Piscine et papotages

Depuis son retour de la station orbitale, la vie du docteur Garett avait radicalement changé. Quoi qu'elle face elle ne pouvait s'empêcher de regarder vers le ciel, en se demandant si un vaisseau spatial n'allait pas surgir soudain. Si elle ne regrettait pas d'être revenue sur le plancher des vaches mais se demandait néanmoins ce que sa vie pourrait être à présent si elle était resté.

A présent en paix avec le décès de Peter, elle avait repris son travail sérieusement et tentait de reprendre, le soir une vie de célibataire. Atlanta est une grande ville qui offre de multiples possibilité d'amusement. Elle hésitait encore à prendre un chien mais franchirait sans doute le pas rapidement. A moins qu'elle n'opte plutôt pour un amant…

Rentrée tôt ce soir, elle avait sauté dans son maillot de bain, mis de la musique, et se prélassait maintenant dans l'eau tiède de la petite piscine qui occupait la majeure partie de sa maison, un verre de vin à porté de main. Sans son mari pour l'équilibrer, elle tentait de contrôler sa tendance à boire plus que de raison et y arrivait pour l'instant bien en se limitant à seulement un ou deux verres par jour. Si la vie n'était pas encore belle, au moins avait-elle l'impression d'avoir passé le plus dur.

La tête en arrière elle soupira en regardant le ciel bleu au dessus d'elle et un sourire se forma sur ses lèvres. Même si elle ne pourrait jamais en parler à personne, elle était bien mieux ici.

Alors qu'elle était quasiment en train de s'endormir, Nadira fut tiré de sa douce torpeur par le sonde la sonnette. Qui pouvait bien venir la voir ?
Craignant un démarcheur ou pire, le représentant d'un culte quelconque, elle envisagea sérieusement de ne pas aller ouvrir.

* Si c'est encore la vielle Somerset, je l'étrangle*, songea-t-elle en sortant finalement de l'eau. Le vieille voisine avait découvert la profession des époux Garett des leur arrivée. Des lors, elle n'avait cessée d'insister pour que Peter rejoigne le comité de surveillance du quartier, et exposer tout ces malheurs physiques au bon docteur.

Elle passa un peignoir et traversa le salon. Si le mobilier n'avait pas changé, il ne restait qu'une seule photo accroché au mur. Peter et elle, pendant leur voyage de noce, devant la pyramide de Kheops. Elle avait hésitée à la retirer à son retour du Nevada et de la station orbitale, mais la double signification de l'édifice l'avait suffisamment amusée pour qu'elle la garde.

Elle ouvrit finalement la porte et découvrit une jolie rouquine sur le seuil, qui semblait perdue dans la contemplation du quartier. Pas de valise ni de bible en vue, elle décida donc de lui accorder une chance.

"- Bonsoir. Que puis-je pour vous ?"

Apres avoir faillit lui claquer la porte au nez en entendant son entrée en matière, Nadira resta interdite un instant, avant de s'effacer.

"- Je vous en prie"

Difficile d'argumenter sur le fait que leur conversation ne devait pas être entendue. Si elle voulait garder la moindre crédibilité dans le quartier, il valait même mieux qu'elle ferme toutes les fenêtres. Elle jeta un œil sur la voiture de la nouvelle arrivante mais fut rassurée de constater qu'il s'agissait d'un modèle plutôt classique. Elle avait craint un vaisseau spatial, ou une DeLorean à tout le moins.

"- Asseyez-vous, je vous en prie. Souhaitez-vous boire quelque chose?"

Elle-même se resservit un verre de vin, et sourit, un peu contrite.

"- Navrée, je n'attendais personne. Laissez moi une minute pour me sécher, passer quelque chose et je suis à vous."

Elle disparue dans une pièce proche, laissant son invité seule quelques instant. Comme promis, une minute plus tard, elle revint vêtue d'un simple jean et d'un t-chirt à l'effigie d'un vieil album des Pink Floyd.

Elle s'installa dans un fauteuil en face d'Aeryn en souriant.

"- Je ne m'attendais pas à entendre parler à nouveau de votre organisation, je dois dire. Que puis-je faire pour vous?"

Elle avait pris le temps de réfléchir, tout en s'habillant, à la raison de la présence de la responsable du JPS chez elle. Avec toute la bonne volonté du monde, elle n'en voyait pas vraiment, sinon lui faire signer une promesse de confidentialité.

Garett sembla hésiter un instant avant de s'effacer pour laisser entrer Aeryn qui s'exécuta en la remerciant. Elle se montra une hôte attentive en proposant un siège et à boire à l'irlandaise qui ôta ses lunettes de soleil. 

"Un jus de fruits serait parfait, merci."

Puis la propriétaire disparut quelques minutes pour se changer et Aeryn en profita pour observer l'intérieur de la maison. Elle sourit devant la photographie du couple en Egypte et ne put s'empêcher de penser à Thomas. Il aimerait lui décrire l'Egypte au moins autant que la Grèce, elle en était persuadée. Et elle-même adorerait entreprendre ce voyage en sa compagnie. C'est alors que son visage s'obscurcit quelque peu. Le mari de Nadira était mort et Aeryn ne voulait même pas imaginer comment se sentait la médecin. Elle était bien souvent passé à côté du pire mais tout avait toujours fini par s'arranger. 


Le retour de la propriétaire coupa les réflexion d'Aeryn qui quitta le cadre des yeux pour les reposer sur celle qu'elle était venue voir. Elle se força à sourire à nouveau, mais il avait perdu un peu d'éclat, puis elle s'assit dans un fauteuil non loin. La médecin entra rapidement en matière et Aeryn suivit en parlant avec une voix calme et un visage ouvert. 

"Vous nous avez quitté un peu brutalement et je dois avouer que je n'ai pas bien compris pourquoi. J'aimerai que vous m'exposiez vos raisons. Je pourrai ainsi, sans doute, éviter que cela ne se reproduise et peut-être que je pourrai même vous convaincre de revenir parmi nous. Nous avons grandement besoin de gens comme vous."

Elle avait été totalement honnête. Pas de fioritures ou de mensonges à demi-mots. Lorsque l'on s'incrustait ainsi chez les gens, autant ne pas les mener en bateau. 

Nadira écouta la présentation qui lui était faite avec attention. Même si elle passait sous silence les dangers inhérent à cette exploration spatiale, il fallait bien rencontre qu'Aeryn était une bien meilleure vendeuse que ceux qu'elle avait rencontré précédemment.

"- Il ne manque que la promesse d'un prix Nobel à votre présentation," commenta l'Egyptienne en souriant malicieusement. "Mais je reconnais que c'est tentant. Je ne suis pas une aventurière, mais j'ai déjà travaillé sur des souches virale ou microbienne peu communes et ce sont des moments exaltant."

A la réflexion, c'est peut être ainsi qu'elle avait été repérée. Durant la mission en Alaska dont elle était revenue il y a quelques mois, elle avait étudié des organismes étranges dont on lui avait caché l'origine. Elle ne s'était guère posé de question alors, mais ils pouvaient très bien avoir été d'origine extraterrestre.

"- En admettant que j'accepte votre offre, qu'attendez vous de moi exactement ? Travail de laboratoire ? Plutôt sur le terrain ? Et je suppose que je devrais travailler sur votre station ?"

Si elle n'avait aucun problèmes à reconnaitre que son tempérament bouillonnant l'avait amenée à réagir un peu trop brusquement lors de sa dernière visite sur la station, elle n'était pas non plus du genre à s'engager sans avoir murement réfléchi les divers aspects de la proposition qui lui était faite, si alléchante soit elle.

En écoutant les explications, Nadira se fit la réflexion que cette organisation aurait bien besoin de changer de méthode de recrutement. Cet entretient était bien plus efficace que le test dans le Nevada avec le sergent Bas de Plafond.

"- En résumé, vous proposez un job d'exploration de la galaxie, pour aller recueillir des échantillons et les analyser dans votre labo qui de ce que j'ai vu ai plutôt bien aménagé." On ne doit pas vous dire non souvent pas vrai ? "

A moins de vouloir une petite vie bien tranquille évidemment, mais ca n'était pas vraiment le style de la jeune médecin.

"- Adaptative… je suppose que six mois en Alaska, par moins vingt degré alors que j'ai grandie au Caire doit rentrer dans cette catégorie. Mais vous savez déjà cela , je suppose."

Ca n'était pas réellement une question. L'organisation s'était renseignée sur elle avant de la contacter, ce qui était parfaitement logique. Elle se mordit les lèvres quelques secondes, puis sourit, franchement.

"- Vous avez faim ? Restez diner, et vous m'expliquerez un peu plus en détail ces histoires de porte des étoiles, de goa-truc, et de vaisseau spatiaux ressemblant à une pyramide. Une fois fait, je vous poserai une dernière question et je pourrai vous donner ma réponse. D'accord?"

Elle aurait pu demander un temps de réflexion plus long mais elle se connaissait assez pour savoir qu'elle serait très probablement décidé à se moment la.

Avec l'accord de son invité elle préparerai rapidement un Kochery (mélange de lentilles et de pates et de vermicelles légèrement épicé) et les servirait à l'extérieur, prés de la piscine.

Nadira sourit en écoutant les excuses un peu gênées concernant le secret entourant le programme. Ca ne la surprenait pas vraiment, mais elle avait tenté le coup néanmoins, au cas où.


« - Je comprends, ne vous en faites pas, répondit-elle en souriant. Vivre avec un militaire donne certaines habitudes. Profitez de la terrasse si vous voulez, ou de la piscine ».


Laissant son invité un moment, elle prépara rapidement de quoi continuer à parler tout en mangeant et, le temps restant au beau fixe, dressa la table à l’extérieur. Ce petit moment de calme l’aidait également à trier ses pensées et réfléchir à ce qu’elle allait faire. C’était effrayant comme proposition mais exaltant également. Et flatteur d’être ainsi sélectionnée et d’avoir dans son jardin la directrice d’une organisation internationale qui venait la recruter directement.


*On te manipule par l’ego, Nad* se rendit-elle compte.


Mais ça marchait, elle devait bien le reconnaitre. Quelques minutes plus tard, elles s’installaient autour de la table.


« - J’espère ne pas avoir perdue la main. Je n’ai pas fait de cuisine depuis des mois, s’excusa-t-elle. N’hésitez pas à ajouter des assaisonnements à votre gout, mais attention certains sont très épicés.»


Une fois le repas entammé, elle réfléchit une seconde à comment continuer la conversation, tout en évitant l’écueil du secret. Elle gardait sa fameuse dernière question pour la fin, n’ayant pas envie de gâcher le repas.


« - Si vous me permettez la question : comment une femme aussi jeune que vous se retrouve-t-elle propulsée à la tête d’une institution internationale ? »

«- Merci » répondit Nadira, ravi du compliment. Mes parents sont plutôt modernes mais ma mère restait persuadée qu’une femme doit savoir cuisiner pour sa famille. Je reconnais que j’y ai pris gout du coup."


Elle écouta les explications attentivement, fascinée par ce que disait Aeryn, mais aussi par ce qu’elle ne disait pas. Les mots restaient vagues mais révélaient, en creux, des tensions au sein de l’organisation. Une organisation internationale chargé de défendre la terre de menaces extraterrestre devait avoir été difficile à monter, politiquement.
Cela en disait long sur les capacités de son hôte, qu’elle veuille bien l’admettre ou non.


« - J’ai l’impression que vous êtes particulièrement modeste. Apres tout, c’est vous qui m’avez dit que vous ne recrutiez par hasard. »


En se levant pour aller chercher un dessert, elle se rendit compte que cette discussion lui faisait un bien fou. Pas de faux semblant, de gêne, ou de tension comme il pouvait y en avoir dans les soirées auxquelles elle avait assisté récemment.


Elle revint avec des coupes de glaces ainsi qu’une coupelle de fruits secs enduits de miel.


« - Comme je vous disais, j’ai une dernière question. Cela concerne Peter. Je suppose que vous l’avez connu.  J’aimerai savoir ce qu’il s’est passé. Je sais que vous ne pouvez pas tout me dire, mais j’ai besoin d’en savoir un minimum. Je pense que vous comprenez ce que je veux dire.»


Elle montra en souriant l’alliance au cou de l’irlandaise. Depuis que le sujet avait changé, celle-ci la tripotait inconsciemment.

En posant sa question Nadira s'était attendue à passer un mauvais moment si Aeryn conservait la franchise qui avait caractérisée toute leur conversation.

Mais elle n'avait pas anticipé la vague d'émotion qui accompagna le récit de la directrice du SDT. Une boule se forma dans son ventre et remonta brutalement à sa gorge pour la serrer sans merci. Ses yeux s'embuèrent sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit et des larmes amères roulèrent sur ses joues. Pendant de longues secondes, elle ne fut plus que capable d'inspirer par petites gorgées en regardant sa glace qui fondait lentement.
Finalement, elle releva les yeux et rencontra ceux de son invité.

"- Oui, vous êtes responsable! siffla-t-elle finalement."

Elle tendit la main et saisit le poignet de l'irlandaise. Le geste n'était pas agressif, juste destinée à la faire rester, le temps qu'elles puissent se reprendre l'une et l'autre. Apres un moment de silence Nadira put enfin reprendre, ses penses un peu mieux ordonnées.
Elle sortit de son décolleté une chaine ou était passé une alliance, ainsi qu'une petite médaille. Elle tendit ce bijoux afin que son hôte puisse distinguer un homme aillé se rapprochant du soleil.

"- Son dernier cadeau. Je l'avais pressé de questions et mal vécue son silence. Ca prend tout son sens prémonitoire maintenant n'est ce pas ? Merci de votre franchise. Je n'en pouvais plus de ces mensonges et de ce silence. Et dans ces conditions, jamais je n'aurai pu collaborer avec quelqu'un qui ne sache pas endosser ses responsabilités, aussi difficile soit-elles."

Elle inspira profondément puis se lança finalement.

"- Laissez moi quelques jours pour arranger mes affaire ici, mais j'accepte votre offre. "