenait cette pièce, cet endroit et, maintenant elle le sait, ses jeunes résidants. La nouvelle l'avait bien trop secouée. Vendue. Elle avait été vendue. Depuis plus de huit ans, elle était contrainte de suivre plus de douze heures de cours par jours. Dans tous les domaines, sur tous les sujets. Elle n'avait jamais vu que les professeurs acariâtres, les surveillants blasés et les autres enfants, comme elle, qui avaient été catapultés dans ce pensionnat particulier. Ses parents l'avaient abandonnés là, toute seule, à l'âge de trois ans et tout ça pour quoi ? Pour de l'argent.

Le directeur lui parle, ou plutôt crie, mais elle n'entend pas. L'incompréhension, la révolte, mais surtout la colère, ont déjà pris bien trop de place dans son esprit d'enfant. Elle se faufile entre les jambes de l'homme vociférant et disparait à l'angle d'un couloir. Bien sûr, elle est arrêtée à l'entrée du bâtiment, reconduite chez le directeur et placée en isolement pendant deux jours.

Elle n'a pas de papier, elle n'a pas de preuve mais, de toute façon, elle n'a plus l'envie. Tant pis, elle restera petite une année de plus mais qu'est-ce que ça peut changer finalement ? Petits ou grands, tous appartiennent au même tyran.


Dernière édition par Plume le Sam 12 Déc 2015 - 9:39, édité 1 fois

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2007 - Date terrienne (13 ans)


La lumière s'éteint et il n'y a pas un bruit dans tout le bâtiment, excepté les pas réguliers du surveillant qui s'éloigne. Il a dû perdre un pari ou avoir déplu au directeur pour avoir écoper de cette tâche. la jeune fille fait semblant de dormir, comme tout le monde. Elle attend. Longtemps. Très longtemps. Presque deux heures se sont écoulées avant que son réveil n'affiche vingt trois heures trente. Alors elle se lève. Doucement. Très doucement. Enfile ses chaussures et quitte la pièce sans réveiller les petites qui dorment déjà. 

Dans le couloir, elle retrouve Calvin qui l'attendais en souriant. Il lui prend la main et tout deux se dirigent sans bruit vers l'accès extérieur. Après avoir gravi une échelle de métal, ils posent le pied sur le toit de l'immeuble et Calvin pose son sac à dos près de ceux des autres pensionnaires. Les plus âgés d'entre eux se retrouvent régulièrement ici pour voler un moment de liberté pure. 

Elle sourit en levant les yeux vers les étoiles. Plus de cours ennuyeux, plus de surveillants suspicieux, plus d'obligation de bonne conduite ou de résultats. Ici, rien qu'ici, avec sa nouvelle, sa vraie famille, elle peut être elle. C'est comme une bouffée d'oxygène, un moment d'euphorie intense.

Souvent, ils allument un feu, dévorent des paquets entiers de gâteaux, souvent volés aux professeurs acariâtres et avalent des litres de jus de fruits ou même quelques gorgées d'alcool, lorsqu'ils arrivent à s'en procurer dans le bureau du directeur. Mais surtout, ils sont libres. Libres de faire ce qu'ils veulent, de dire ce qu'ils pensent et d'agir comme bon leur semble. Personne ne se leurre. Demain matin, ils devront redevenir les gentils petits soldats du pensionnat, assidus en cours, respectueux de tout et à la hauteur de leurs capacités si particulières qu'ils haïssent plus que tout. 

Mais cette nuit, maintenant, ils ne sont que des enfants. Et, contrairement à leurs vies, ces moments-là n'ont pas de prix.

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2008 - Date terrienne (14 ans)



Vardeen essaye tant bien que mal de calmer le petit garçon que l'on vient de déposer dans sa partie du dortoir. L'enfant doit avoir tout juste cinq ans et pleure à chaude larmes. Rien de très étrange, cela dit. A quoi doit-on s'attendre lorsque qu'on retire tous ses repères à un enfant en le posant comme un paquet au milieu d'autres enfants qu'il n'a jamais vu ? L'attroupement est immédiat mais cela ne fait que l'effrayer davantage alors la jeune fille prend les chose en mains et fait reculer tout le monde avant de s'approcher du petit. Il réclame sa mère, son doudou et dit qu'il veut rentrer chez lui. Vardeen le regarde, peinée. 

"Ta maman ne reviendra pas. C'est ici, maintenant, ta maison."

Combien a-t-il coûté celui-ci ? Cinq ans. Elle-même était arrivée à trois ans. Est-ce que les parents du garçon ont ouverts les yeux tardivement ou ont-ils simplement un urgent besoin d'argent ? Peut importe finalement, le résultat est le même. Elle le prend dans ses bras et va s'assoir sur l'un des lits, récemment libéré par un départ. Flavien est parti la semaine dernière. Il a eut dix-huit ans et a été embauché dans une grande entreprise d'ingénierie. 

D'abord, l'enfant se débat faiblement. Elle s'y attendait. Mais, bien vite, il finit par se calmer et se blottit contre elle tout en pleurant abondamment. Ce n'est pas la première fois et Vardeen sait que ce ne sera pas la dernière non plus. Le silence règne dans la pièce et n'est brisé que par les sanglots du garçon. Tout le monde sait. Tout le monde est passé par là. Tout le monde se souvient. L'enfant finira par arrêter de pleurer et accepter la dure réalité. La seule question est de savoir combien de temps cela lui prendra. Pour certain, il suffit de quelques jours, pour d'autres, des mois. Elle avait compris en cinq jours. 

"Comment tu t'appelles ?"

Entre deux sanglots, le petit garçon trouva la force de lui répondre. 

"Jaden."

Pour Jaden, il faudra onze semaines.

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Plus tard, même année

 
Cela a commencé par une journée comme les autres mais a bien vite tournée au calvaire. Jaden est au pensionnat depuis plusieurs mois maintenant et les professeurs exigent de lui qu'il améliore sa coordination main-oeil. Il faut bien avouer que, si le petit se montre assez doué à l'écrit, ses capacités physiques sont loin d'être enviables. Vardeen a donc décidé de lui donner un coup de main et le lève plus tôt pour lui apprendre à jongler. Rien de mieux pour apprendre à coordonner ses membres et son cerveau. 

En voyant la balle retomber une énième fois, la jeune fille soupire légèrement. Cela s'avérait fastidieux. S'armant de patience, elle ramasse la balle et accompagne ses gestes. L'enfant est fatigué et n'aime pas ça mais il n'a pas le choix. Personne ne l'a. Et Vardeen est bien trop au fait des conséquences d'un échec pour le laisser baisser les bras. Mais elle n'avait pas prévu que, dans un excès de frustration, Jaden lance la balle au loin et que celle-ci, par malchance, fracasse une vitre du bâtiment. 

Aussitôt, les yeux de la jeune fille s'écarquillent avant qu'une grimace de résignation ne déforme son visage. Elle saisit les balles des mains du garçon et s'accroupi devant lui. 

"Tu n'as rien fait, c'est clair ?"

Jaden la regarde, sans comprendre, quelques instants. La jeune fille insiste et finit par obtenir un hochement de tête de son protégé. Les surveillants, en nombre, ne tardent pas à arriver. Vardeen prend les devants. 

"Je suis désolée, je voulais lui montrer comment on fait et la balle m'a échappée."

Mais ils ne veulent rien entendre et la sanction tombe. Privée d'eau et de nourriture jusqu'au lendemain. La journée commence bien !

Dernière édition par Plume le Sam 12 Déc 2015 - 10:44, édité 2 fois

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Plus tard, même journée

 
La matinée a été pénible. Pas de petit déjeuner. Vardeen passe le temps du repas à ramasser les bouts de verre brisé. Puis, il faut enchaîner avec les cours de littérature, de géopolitique et de musique. Après avoir chanté pendant une heure, la jeune fille a la gorge sèche et fixe le soleil à travers les fenêtres avec un regard de condamnée. 

Le temps du déjeuner est occupé à prendre les mesures pour couper la nouvelles fenêtre. Elle devra sans doute l'installer dans la soirée. Elle a tout juste finit la découpe lorsque la cloche sonne pour signifier le début imminent de son prochain cours. Vardeen serre les dents et va chercher son sac, résignée. 

En tenue, elle émerge des vestiaires et se place sur la ligne de départ. Aujourd'hui, c'est course longue. La jeune femme ferme les yeux une seconde pour dissiper un léger malaise. Elle n'a pas le droit de flancher. Les conséquences seraient rudes. Elle sent la présence de Calvin juste à côté d'elle. Il lui donne un léger coup de coude pour l'encourager et elle ne peut s'empêcher de sourire. En ouvrant les yeux, elle aperçoit des dizaines de regards encourageants tout autour d'elle. Ce que ça fait du bien d'être soutenue. 

C'est donc avec une énergie nouvelle qu'elle débute cette session horrible de course longue sans rien dans le ventre depuis la veille et sous un soleil de plomb. Elle remarque bien vite que Calvin calque sa foulée sur la sienne et le reste de groupe ne s'éparpille pas non plus. Personne ne parle, il ne s'agit pas de gaspiller son énergie, mais il n'y en a nul besoin. 

La jeune femme parvient à tenir vingt minutes avant de sentir les sueurs froides mais elle tient. Après une demi-heure, un bourdonnement déplaisant s'immisce dans ses conduits auditifs et elle trébuche de plus en plus, parvenant tout juste à se redresser avant de tomber. Mais l'inévitable se produit et elle ne peut sentir que les bras de Clavin la retenant dans sa chute avant de sombrer dans une obscurité reposante. 

Lorsqu'elle ouvre les yeux, le décors à changé. Elle jette un coup d'oeil par la fenêtre et s'aperçoit que la nuit est sur le point de tomber. Depuis combien de temps est-elle inconsciente ? Elle n'en a aucune idée mais a toujours la gorge sèche lorsque l'infirmière, ô combien aimable apparaît. Elle lui tend un gobelet. 

"Bois !"

Vardeen ne se fait pas prier pour s'exécuter. Une fois fait, une autre injonction remplace la première. 

"Avale ça !"

La jeune fille saisit le plateau et commence à manger la bouillie infâme qu'on lui a amenée. L'infirmière loquace disparaît peu après, avec les restes du soit disant repas. Vardeen se sent légèrement mieux mais anticipe déjà la nuit qu'elle va passer entre ces quatre murs. Elle soupire, résignée et s'installe au mieux. 

Cela fait deux heures qu'elle tourne et vire dans ce lit encore plus inconfortable que ceux du dortoir lorsqu'elle entend une porte s'ouvrir doucement, puis des pas se rapprochant d'elle. Elle sourit largement en reconnaissant Calvin. 

"Tu va avoir des problèmes si tu es vu ici."

Elle ne se permet que de chuchoter, par mesure de précaution. Le jeune homme hausse les épaules. 

"Un de plus, un de moins, … Pousse-toi un peu !"

Elle s'exécute et le laisse s'allonger à côté d'elle avant de venir se blottir contre lui. Elle ne tarda pas à s'endormir.

"Dors bien, petite soeur."

Oui, cela faisait vraiment du bien d'être soutenue. Toute l'indifférence des surveillants ne pourrait, au moins, pas leur enlever ça.

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